"Si la relation entre la police et la population se dégrade durablement, alors on a des inquiétudes très fortes à avoir sur notre État de droit", prévient la Licra
Il y a "une inquiétude" des fonctionnaires de police "liée à la très forte cicatrice, la plaie béante qui existe dans la relation police-population", a estimé Stéphane Nivet, délégué de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, invité lundi 8 juin sur franceinfo.
"Si la relation entre la police et la population se dégrade durablement, alors on a des inquiétudes très fortes à avoir sur notre respiration démocratique et notre État de droit", a affirmé lundi 8 juin sur franceinfo Stéphane Nivet, délégué général de la Licra. Plus tôt dans la journée, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a affirmé vouloir une tolérance zéro face au racisme dans la police. Il a présenté des mesures pour améliorer la déontologie policière. Le ministre compte notamment sur la formation continue des fonctionnaires de police en partenariat avec la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
Avec les formations dispensées aux forces de l'ordre, la Licra insiste sur "l'exemplarité" dont doivent faire preuve les policiers afin d'"incarner les valeurs de la République". Stéphane Nivet relève également "une inquiétude" des fonctionnaires de police "liée à la très forte cicatrice, la plaie béante qui existe dans la relation police-population".
franceinfo : De quelle manière allez-vous travailler avec le ministère de l'Intérieur sur ces sujets ?
On a des habitudes de travail qui ont une dizaine d'années maintenant avec le ministère de l'Intérieur. On travaille notamment sur la question de la formation initiale et sur un apport théorique pour ceux qui entrent dans la carrière. Le moment qu'on vit actuellement montre qu'il faut aller plus loin. Ce sont des choses qu'on demandait depuis longtemps, notamment pour développer de la formation continue, tout au long de la carrière, pour que les personnels qui, confrontés à la réalité quotidienne de l'activité et du métier de policier, puissent tout au long de la vie bénéficier de formations qui leur rappellent à la fois les règles de déontologie et un certain nombre de principes sur les questions de racisme. Une formation contre le racisme, c'est d'abord l'explication de ce type de délit dans le droit français. La question du racisme est un peu à part dans notre droit puisqu'elle figure dans la loi sur la presse, mais n'est pas dans le Code pénal. Elle a des dispositifs particuliers. Et la nature des contenus racistes ou antisémites est spécifique dans notre droit.
La France a été précurseur dans la lutte contre le racisme en matière législative. Mais l'idée, c'est à la fois d'expliquer la spécificité de ses contenus, qu'il ne s'agit pas d'opinions, mais de délits.
Stéphane Nivet, délégué général de la Licrasur franceinfo
Il s'agit d'expliquer que dans la pratique professionnelle, quand on est fonctionnaire de l'Etat, dépositaire de l'autorité publique, il faut incarner les valeurs de la République. Et que le racisme est une violation des lois de la République. Et puis on part ensuite sur la question des cas concrets, qu'on évoque dans les brigades de gendarmerie ou dans les unités de police, pour expliquer, devant telle ou telle situation, quelle doit être la pratique professionnelle, la posture professionnelle qu'il faut adapter pour éviter des dérives auxquelles on a pu assister ces derniers temps.
En face de vous, lors de ces formations, est-ce que les gendarmes, les policiers, sont réceptifs à ce que vous dites ?
Les questions qu'on évoque ne laissent pas indifférent les policiers qu'on a face à nous. Et ils sont à l'image de la société. Vous avez 150 000 policiers en France. Ils représentent à la fois une très grande diversité d'approches, de regards, d'origines également. Ce sujet-là ne les désintéresse pas. Le premier aspect avec lequel on les aborde, c'est la question de comment recevoir une plainte de quelqu'un qui est victime de racisme. C'est un sujet important pour nous parce qu'on essuie beaucoup de refus de plaintes. Ces problématiques concrètes, quand on arrive sur des choses très explicites, sur les situations dans lesquelles ils vont se retrouver, on voit qu'il y a un intérêt. On voit aussi qu'il y a une inquiétude liée à la très forte cicatrice qui existe, la plaie béante qui existe dans la relation police-population. Il y a une très forte fébrilité sur ces questions et on voit que les policiers ont un sentiment d'inquiétude, à la fois sur la nécessité de respecter des règles, et la nécessité d'être efficace. Donc, ce sont des choses sur lesquelles nous, on veut apaiser, apporter des solutions concrètes.
Ces inquiétudes dont vous parlez, ce fossé entre la police et la population, est-ce que vous l'entendez ?
On est là pour les entendre et les aider à les surmonter. Je pense qu'il y a deux attitudes à avoir face aux situations auxquelles les policiers sont confrontés et les faits qui sont dénoncés récemment qu'on a pu observer. Soit on explique qu'il n'y a rien à voir : on peut être dans le déni. J'ai vu des responsables politiques expliquer aujourd'hui que tout allait bien dans la police. On a une autre attitude qui consiste à dire qu'en France, on vivrait sous l'emprise d'un racisme d'Etat. Il y aurait des lois racistes et que la police serait l'instrument finalement de ce racisme d'Etat. Dans les deux cas, on est dans le mensonge et on est dans le fantasme.
Nous, notre objet, c'est d'être sur le réel et sur la raison, et d'expliquer aux policiers que leur rôle est important, que leur mission doit être exercée avec exemplarité.
Stéphane Nivet, délégué général de la Licrasur franceinfo
Et que sans cette exemplarité-là, le reste de l'exercice du métier devient impossible. C'est l'enjeu qu'on a. C'est à la fois de les écouter sur leur inquiétude, de leur apporter des réponses et un cadre qui montre qu'ils ne méritent ni un excès d'honneur que certains, dans le déni, veulent leur attribuer, ni l'excès d'indignité que d'autres voudraient utiliser pour les disqualifier.
Est-ce que vous pensez que ces relations entre la police et la population vont finir par s'améliorer ?
On n'a pas d'alternative. C'est à dire que si la relation entre la police et la population continue à se dégrader, on va vers une société de l'affrontement qui va devenir rapidement invivable. Donc, je pense qu'on a un objectif commun qui est absolument impératif. C'est un impératif de survie démocratique pour notre pays. Parce que si la relation entre la police et la population se dégrade durablement, alors on a des inquiétudes très fortes à avoir sur notre respiration démocratique et notre État de droit.
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