"En Syrie ou en Irak, les engins explosifs sont plus sophistiqués qu'au Sahel" : comment "les experts" de Barkhane luttent contre les mines artisanales
40% des soldats français de l'opération Barkhane tués au sol le sont par explosion d'engin explosif improvisé (IED). Pour recueillir et analyser le moindre fragment de ces bombes, l'Armée de terre a installé sur la base malienne de Gao un laboratoire spécialisé.
Ils viennent d'un régiment du génie, d'une unité de guerre électronique ou de la gendarmerie ; ils sont spécialistes en recherches d'éléments chimiques, en identification criminelle ou en munitions et explosifs ; ils sont cinq, installés dans le laboratoire d’exploitation contre les engins explosifs improvisés (CIEL, pour Counter-IED Exploitation Laboratory) ; ils sont "les experts" de l'opération Barkhane au Sahel. Ces militaires sont chargés d'analyser les mines artisanales avec lesquelles les jihadistes piègent les itinéraires des soldats français notamment, et qui sont responsables de 40% des pertes humaines au sol.
En Syrie ou en Irak, les engins explosifs sont plus sophistiqués qu'au Sahel. Les IED (engins explosifs improvisés) qu'on analyse ici sont bien plus sommaires et rustiques
le capitaine Pascal, chef du laboratoire CIELà franceinfo
Ce laboratoire, créé en 2015, intervient en fin de chaîne, c'est à dire que ses équipes ne se déplacent pas. Quand un IED est découvert sur le terrain, deux cas de figure : il a explosé, ou il a été repéré avant. Dans le premier cas, une équipe de démineurs ramasse et catalogue les éléments disséminés ; dans le second, elle neutralise et dissocie l'engin, en ne conservant qu'un échantillon de la charge explosive. C'est ensuite au CIEL qu'a lieu le grand décorticage : "On détermine le rôle de chaque élément, détaille le capitaine Pascal, ce qui est électrique, pyrotechnique, la charge, le capteur. Nous devons comprendre comment fonctionne cet engin, ou comment il a été conçu avant d'exploser."
"Aucun détail n'est anodin"
Comme dans une enquête criminelle classique, ces experts traquent le moindre indice laissé par le concepteur ou le poseur de la bombe. Parfois, une empreinte digitale est trouvée sur un des composants, et cette empreinte est alors envoyée à Angers, au PIAM, le Pôle interarmées MunEx (munitions et explosifs), où elle enrichit une base de données. Mais tout indice a son importance : contenant, emballage, composition de l'engrais ayant servi à la confection de la charge. Tout est répertorié au CIEL, avec un objectif final : prévenir et préparer les soldats sur le terrain. "Aucun détail n'est anodin, rien n'est stupide, et ça nous permet d'illustrer le message que nous faisons passer aux soldats : on ne touche à rien", appuie le capitaine Pascal.
Les spécialistes du laboratoire, au terme de leurs analyses, ne sauront pas forcément associer l'engin retrouvé à une personne précise. Mais ils pourront identifier une signature commune à plusieurs IED, suivant les composants, la pose et la zone où il était dissimulé. "Parfois on retrouve des modes de mise en oeuvre pas vus depuis quelques temps, explique le chef du laboratoire, donc on se dit qu'un poseur ou un assembleur est revenu dans la région après une absence", explique encore le capitaine Pascal.
Indirectement, le travail des experts permet une forme de prédiction, en recoupant le nombre d'IED posés dans une même zone au cours d'une même période. "Ça nous permet de définir des points chauds, poursuit l'officier, et de ne jamais relâcher l'attention face à cette menace sournoise."
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