Exemptions sur le blé ukrainien : une concurrence déloyale ?

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OEIL DU 20H BLE UKRAINIEN
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Pour soutenir l’Ukraine et son effort de guerre, voilà deux ans que l’Union Européenne lui permet d’exporter du blé, sans quota, ni frais de douane. Certains agriculteurs français et européens se demandent aujourd’hui si cette mesure ne favorise pas une concurrence déloyale.

Dès les premiers jours de la guerre en février 2022, l’Ukraine sous les bombes est parallèlement victime d’un blocus de la marine russe en Mer Noire. Plus aucun bateau ne quitte Odessa, l’un des plus gros ports céréaliers du pays, fournissant notamment le Moyen-Orient et l’Afrique. Afin d'éviter une crise alimentaire mondiale, il faut alors débloquer une autre route : trois mois plus tard, l’Union Européenne exempte l’Ukraine de frais de douane et de quotas pour lui permettre de faire transiter son blé notamment par la route, via la Pologne et la Roumanie. 

Résultat, les exportations de blé ukrainien vers l’Union Européenne ont presque été multipliées par 17. Passant de trois cent cinquante et un mille tonnes avant guerre, à plus de 6 millions en 2023, selon les derniers chiffres de la Commission européenne

Cette explosion de l’offre a fait dégringoler le cours du blé, au grand dam des céréaliers français, comme Pierre Bot, à la tête d'une exploitation à Saclay, dans l'Essone. De 430 euros la tonne il y a deux ans, elle atteint moins de 200 euros aujourd’hui. 

A ce prix-là, il dit avoir tout juste couvert ses coûts de production, et redoute de vendre à perte lors de la prochaine récolte. “On a des produits qui arrivent sur le marché et qui n'ont pas le même cahier des charges que nous, les coûts de production ou de la main d'oeuvre n'ont rien à voir... Je n'ai rien contre soutenir l'effort de guerre, mais c’est forcément vécu comme une forme de concurrence deloyale” affirme l'agriculteur.

À qui profite la crise ?

Grâce à cet accord temporaire de libre circulation, certains pays membres de l’Union Européenne en profitent pour faire le plein de blé ukrainien. Pour le constater, nous nous sommes rendus en Espagne, à Barcelone. Les livraisons de cargos en provenance d'Ukraine sont devenues ordinaires, comme nous le constatons ce jour-là, avec l'arrivée d'un navire, aux cales chargées de blé.

L’Espagne est devenue le premier acheteur européen de blé ukrainien. Avant la guerre, le pays se procurait jusqu’à 350 000 tonnes par an. C’est plus de 2,8 millions de tonnes désormais. 

Sur le port, un importateur espagnol assume préférer le blé ukrainien, dont le prix est selon lui imbattable. A ceux qui l'accusent d'être un profiteur de crise, José Luis Esteban tempère.

“Il y a toujours des gens qui profitent dans les crises. Je ne dis pas que c’est de façon malhonnête. Il y a des gens qui savent tirer parti de situations compliquées”

José Luis Esteban, importateur et président de la bourse aux céréales de Barcelone

L'Espagne, confrontée à des sécheresses à répétition, profiterait-elle de la crise ukrainienne pour remplir son grenier à moindre coût ? Nous avons contacté plusieurs industriels par téléphone, tous ont refusé de répondre à nos questions, affirmant qu'il s'agissait d'un "sujet sensible".

Si ces exemptions mises en place par l’Union Européenne sont de plus en plus critiquées. C’est parce que la route de la mer noire est à nouveau exploitable. Les bateaux en partance d’Ukraine peuvent depuis quelques mois réemprunter, comme avant la guerre, le détroit du Bosphore et ainsi gagner les ports du Moyen-Orient, d'Afrique du nord et d’Europe.

Nous avons joint un céréalier français installé en Ukraine. Selon lui, la réouverture des routes maritimes ne justifierait plus le traitement de faveur sur le blé ukrainien : “c’est quelque chose qui n’est pas nécessaire. Sachant qu’il vaut mieux que l’Europe dépense de l’argent à sécuriser un canal maritime pour être sûr que la Russie ne puisse pas bombarder Odessa, viabiliser les passages existants."

De son côté, la Commission européenne se dit à l’écoute des agriculteurs européens. "La commission se tient prête à introduire des restrictions à tout moment si la situation du marché le justifie, dans le but d’équilibrer notre soutien à l’Ukraine avec la nécessité de sauvegarder les intérêts des agriculteurs de l’UE”. Une déclaration alors que l’Europe vient de prolonger jusqu’en juin 2025 l'absence de frais de douane et de quotas pour les importations de blé ukrainien.

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