Pourquoi Conforama va supprimer 1 900 emplois en France
Pour justifier la mise en place de ce plan social, l'entreprise invoque notamment des pertes cumulées de "près de 500 millions d'euros" en France depuis 2013.
Conforama tente de sauver les meubles, mais ça ne se fera pas sans casse. L'enseigne d'ameublement française, détenue par le groupe sud-africain Steinhoff a confirmé, mardi 2 juillet, le lancement d'un plan social et la suppression de 1 900 postes en 2020 dans l'Hexagone. Ce plan prévoit aussi la fermeture de 32 magasins sur les 235 que compte le groupe en France.
Parmi les magasins qui doivent fermer, huit sont situés en Ile-de-France, dont deux à Paris. Sont aussi prévues 600 suppressions de postes dans les 164 commerces restant ouverts, 124 suppressions au siège social et 26 au service après-vente, ainsi que 100 emplois dans les boutiques Maison Dépôt, filiale du groupe.
Créé en 1967, Conforama, dont l'un des premiers slogans – "le pays où la vie est moins chère" – a fait date, a été racheté en 2011 par Steinhoff, après avoir appartenu pendant vingt ans au groupe PPR détenu par l'homme d'affaires François Pinault. Franceinfo fait le point sur les raisons de ce plan de licenciement.
Parce que l'enseigne cumule de lourdes pertes
Il "s’agissait de la seule issue pour ne pas faire sombrer l’entreprise", a déclaré la direction de Conforama aux syndicats, lundi. Pour justifier la mise en place de ce projet de restructuration, l'enseigne a invoqué d'importantes pertes cumulées, de l'ordre de "près de 500 millions d'euros" en France depuis 2013.
"Quand vous perdez durablement de l’argent, tôt ou tard, ça se finit par un ajustement de ce qu’on appelle les actifs, c’est-à-dire les magasins, et des effectifs, les salariés. Donc, le premier facteur d’explication des difficultés de Conforama en France, c’est Conforama", explique Olivier Dauvers, l'auteur du blog Le web Grande Conso à franceinfo. Ces pertes s'expliquent notamment par une baisse des ventes. Ces dernières ont décliné de 4% en 2018 en France et même si le chiffre d'affaires représentait 3,5 milliards d'euros cette année-là, il était en recul de plus de 2%, explique la journaliste de L'Opinion Fanny Guinochet.
Comme ses concurrents, l'enseigne a fait face à une mauvaise conjoncture. "Alors qu'il était dans le positif ces dernières années, le marché du meuble s'est mal orienté", analyse Yves Marin, associé du cabinet de conseil Bartle au Parisien. Pour pallier cette tendance, la direction s'est donnée pour objectif "un retour à l'équilibre dans les deux ans", qui passe donc, selon elle, par des licenciements.
Parce que le secteur a muté
Dans un communiqué, Conforama explique que cette situation est aussi due aux "mutations profondes du secteur de la distribution et plus particulièrement celui de la distribution spécialisée". "A la base, il y a une enseigne qui est en difficulté sur son marché. Elle est concurrencée notamment par Ikea et But, et évidemment par le développement de l’e-commerce. Donc, à la base des difficultés du groupe, il y a le fait que les clients vont moins chez Conforama. Et vous savez, l’économie est implacable", développe le spécialiste Olivier Dauvers.
Il y a aussi une insuffisante rénovation des magasins. C’est un peu une corvée d’aller dans un Conforama quand vous êtes consommateur, ce n’est pas le magasin qui vous fait le plus rêver sur le marché du meuble.
Olivier Dauvers, auteur du blog Le web Grande Consoà franceinfo
En effet, si l'e-commerce représente 15% du marché, il n'a réalisé que 8% des ventes de l'enseigne l'année passée, relève Le Parisien. Sur internet, la concurrence est rude, les derniers venus sur le marché comme des sites Miliboo ou Made "montent en puissance", analyse Yves Marin, associé du cabinet de conseil Bartle au Parisien.
Ainsi, faute de décisions adaptées, Conforama a moins bien résisté à cette mutation que ses concurrents But ou Ikea. L'enseigne suédoise a notamment ouvert une enseigne de 5 400 m2 au cœur de Paris en mai. Une ouverture qui n'a rien d'anecdotique : toutes les enseignes de la grande distribution cherchent aujourd'hui à s'installer en centre-ville, mais seules les plus solides y parviennent, relève Le Parisien.
"Le magasin physique a de l'avenir, mais il doit transformer sa façon d'accueillir le client et il doit avoir nécessairement une continuité en ligne", a estimé la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances Agnès Pannier-Runacher à Sud-Radio. Dans les cinq ans qui viennent, il est absolument indispensable, pour les indépendants comme pour les grandes enseignes, d'avoir a minima un canal de communication sur internet pour pouvoir attirer les clients."
Parce que Steinhoff est aussi en difficulté
Au-delà de ces raisons conjoncturelles, Conforama est au cœur d'un scandale financier concernant sa maison mère sud-africaine Steinhoff depuis 2017. Des investigations menées en Allemagne ont mis au jour des irrégularités comptables. L'affaire avait notamment failli causer la banqueroute de l'entreprise avec la découverte d'un "trou" de six milliards de dollars dans ses comptes, et des conséquences directes pour Conforama. A la suite de ces révélations, le groupe avait perdu 3,7 milliards d'euros en 2017, notent Les Echos.
A l'époque, "les fournisseurs ont imposé à Conforama de les payer immédiatement, de peur des défauts de paiement", rappelle Yves Marin au Parisien. Pour tenter de remonter la pente, Conforama avait cédé à Carrefour sa participation dans Showroomprivé, pour 78,7 millions d’euros, et conclure un accord avec un groupe de gestion d’actifs et d’investissement pour obtenir un financement de 115 millions d’euros sur trois ans, explique Le Monde.
L'enseigne de meubles avait aussi trouvé un accord avec ses créanciers sur un plan de refinancement, à hauteur de 316 millions d’euros, en avril 2019. Or, sans grande réorganisation interne, ces décisions n’ont pas permis de redresser la situation. "Quand vous êtes en difficulté commerciale, vous avez beau repousser l’échéance, par des renégociations de créance par exemple, ça n’élimine pas le risque qui pèse sur vous. Quand vous avez moins de clients, quand vous vendez moins de produits, tôt ou tard les magasins sont en risque", étaye Olivier Dauvers sur franceinfo.
Parce que Conforama a fait des choix inadaptés
Ces arguments avancés par la direction sont toutefois loin de convaincre les syndicats qui dénoncent des choix inadaptés. En janvier, déjà, des rumeurs circulaient dans l'entreprise sur de possibles licenciements, confortées selon les syndicats par deux décisions internes.
"Ils ont décidé de stopper tous les investissements, sauf ceux concernant le grand entrepôt de Tournan-en-Brie [Seine-et-Marne]", constatait le responsable CGT, Aziz Boucherit, responsable CGT chez Conforama en France au Monde. "Le nouveau magasin Maison dépôt à Allonnes [Sarthe], qui avait reçu 70 % de son approvisionnement, à quelques jours de son ouverture, a appris qu’il n’ouvrirait pas."
Les magasins Conforama sont devenus des relais colis. On voit des gens sortir avec des tables basses et des réfrigérateurs, comme ceux que l’on vend chez nous, qu’ils ont achetés chez nos concurrents directs.
Aziz Boucherit, responsable CGT chez Conforama Franceau "Monde"
Malgré ses difficultés financières, l'entreprise a aussi choisi en 2017 d'investir dans la Ligue 1 pendant trois saisons pour un contrat de près de 25 millions d'euros par an, relève Le Figaro.
D'autres estiment que l'enseigne n'a pas su investir correctement l'argent reçu au titre du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour "conserver l'emploi". "Conforama sur les cinq dernières années, c'est 63 millions d'euros de Crédit d'impôt compétitivité et l'emploi. Soixante-trois millions d'euros pour lesquels on a vu aucun investissement pour conserver l'emploi ou moderniser l'enseigne", a dénoncé Gérald Gautier, secrétaire de la section fédérale du Commerce & VRP à Force ouvrière.
"Conforama a raté le virage du numérique parce qu'il n'y a pas eu d'investissements. Si ces 63 millions d'euros avaient été investis, ne serait-ce que dans le numérique aujourd'hui, Conforama n'en serait pas là, a-t-il expliqué. C'est de l'argent public qui est jeté par les fenêtres."
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