Reportage "La laine est devenue une charge pour mon exploitation" : dans l'Allier, les éleveurs n'arrivent plus à vendre les toisons de leurs bêtes

Les stocks de laine pourrissent dans les greniers des éleveurs de brebis. Désamour, prix dérisoire ou Covid : la matière ne trouve plus preneur.
Article rédigé par franceinfo
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Les éleveurs ne savent plus quoi faire de toute cette laine. (ELISABETH GARDET / MAXPPP)

Comment retisser les liens avec la laine française ? Alors que la France compte 5,4 millions de bêtes qui produisent chaque année environ 10 100 tonnes de laine, seulement 4% de cette toison est valorisée. Résultat : les stocks de laine s'amoncellent donc dans les fermes. Sur le sol du grenier de Sylvain Rey, éleveur de brebis à Maillard dans l'Allier : trois curons, de grands sacs en toile de jute remplis de laine. "Pour l'instant, il n'y a pas de preneurs. Personne nulle part", dit celui qui est également président du syndicat des éleveurs des moutons du département.

Le kilo de toison à 0,10 euro contre 1,20 euro il y a 10 ans

En tout, 185 kilos de toisons sont entassés depuis la dernière tonte et ne trouvent pas preneur. Et quand bien même Sylvain Rey arriverait à vendre sa laine, c'est pour un prix dérisoire de 0,10 euro le kilo au lieu de 1,20 euro il y a dix ans.

Quand vient le moment de faire tondre ses 85 brebis, il a l'impression de l'être aussi. "Pour faire 2,5 kilos de toison, je vais prendre un tondeur. Ce dernier va me prendre entre 2 et 3 euros par animal. Ensuite, il y a un attrapeur. Ce monsieur, je vais le payer en gros autour de 0,90 euro par animal, donc ça commence à être conséquent. Et si vous faites le rapport entre la quantité de laine que je vais récupérer, par rapport au prix de vente, la laine est devenue une charge pour mon exploitation", déplore l'éleveur.

"Il y a encore une vingtaine d'années, un dicton qui disait 'La laine, elle permet de payer le tondeur, l'attrapeur, les traitements pour la brebis. Et en plus, il reste quelque chose pour l'éleveur'. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas."

Sylvain Rey, éleveur de brebis

à franceinfo

Au fil des années, le désamour de la laine, remplacé par d'autres matières comme le coton ou encore le plastique, a conduit à une désindustrialisation de la filière. Il ne reste par exemple aujourd'hui plus qu'une seule unité de lavage en Haute-Loire. Puis la crise du Covid s'est rajoutée en faisant plonger les cours et s'amenuiser les exportations vers la Chine.

Conséquence : les stocks de laine s'accumulent chez les éleveurs qui ne peuvent même pas la détruire, car elle est classée en catégorie trois par l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), c'est-à-dire considérée comme produit dangereux et même comme un sous-produit animal par l'Union européenne.

Une toison qui vaut de l'or

"La laine est un produit vertueux, elle est naturelle et pousse sans discontinuer. C'est un produit noble, inépuisable. Donc c'est un produit qui a besoin de retrouver toute sa noblesse dans son utilisation par le commun des mortels", assure Sylvain Rey.

Sa façon à lui de lui redonner de la valeur, c'est d'en vendre à Geralde, sa voisine : 1,50 euro le kilo de laine de ses bêtes race "Île-de-France" qui permet de filer. "Ça, c'est un mélange de laine de Sylvain avec de l'alpaga et avec de la laine Angora qui est la marron, que j'ai trouvé sur Leboncoin et que j'ai acheté en vrac. Un bonnet, des mitaines, c'est tout. J'ai fait le petit ensemble", montre Gerarlde.

"Cette matière, elle n'est pas juste chaude. Cette matière, elle est vivante. Elle est vraie."

Gerarlde, voisine de l'éleveur

à franceinfo

Par le passé, Geralde a aussi utilisé la laine pour isoler un petit atelier. "On a tassé de la laine comme ça, sans rien d'autre. Et on a tassé très, très, très fort et on est monté jusqu'au plafond comme ça. Ça fait maintenant trois ans que l'atelier est fait et on se rend compte que l'isolant est toujours là, et qu'il est toujours très actif", défend Gerarlde.

La laine pour faire des matelas, du compost, du paillage...

Dans le textile, elle peut aussi servir à faire des matelas. Dans l'agriculture, à faire du compost ou du paillage. Alors si des initiatives locales existent en France, par exemple ces petits circuits courts ou des coopératives pour la revaloriser, elles sont insuffisantes pour relancer la filière.

Le collectif Tricolore, une association à vocation interprofessionnelle, a composé pour le gouvernement une feuille de route, le 16 mai dernier, avec sept recommandations et des marchés potentiels porteurs pour la laine française. Par exemple, 60 millions de mètres carrés d'isolant biosourcés pourraient être produits d'ici à 2025. Mais pour y parvenir, il faut maintenant la jouer collectif.

"Si on se met bien tous alignés dans cette filière, qui est assez longue puisqu'elle démarre évidemment avec l'élevage, mais sans les savoir-faire de transformation, sans le marché derrière les marques, la capacité de développement et de distribution, il n'y aura pas de possibilité de construire une filière", milite Pascal Gautrand, le délégué général du collectif. 

"Il faut réussir à accorder nos violons, à mettre ensemble des métiers qui aujourd'hui ne se parlent pas forcément, ne se connaissent pas très bien et qui pourtant pourront sans doute trouver des solutions viables et durables pour cette filière."

Pascal Gautrand, délégué général de Tricolor

à franceinfo

Pour l'horizon 2040, l'objectif est d'atteindre une production entièrement valorisée, pour des revenus pour les éleveurs estimés à 8,3 millions d'euros, projette le rapport du collectif. 

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