Cet article date de plus de huit ans.

En Ille-et-Vilaine, des éleveurs tentent la vente directe pour faire face à la crise du lait

Avec son oncle, son père et un cousin, Christophe gère une exploitation d’une centaine de vaches laitières à Betton (Ille-et-Vilaine), près de Rennes. Face à la crise du lait, il a choisi un moindre mal : la vente via une coopérative et directement depuis sa ferme.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Christophe, dans son exploitation de La Brandais, à Betton (Ille-et-Vilaine), le 30 août 2016. (ELISE LAMBERT/FRANCE INFO)

Comme chaque jour depuis quatre ans, Christophe s’est levé à l’aube. A 5h30, le Breton de 32 ans réveille ses bêtes pour la première traite de la journée. Quelque 140 Prim'Holstein alignées dans un bâtiment tout neuf, aménagé il y a deux ans. "Ici, on produit 1,2 million de litres de lait par an", explique le jeune homme en caressant une vache. Il nous reçoit dans son étable, mardi 30 août, alors que les négociations entre Lactalis et des éleveurs se tiennent en Mayenne. 

"Une grosse partie part en coopérative, chez Agrial, une autre est vendue directement dans notre magasin." La coopérative est un regroupement de producteurs, géré par ses membres. "Sur le papier, c'est plus transparent, plus équitable, mais Agrial est une très grosse structure. Son fonctionnement diffère peu au final des laiteries privées", précise Christophe.

Christophe au milieu de ses vaches laitières, à Betton (Ille-et-Vilaine), le 30 août 2016. (ELISE LAMBERT / FRANCE INFO)

A 265 euros la tonne de lait vendue chez Agrial, Christophe vend son lait "un petit peu au-dessus" de la moyenne de la plupart de ses collègues, fournisseurs de Lactalis, le groupe laitier à l’origine de mouvements de contestation"Mais faut pas rêver, c’est un moindre mal. La filière du lait traverse une crise dramatique." Face à la baisse du prix du lait, 37% des exploitations laitières françaises ont disparu en dix ans, indique le site d’expertise agricole Plein Champ. Le taux de cessation d’activité dans les 60 000 exploitations de France devrait doubler cette année, pour avoisiner les 9%, précise Le Monde.

La veille, celui qui s'est syndiqué aux JA (Jeunes agriculteurs) a rejoint le blocage du site logistique du numéro 1 mondial du lait, à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), pour dénoncer les prix imposés par le groupe aux producteurs (257 euros pour 1 000 litres de lait). "Je ne suis pas chez Lactalis, mais je les soutiens. Par solidarité, et parce que Lactalis est le chef d’orchestre de la filière. Ses prix déterminent ceux des concurrents."

Le prix du lait, imposé aux producteurs

Comme la plupart des producteurs de lait, Christophe est né "dans le lait". La ferme de La Brandais, sur la commune de Betton, près de Rennes, a débuté avec ses grands-parents à l’après-guerre. Puis elle a été reprise par son père, son oncle, un cousin éloigné et lui. Depuis 1981, l’exploitation d’un hectare est gérée au sein d’un Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) et s’en sort plutôt bien. Alors que de nombreux producteurs peinent à payer leurs charges et ne se dégagent aucun salaire, Christophe confie à demi-mots réussir à se verser un salaire mensuel "correct", sans plus de détails.

La raison ? Une diversification de l'activité et un lait vendu en coopérative à un prix "correct", même s'il est bien en dessous du coût de production (entre 300 et 350 euros la tonne de lait). "On vend environ 95% de notre production à Agrial. Le reste, on le transforme et on le vend dans notre magasin, explique Christophe. La vente à la coop nous rapporte environ 320 000 euros par an, la vente directe environ 40 000 euros." Des chiffres indicatifs, puisque "les producteurs ne sont pas maîtres des prix, les laiteries décident pour eux, en fonction de la conjoncture, du marché." C'est en partie pour cette raison que la famille a décidé, il y a quinze ans, de créer un GIE (groupement d'intérêts économiques), regroupant plusieurs producteurs, les Douz' arômes.

Limiter les intermédiaires, valoriser le lait

Le magasin Douz' arômes, à Betton (Ille-et-Vilaine), le 30 août 2016. (ELISE LAMBERT / FRANCE INFO)

Dans ce petit bâtiment en bordure de la voie express, tout près de l'exploitation, 14 producteurs vendent, quatre jours par semaine, les produits directement issus de leurs fermes. "Les 'Douz'arômes', permet aussi aux clients de nous trouver toute l'année. Quand on faisait les marchés l'été autrefois, certains se plaignaient de ne plus nous trouver l'hiver", explique Didier, l'oncle de Christophe. Dans ce magasin, on trouve des légumes, des fruits, du poulet, du canard, du fromage, des produits laitiers, les traditionnelles galettes et crêpes bretonnes, mais aussi du cidre et des céréales.

"On limite les intermédiaires, on valorise notre lait et les clients sont satisfaits", se félicite Christophe. En boutique, le lait est vendu environ 1 euro le litre, contre 26 centimes d'euro à la laiterie. Cela lui a aussi permis de mettre la main à la pâte. "Je fais les crêpes, le riz au lait... J'ai appris sur le tas, je cuisine aussi des recettes de grand-mère !" Chaque producteur récupère l'argent qu'il a gagné en vendant ses produits, mais le GIE prélève des fonds pour l'entretien du magasin et l'emploi de ses salariés, soit 5,5 postes. "C'est un autre métier, mais c'est tout aussi plaisant, précise Didier, j'y ai appris la boucherie, je rencontre les clients."

Les produits laitiers du magasin Douz'arômes, à Betton (Ille-et-Vilaine), le 30 août 2016. (ELISE LAMBERT / FRANCE INFO)

Un modèle limité

La structure leur permet de se dégager des revenus supplémentaires, mais Christophe prévient : "Cela reste minime. Le magasin nous permet de faire vivre une seule personne, mais nous sommes quatre." A long terme, impossible de prédire l'avenir de l'exploitation. "Moi, je me suis installé parce que c'était possible. Il y a quelques années, le prix du lait était très bon, c'était 340 euros la tonne. Avec la fin des quotas, c'est devenu n'importe quoi." Le GAEC peut aussi compter sur la vente de céréales, de blé, de maïs et de colza, produits dans leurs champs. "Une source de revenus complémentaires."

En attendant, pourquoi les producteurs ne se tournent-ils pas plus vers la vente directe ? "Tout le monde ne peut pas faire comme nous ! Il faut pouvoir investir, avoir une banque qui accepte de prêter, et être accessible aux clients. Notre exploitation est située près d'une grande ville [Rennes], mais un gars isolé en campagne ne va pas s'amuser à ouvrir un magasin tout seul !"

"Qui veut encore acheter notre lait ?"

Christophe, producteur laitier à Betton (Ille-et-Vilaine), dans son bureau, le 30 août 2016. (ELISE LAMBERT / FRANCE INFO)

Au-delà de la diversification, une question domine : "Qui veut encore acheter notre lait ?" La fin des quotas laitiers, le 1er avril 2015, couplé à la baisse de la demande chinoise et à l'embargo russe ont provoqué une surproduction de lait en France et en Europe. "On a beaucoup plus d'offre que de demande, le prix du lait baisse chaque mois." Le producteur regrette le manque d'alignement des normes au niveau européen : "Les normes françaises sont beaucoup plus exigeantes qu'en Pologne ou aux Pays-Bas. Le lait étranger est donc moins cher et les laiteries vont voir ailleurs. On est pieds et poings liés !"

Malgré cette situation, Christophe ne pense pas à produire "moins", ni "différemment". "On a investi le matériel pour produire, on doit produire. Ou alors il faut nous indemniser." S'il dit aimer la performance, il ne voit pas, de toute façon, comment faire autrement. L'agriculture biologique ou raisonnée ? Il balaye l'option d'une main : 

Je n'ai pas la mentalité du bio. Et puis ça sert à quoi si les autres pays européens continuent à produire de façon intensive ?

Christophe

A franceinfo

Mardi 30 août, Lactalis et les producteurs de lait se sont mis d'accord pour augmenter le prix du lait jusqu'à la fin de l'année. Un accord qui laisse Christophe un peu pantois. "C'est une petite embellie pour toute la filière, c'est certain. Mais jusqu'à quand ?"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.