Affaire Khashoggi : cesser la vente d'armes à l'Arabie saoudite "aurait de lourdes conséquences" pour la défense française
Romain Mielcarek, journaliste auteur de "Marchands d'armes, enquête sur un business français", a souligné samedi sur franceinfo l'importance économique des ventes d'armes françaises à l'Arabie saoudite, en pleine polémique liée au meurtre de Jamal Khashoggi.
L'Allemagne a annoncé cesser ses ventes d'armes à l'Arabie saoudite, après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Une annonce que le président français Emmanuel Macron a qualifiée vendredi de "pure démagogie" au cours d'une conférence de presse à Bratislava car les ventes d'armes n'ont "rien à voir avec M. Khashoggi".
Une déclaration commentée samedi 27 octobre sur franceinfo par Romain Mielcarek, journaliste auteur de Marchands d'armes, enquête sur un business français. Selon lui, l'arrêt de ces ventes d'armes "aurait de lourdes conséquences pour l'équilibre budgétaire d'entreprises majeures du secteur" et sur "notre capacité à équiper nos propres forces".
franceinfo : Est-il trop risqué pour la France de cesser de vendre des armes à l'Arabie saoudite ?
Romain Mielcarek : Il y a deux raisons pour lesquelles la France vend des armes. La première c'est de participer à l'équilibre de son industrie de l'armement qui est nécessaire à l'équipement en autonomie des armées françaises. La seconde c'est l'espoir que ça permette d'influencer ses différents clients. L'Arabie saoudite étant le deuxième client de la France sur les dix dernières années, renoncer à un tel client c'est perdre un marché colossal, et risquer de faire peur aux autres. (…) Ça aurait de lourdes conséquences pour l'équilibre budgétaire d'entreprises majeures du secteur de l'armement en France, et des conséquences du coup sur notre capacité à équiper nos propres forces.
Quel est le message d'Emmanuel Macron ? Que l'économie est plus importante que la diplomatie ?
Je crois que le message est surtout de rappeler aux Français déjà qu'on a une énorme dépendance à l'égard de cette industrie. Je rappelle que ça représente 200 000 emplois directs en France, en plus de toutes les populations et les communautés qui en dépendent. Le second message, c'est de rappeler à un certain nombre d'alliés de la France que ce genre de double discours peut être embêtant et que la France n'est pas le seul pays à profiter de ce marché-là.
L'Allemagne joue-t-elle un double jeu en annonçant arrêter de vendre des armes à l'Arabie saoudite ?
L'Allemagne est dans une position politique qui est de dire : "Nous on est prêts à s'engager à cesser nos livraisons". On peut lui reprocher un double jeu, car les Allemands bénéficient de marchés majeurs sur lesquels ils ne sont pas les premiers acteurs. On pense à la vente de l'avion Eurofighter, ce sont les Britanniques qui gèrent le marché. Les Allemands sont impliqués dans le projet Eurofighter donc impliqués qu'indirectement et ne peuvent pas bloquer la vente de ce type de matériel.
L'Allemagne prend-elle un risque moindre, finalement ?
Oui. Il y a déjà eu le cas il y a quelques années avec la Suède qui a dit : "Nous on fait un geste fort, on arrête de vendre". Mais leur marché en Arabie saoudite, c'était quelques dizaines de millions d'euros, on est loin des milliards signés par la France, et c'est là que c'est intéressant. Est-ce que l'Arabie saoudite est dépendante de la France parce qu'une partie de sa défense lui est fournie par Paris ? Ou est-ce que la France est dépendante de l'Arabie saoudite parce que dans son modèle économique elle ne peut pas se passer d'un client aussi majeur ? On ne sait pas trop qui est le plus dépendant de l'autre. Ce qui est sûr c'est qu'aujourd'hui on serait bien en mal de renoncer à un client aussi important.
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