Crise du lait : quatre questions sur l'accord entre les éleveurs et le groupe Lactalis
Cet accord a été trouvé après plusieurs jours de mobilisation des producteurs laitiers. Mais il est loin de mettre un terme à la crise dans ce secteur.
Trois jours de négociations difficiles, des charriots entiers de bouteilles de lait trimballés dans les rayons des supermarchés et quelques tonnes de fumier sur les routes plus tard, un accord a été trouvé, mardi 30 août. Réunis autour de la table, à la préfecture de Mayenne, cinq représentants des producteurs de lait et trois représentants de Lactalis, le numéro 1 mondial du lait, dont le siège est à Laval, se sont mis d'accord sur un nouveau "prix du lait". Il s'agit en fait du prix auquel le groupe rachète aux éleveurs leur matière première, avant de la transformer et de la mettre en rayons via ses nombreuses marques (Lactel, Président, Bridélice, La laitière, Salakis, etc.)
Tombé à 257 euros la tonne en juillet, ce prix ne permet plus aux agriculteurs de couvrir leurs frais : et pour cause, la production d'une tonne de lait leur coûte au minimum 300-320 euros, selon la FNSEA, premier syndicat agricole. D'où la nécessité de rééquilibrer ce prix. Mais cela va-t-il permettre de sortir la filière de la crise qu'elle traverse ? Pas si sûr.
Que promet l'accord entre Lactalis et les éleveurs ?
L'accord avec Lactalis fixe le prix de la tonne de lait à "290 euros en moyenne" pour les cinq derniers mois de l'année, a précisé Sébastien Amand, vice-président de l'Organisation de producteurs Normandie Centre. Ce qui implique une hausse du prix d'ici à janvier 2017, à hauteur de 5 euros supplémentaires par tonne tous les mois jusqu'à la fin de l'année. Et puisqu'il est à 280 euros en août, il atteindra donc 300 euros en décembre. Si l'on fait une moyenne à l'année, cela établit le prix du lait en 2016 à 275 euros la tonne.
"Ce prix du lait permet de donner une perspective de 300 euros pour 1000 litres sur la fin de l'année 2016", a indiqué Michel Nalet, porte-parole du groupe Lactalis, dans un communiqué.
Que pensent les négociateurs de ce compromis ?
"On considère que c'est une étape franchie", a commenté le secrétaire général de la FNSEA, Dominique Barrau, estimant qu'il est "important que Lactalis revienne dans le rang." Plus tôt dans les négociations, les producteurs avaient par ailleurs refusé une proposition à 280 euros la tonne, suggérée par le médiateur des relations commerciales et acceptée dans un premier temps par Lactalis. Ensuite, l'industriel avait proposé une augmentation de 15 euros par tonne de lait, soit environ 271 euros, un geste perçu comme un camouflet par les agriculteurs.
Cet accord permet de s'inscrire dans une perspective d'augmentation du prix du lait, mais ne permet toujours pas aux éleveurs de retrouver des finances à l'équilibre. Il est même "peu glorieux", selon l'Organisation des producteurs de lait Lactalis du Grand ouest, qui réclamait davantage. Selon la FNSEA, le prix de production d'une tonne de lait s'établit au minimum à 300 euros. "Evidemment, cette revalorisation du prix ne suffira pas à combler les problématiques financières et les déficits qu'il y a dans les exploitations", a d'ailleurs concédé Sébastien Amand, vice-président de l'Organisation de producteurs Normandie Centre.
A l'inverse, c'est déjà beaucoup pour Lactalis, affirme le groupe : "Le prix du lait négocié par le groupe Lactalis pour les prochains mois est largement supérieur à son environnement économique et à ses principaux concurrents coopératifs, dont la répartition d'activités est proche de la nôtre", indique son porte-parole, Michel Nalet, dans un communiqué. "Cette avancée significative (...) représente un soutien d'environ 150 millions d'euros en 2016 par rapport à ses engagements contractuels", ajoute le groupe.
Et les concurrents de Lactalis alors, ils sont tranquilles ?
Avec cet accord, les éleveurs ont obtenu les concessions d'un mastodonte. En France, un producteur sur cinq travaille pour Lactalis, soit 20% de la collecte française, ou 5 milliards de litres de lait collectés sur un total de 25 milliards produits annuellement en France. Or, le groupe facture la tonne de lait 10 à 30 euros de moins que ses concurrents, tels que Danone, Bongrain, Bel ou encore la coopérative Sodiaal, expliquait L'Obs avant le début des négociations. Et "ces quelques dizaines d’euros peuvent faire toute la différence si l’on considère qu’une ferme moyenne (environ 45 vaches) produit entre 300 000 litres et 400 000 litres de lait par an", selon l'hebdomadaire. Par ailleurs, Danone, l'autre géant qui travaille avec 2 000 éleveurs en France, avait annoncé en février un accord sur les prix intégrant en partie les coûts de production, en échange d'un plafonnement des volumes, détaillaient Les Echos.
Mais au-delà des prix bas pratiqués par Lactalis, ce sont tous les éleveurs qui souffrent de prix trop bas à l'échelle mondiale.
Donc les éleveurs sont sauvés ?
Pas vraiment, car la crise est structurelle. Ces dernières années, la demande mondiale en lait s'est effondrée, alors même que les éleveurs avaient été invités à investir pour produire davantage. Souvent endettés, ils se retrouvent avec des tonnes de lait sur les bras, contraints de brader leur production et dans l'impossibilité de se verser un salaire.
La disparition des quotas laitiers européens en 2015 (qui permettaient de fixer une quantité maximum par pays), a rendu les producteurs particulièrement vulnérables à ces fluctuations de prix. Les Européens, gros producteurs de laits, tablaient sur une croissance de la demande mondiale, mais c'est l'inverse qui s'est produit : l'embargo russe sur les produits européens et l'effondrement de la demande chinoise ont provoqué l'effondrement de la demande.
Résultat : les Etats tentent de sortir les éleveurs du marasme à coup d'aides. En juillet 2015, le gouvernement français a déjà livré une enveloppe de 600 millions au secteur agricole (mais pas uniquement au secteur laitier.) Aujourd'hui, la Commission européenne est contrainte de payer les éleveurs pour du lait qu'ils ne produiront pas. En juillet, elle annonçait une enveloppe de 500 millions d’euros pour aider les agriculteurs européens à réduire les volumes.
En outre, "la crise en cours révèle aussi des difficultés structurelles des exploitations laitières françaises de plaine (hausse des charges courantes, perte d’efficacité économique, calibrage des investissements, financement…)", estime un rapport de l'Institut de l'élevage daté de mars 2016. Autant de difficultés que l'accord signé mardi ne peut résoudre.
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