Mort suspecte, phénomène précoce, plan contesté... Trois signes qui montrent que la Bretagne n'en a pas fini avec les algues vertes
Un ostréiculteur de 18 ans a été retrouvé mort samedi en baie de Morlaix (Finistère). Les associations soupçonnent une intoxication aux émanations des algues vertes.
Comme chaque année, elles reviennent s'échouer sur les plages bretonnes à partir du printemps. Plusieurs baies de la région sont de nouveau envahies d'algues vertes en ce début du mois de juillet. "Six plages sont fermées dans la baie de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor). C'est du jamais vu", constate mardi 9 juillet, André Ollivro, de l'association écologiste Halte aux marées vertes, interrogé par franceinfo. Alimentées par les nitrates rejetés par les agriculteurs dans les cours d'eau, ces algues viennent s'échouer sur les plages des baies abritées de la houle. La pollution n'est pas que visuelle : en pourrissant, l'ulve produit un gaz toxique, le H2S.
Franceinfo vous explique pourquoi la Bretagne n'en a pas fini avec ce fléau.
Un nouveau décès suspect
Il travaillait comme saisonnier dans un parc à huîtres de la baie de Morlaix (Finistère). Un jeune homme de 18 ans a été retrouvé mort, samedi 4 juillet, sur son lieu de travail. Dans un courriel adressé lundi au procureur de Brest, deux associations de protection de l'environnement, Sauvegarde du Trégor et Halte aux marées vertes, évoquent "la piste d'une intoxication à l'hydrogène sulfuré", le gaz toxique libéré par les algues vertes échouées en décomposition. Elles assurent avoir découvert sur place "un vaste espace vaseux recouvert par une nappe continue d'algues vertes".
Dans une déclaration à l'AFP, le procureur de la République de Brest, Jean-Philippe Récappé, a promis une "autopsie pour savoir pourquoi ce jeune homme de 18 ans, censé être en pleine santé, est mort brutalement". "Le corps a été conduit à l'hôpital et les examens vont être faits", a-t-il assuré. Ce n'est pas la première fois que les algues vertes sont soupçonnées de tuer ou de blesser ces dernières années. Comme le rappelle France 3 Bretagne, sept cas d'intoxications d'hommes et d'animaux sont imputés aux marées vertes. En juin 2018, la justice avait reconnu que le décès d'un transporteur d'algues était un accident du travail.
Un phénomène très précoce et très important
L'année 2019 est particulière. "Nous avons une prolifération très précoce sur la baie de Saint-Brieuc, où nous avons égalé le niveau le plus haut jamais mesuré dans ce secteur, en 2017", constate pour franceinfo Sylvain Ballu, chercheur au Centre d'étude et de valorisation des algues (Ceva), un organisme public. Un phénomène qu'il explique par la conjonction de plusieurs facteurs : l'important stock d'algues de l'année précédente, un hiver peu tempétueux, de grosses pluies en juin pour grossir les cours d'eau et les chaleurs de ce début d'été. "C'est le cocktail explosif que l'on craint", résume le chercheur. Dépassée par cette prolifération d'algues, l'usine de traitement de Lantic a préféré fermer ses portes en urgence en fin de semaine dernière, après des plaintes de riverains, rapporte France 3 Bretagne.
Depuis 2002, le Ceva cartographie, grâce à des survols en avion, les surfaces recouvertes par les algues vertes. Ces chiffres montrent "un phénomène de yo-yo", explique Sylvain Ballu. "La conjonction annuelle est prépondérante. En juin, les débits des cours d'eau passent de un à dix. A Saint-Brieuc, ils ont divisé par deux les apports en nitrates. Mais si le débit est deux fois plus important, vous vous retrouvez avec la même quantité dans l'océan", illustre-t-il.
Si la quantité de nitrates dans les cours d'eau a baissé de manière "très nette" ces dernières années, Sylvain Ballu estime qu'il faudra du temps pour éradiquer les algues vertes. "Il y a un lissage des concentrations. Les pratiques agricoles ne sont pas révolutionnées d'une année sur l'autre", expose-t-il. L'eau des cours d'eau est en outre issue du lessivage des parcelles, qui peut prendre de longues années. "Nous avons aujourd'hui dans les cours d'eau de l'eau tombée il y a quinze, vingt ans. La qualité de l'eau que l'on mesure est issue d'une histoire", rappelle Sylvain Ballu. Celle de l'agriculture intensive en Bretagne.
Un plan de lutte jugé inefficace
Le 6 juillet, sur une plage de Morieux, André Ollivro et les militants de son association ont procédé à "l'enterrement" de la baie de Saint-Brieuc. Pour lui, ces nouvelles marées vertes signent l'échec du second plan de lutte contre les algues vertes (Plav2) lancé en 2017, dont l'objectif est de réduire les fuites d'azote dans les cours d'eau. "Il n'est pas appliqué, ce n'est que du volontariat, argumente l'écologiste. On nous avait pourtant dit que si ça ne marchait pas, cela deviendrait contraignant au bout de trois ans. Cela n'a pas été le cas". Il regrette par exemple que le préfet des Côtes d'Armor ait décidé d'abroger en janvier, comme le racontait Ouest France, le programme d'action sur le bassin de l'Ic, qui se jette dans la baie de Saint-Brieuc.
Son constat est partagé par l'association Eaux et rivières de Bretagne. "Les objectifs ne sont pas assez ambitieux et tous les moyens ne sont pas mis en place (réglementation et contrôles, réduction des épandages de fertilisants, analyses de reliquats azotés dans les sols, projets économiques globaux de territoire, modification de cultures…)", estime l'association dans un communiqué publié le 3 juillet. Elle réclame "des mesures d'urgence" contre l'algue verte. André Ollivro veut, lui, "un plan Marshall contre les algues vertes", avec des aides conséquentes pour la transition des agriculteurs vers le bio et des formations dans les écoles agricoles pour des pratiques plus durables.
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