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Ce que l'on sait de l'affaire des vaches laitières contaminées aux antibiotiques après une erreur de livraison de Triskalia

Un éleveur des Côtes-d'Armor a porté plainte contre la coopérative Triskalia, qui a fourni à ses vaches des granulés destinés à des lapins et contenant des antibiotiques.

Article rédigé par franceinfo - Mahaut Landaz
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le site de la coopérative Triskalia à Plouagat (Côtes-d'Armor), le 9 juin 2015. (DAMIEN MEYER / AFP)

Christophe Thomas, éleveur dans les Côtes-d'Armor, a porté plainte contre son fournisseur, la coopérative Triskalia (connue pour ses marques Paysan breton, Régilait ou Mamie Nova), après que ses vaches ont été exposées à des antibiotiques "non autorisés chez les ruminants" en raison d'une erreur de livraison, rapporte Mediapart (lien abonnés), jeudi 30 août. Invité de franceinfo, jeudi, son avocat, François Lafforgue, s'interroge sur une éventuelle contamination du lait issu de ces bovins. Le parquet de Saint-Brieuc a annoncé jeudi l'ouverture prochaine d'une enquête préliminaire. Voici ce que l'on sait de cette affaire.

Triskalia a livré à un éleveur de bovins des granulés médicamenteux destinés aux lapins 

Le 21 mars 2018, le groupe Triskalia livre chez Christophe Thomas, éleveur de bovins, plus de deux tonnes de granulés destinés à nourrir son bétail. Ils sont censés ne pas contenir d'antibiotiques. Mais l'exploitant découvre deux jours plus tard, en ouvrant son silo, que les granulés n'ont pas la même couleur qu'habituellement, raconte Mediapart.

L'éleveur le signale à un technicien de la coopérative. Celui-ci l'informe qu'il a sans doute reçu par erreur un aliment pour lapins contenant des antibiotiques "non autorisés chez les ruminants", précise le site d'investigation. Depuis, Triskalia a reconnu "un dysfonctionnement lors de la livraison d’aliment chez l’éleveur, au niveau du camion, entraînant un mélange d’aliment pour lapins, supplémenté en antibiotiques, avec l’aliment pour vaches laitières". 

Les analyses sur l'aliment livré chez le producteur ont révélé la présence de trois antibiotiques (oxytétracycline, tiamuline et néomycine) destinés aux lapins, précise Triskalia dans un communiqué publié mercredi. "Christophe Thomas [en faisant analyser les produits reçus] s'est rendu compte ensuite qu'il y avait pas moins de six antibiotiques différents dans cet aliment contaminé, et cela a eu de graves conséquences pour son cheptel", assure pour sa part François Lafforgue, son avocat, sur franceinfo.

L'éleveur affirme même à Mediapart que l'entreprise lui avait d'abord assuré qu'il n'y avait pas de contamination. "Il n'y a absolument rien dans l'aliment", lui répond ainsi un homme, présenté comme un cadre de la société, dans un message enregistré et cité par le site. Triskalia confirme l'existence de ce message vocal. Mais, selon la coopérative, il a été laissé après la réception d'une première analyse, qui n'avait pas révélé la présence de tiamuline, antibiotique interdit aux ruminants. "On est peut-être allés un peu vite…" concède Nicolas Simon, responsable de la production laitière et bovine de Triskalia. Car, toujours selon la société, les deux analyses suivantes, menées par deux autres laboratoires, ont détecté la présence de l'antibiotique. 

La collecte de lait a été interrompue pendant une semaine 

"Des mesures ont été prises immédiatement. On a suspendu la collecte de lait, on a fait des analyses sur le lait et sur les lots d'aliments" destinés aux bovins, affirme le groupe Triskalia, joint par franceinfo. Dans son communiqué, l'entreprise précise avoir repris le reste de la nourriture et accompagné l'éleveur d'un technicien et d'un vétérinaire de la coopérative. Toutefois, la collecte de lait a repris le 30 mars, car les résultats d'analyses n'ont pas montré de trace d'antibiotiques dans le lait, affirme Triskalia.

"On peut s'interroger : est-ce que ce lait contient des antibiotiques ou pas ? répond François Lafforgue, l'avocat de l'éleveur, sur franceinfo. Ils ont fait une analyse du lait sur un antibiotique qui n'est pas détectable dans le lait, donc, bien évidemment, ils ne l'ont pas trouvé. Mais on peut véritablement s'interroger. Ce sont des antibiotiques pour lapins, c'est donc une situation particulièrement nouvelle, on doit donc appliquer le principe de précaution dans cette affaire."

Une plainte a été déposée contre Triskalia et le parquet va ouvrir une enquête préliminaire

L'éleveur a porté plainte contre Triskalia, par l'intermédiaire de son avocat, le 3 août. Il accuse l'entreprise de ne pas avoir pris de mesures de précaution pour la chaîne alimentaire et de ne pas avoir averti les autorités sanitaires. En effet, c'est Christophe Thomas qui a prévenu la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). Le parquet de Saint-Brieuc a décidé de donner suite à sa plainte, et va ouvrir une enquête préliminaire dans les prochains jours, rapporte jeudi 30 août France Bleu Breizh Izel

La plainte de l'éleveur comporte neuf infractions, dont "mise en danger de la vie d'autrui", "tromperie caractérisée", "manquements aux obligations de conformité des aliments pour animaux", "violation de l'obligation de signalement en cas de suspicion d'aliments pour animaux non conformes" ou encore "atteinte volontaire à la vie et à l'intégrité d'un animal". Car, selon l'éleveur, ses vaches sont malades depuis l'ingestion de ces antibiotiques. "Quand j'ai reçu les aliments médicamenteux, certaines vaches à l'engraissement mangeaient jusqu'à quatre kilos de granulés par jour", affirme-t-il à Mediapart.

Depuis, elles perdent du poids, leurs selles sont toujours liquides, elles dépérissent. Leur flore intestinale est flinguée, pas besoin d'être vétérinaire pour le voir. Même moi je n'en voudrais pas dans mon assiette.

Christophe Thomas, éleveur

à Mediapart

Dans son combat contre l'entreprise, l'éleveur est soutenu par le collectif des victimes de Triskalia, un groupe informel qui existait déjà, car depuis 2010, d'anciens salariés du groupe se battent pour faire reconnaître comme maladie professionnelle une intoxication aux pesticides sur leur lieu de travail. "Christophe Thomas a fait appel à nous parce que la bagarre contre Triskalia n'est pas une bagarre qu'on peut mener seul. D'ailleurs, il a très peur des représailles de la coopérative. C'est une pieuvre qui contrôle toute la production", fulmine Michel Besnard, le président du comité de soutien, interrogé par franceinfo. Il souligne que "la situation est très difficile à vivre" pour Christophe Thomas. 

Des experts ont été mandatés par les assurances pour déterminer les causes, responsabilités et préjudices subis par les différentes parties, précise le communiqué de Triskalia. 

Il est trop tard pour que les autorités sanitaires mènent des analyses plus poussées 

"A part une fenêtre de deux-trois jours, ce lait a été commercialisé, alerte l'avocat François Lafforgue. Il y a pas moins de 180 000 litres de lait qui ont été commercialisés." Triskalia n'a pas été en mesure de nous préciser comment le lait de Christophe Thomas avait été transformé car, selon la coopérative, c'est une autre société, Sodiaal, qui assure la collecte de son lait. Mais la coopérative tient encore à rassurer les consommateurs, affirmant disposer "de toutes les analyses" prouvant que le lait n'est pas contaminé. 

De toute façon, il est trop tard pour que les autorités sanitaires mènent d'autres analyses, a affirmé la DDPP à Christophe Thomas, dans un courrier du 13 juillet cité par Mediapart. "Compte tenu du délai écoulé depuis la livraison (…) il n'existe aucune contre-indication à ce que les produits issus de votre cheptel (lait et viande) soient commercialisés pour la consommation humaine", lui a-t-il été précisé. Un avis partagé par la préfecture des Côtes-d'Armor, qui affirme à franceinfo avoir été prévenue par l'éleveur "trop tard pour faire quoi que ce soit", le 21 juin, soit trois mois après la livraison des granulés.

"Quand Triskalia a pris conscience de l'erreur, elle aurait dû prévenir la DDPP. C'est la responsabilité de celui qui fait la faute", argumente Michel Besnard. Du côté de Triskalia, on assure qu'on était trop occupé à "trouver des solutions" pour effectuer cette démarche. "On était dans le feu de l'action, beaucoup plus dans la résolution du problème que dans l'information administrative", affirme Nicolas Simon. 

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