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L'Angle éco. Mauléon s’invente un avenir sans chômage de longue durée

Bientôt, 200 chômeurs de longue durée de Mauléon auront un emploi en CDI. Tous seront payés au Smic, grâce au transfert des fonds qui financent leurs aides sociales. Bienvenue dans l’un des cinq premiers “territoires zéro chômeur de longue durée”. Pour Francetv info, "L'Angle éco" s'est rendu sur place.

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Mauléon, 8 600 habitants, au nord des Deux-Sèvres, s'est engagée dans l'expérimentation "Territoire zéro chômeurs longue durée" imaginée par ATD Quart Monde (HAUSER PATRICE / HEMIS.FR)

Une petite révolution est en marche à Mauléon, l’un des cinq premiers “territoires zéro chômeur de longue durée”. Cette commune de 8 600 habitants, au nord des Deux-Sèvres, s’est engagée dans un sacré pari. Dans quelques mois, les 200 chômeurs de longue durée de la ville pourront retrouver un travail en CDI. Certains aideront des personnes dépendantes. D’autres participeront à la préservation de l’environnement et du patrimoine local. Tous seront payés au Smic, grâce au transfert des fonds qui finançaient jusqu’ici leurs aides sociales.

Pour combattre le chômage de longue durée, Denis Prisset, chef d’entreprise, Pierre-Yves Marolleau, maire de Mauléon, Bernard Arru, porteur du projet, Jean Grellier, député des Deux-Sèvres, travaillent main dans la main (VALENTINE PASQUESOONE/ L'ANGLE ÉCO)

La loi d'expérimentation territoriale est votée

Une utopie ? Le projet devient plutôt une réalité. L’initiative, portée par l’association ATD-Quart Monde, est devenue une proposition de loi défendue par le député PS de la Côte d’Or Laurent Grandguillaume. Le texte a été approuvé à l’unanimité le mois dernier. A travers la France, des dizaines de territoires peuvent désormais commencer l’expérimentation. Ils ont cinq ans pour tester l’idée.

A Mauléon, 90 personnes se sont déjà portées volontaires. La ville, pourtant, ne compte “que” 6,7% de demandeurs d’emploi selon la mairie. Mais il y a parmi eux des hommes et des femmes, jeunes comme seniors, qui ne retrouvent plus le chemin de l’emploi. “Certains d’entre eux ballottent d’emploi précaire en emploi précaire depuis vingt ans”, prévient Bernard Arru, porteur du projet sur le territoire. D’autres sont au chômage depuis cinq, voire dix ans. “Le projet s’adresse en priorité à ceux qui sont les plus touchés par le drame du chômage”, poursuit-il.

Une page qui se tourne

Ces personnes, Bernard Arru les connaît bien. Il dirige depuis vingt-quatre ans l’entreprise d’insertion Les Ateliers du Bocage, après trente-deux ans passés chez Emmaüs. Ce jour-là, il retrouve sur la place de la mairie trois futurs salariés” du projet. C’est ainsi qu’il aime les appeler. Pour lui, plus question de parler de chômeurs de longue durée. Eric Lesage, 45 ans, cherche un travail depuis son licenciement il y a deux ans. Mohamed Masrour, 62 ans, enchaîne les courtes missions d’intérim depuis dix ans. Sébastien Riodel, lui, a perdu son travail à l’âge de 32 ans. C’était il y a six ans.

Bernard Arru leur annonce qui sera leur futur “patron”. Il vient d’être recruté. Le porteur du projet emmène ensuite Eric et Mohamed sur l’un de leurs futurs chantiers, près du centre de Mauléon. “Moi, j’ai envie de travailler, c’est normal, sourit Eric, qui ne trouve même pas de mission d’intérim. Il faut attendre, mais c’est une chance.” “Ça va changer beaucoup de choses”, poursuit Mohamed, qui peine à payer ses factures chaque mois. Pour ces “futurs salariés”, la page d’un long chômage va bientôt se tourner.

Mohamed Masrour, 62 ans, enchaînait les courtes missions d’intérim depuis dix ans. Son futur emploi va l'aider à payer ses factures  (VALENTINE PASQUESOONE/ L'ANGLE ÉCO)

Tout à construire

A la mairie de Mauléon, Bernard Arru retrouve l’édile divers droite de la ville, Pierre-Yves Marolleau. Les deux responsables locaux, candidats aux élections municipales de 2014, se connaissent bien. Ils travaillent désormais main dans la main sur le projet. Dans la ville, l’expérimentation a réussi à dépasser les clivages politiques.

Le maire reconnaît avoir mis du temps à être convaincu par l’idée. Quand Patrick Valentin, à l’origine du projet chez ATD Quart Monde, vient le rencontrer, Pierre-Yves Marolleau est alors président de la Maison de l’emploi du bocage bressuirais. “Ce concept nous a paru utopique dans un premier temps, avoue-t-il. Mais cela nous a quand même interrogé.” Comment trouver suffisamment de travail ? Comment ne pas entrer en concurrence avec les emplois existants du secteur privé ? L’édile sait qu’il s’agit toujours de “la marche la plus difficile à franchir”. Mais l’enthousiasme est palpable parmi les demandeurs d’emploi et acteurs économiques locaux.

Créer des emplois en fonction des besoins et des compétences

La première étape – identifier les “futurs salariés” et leurs premières missions – est déjà bien lancée. La ville rencontre des demandeurs d’emploi pour mieux cerner leurs envies et leurs compétences. “On va complètement à l’envers de ce que peut faire Pôle emploi”, soutient Pierre-Yves Marolleau. Au lieu d’offrir des emplois précis, le projet les crée en fonction des besoins de la ville, mais aussi des capacités et intérêts des chômeurs. Un sacré pari. Le maire promet plusieurs dizaines d’emplois pour démarrer. Mais l’engagement est pris : en six à neuf mois, Mauléon devra offrir du travail aux 90 personnes déjà volontaires.

Imaginer une autre approche

Les prochaines semaines s’annoncent cruciales. “L’étape législative est passée avec succès. Il faut maintenant voir comment nous mettons cette expérimentation en place”, explique Jean Grellier, député PS des Deux-Sèvres, à la mairie de Mauléon. L’élu a fait partie du groupe de travail ayant soutenu le projet à l’Assemblée nationale. “L’évolution des compétences et des qualifications laisse sur le bord de la route un certain nombre de personnes, pour qui il fallait imaginer une autre approche”, soutient-il. Prochaine étape : voir la capacité du projet “à être une passerelle vers le monde du travail”. En un mot, faire en sorte que l’initiative rapproche ces chômeurs de l’emploi classique.

Le maire Pierre-Yves Marolleau et le directeur des Ateliers du bocage Bernard Arru veulent aider à construire une "passerelle vers le monde du travail" pour les chômeurs du Grand Mauléon  (VALENTINE PASQUESOONE/ L'ANGLE ÉCO)

Une initiative qui "ne coûte pas d'argent à la collectivité"

L’Entreprise à but d’emploi (EBE), la structure qui fera travailler ces personnes, devra être financièrement viable. “L’objectif est qu’elle ne coûte pas d’argent à la collectivité”, poursuit Denis Prisset, PDG des Meubles du vieux moulin, à Mauléon : 75% du projet seront financés par le transfert des fonds alloués aux aides sociales, les 25% restants devront venir de la facturation des services. “Il faut que cela soit rentable. C’est un pari passionnant”, soutient le chef d’entreprise, chargé de trouver des futurs “clients” à l’EBE. Aux Meubles du vieux moulin, on imagine déjà des inventaires ou du mailing qui pourraient être faits par d’anciens demandeurs d’emploi. “Pour l’instant, ce sont mes parents qui le font”, sourit Denis Prisset.

"Recourir à ces emplois sera moins cher pour nous"

Pierre-Yves Marolleau assure de son côté que la mairie aura besoin d’aide pour des travaux. Il évoque également le cas d’un horticulteur de Mauléon, qui recherche des personnes pour éclaircir ses plants. “Il ne trouve personne pour le faire, même en passant par des agences d’intérim”, assure-t-il. Les idées germent pour assurer la pérennité du projet.

Une part importante de ces emplois sera dédiée aux services à la personne. La résidence Les Tilleuls, qui loge 22 résidents d’une moyenne d’âge de 88 ans, voit déjà l’intérêt d’une telle initiative. “Nous avons des besoins pour les sorties, pour le tri sélectif, explique Magali Turpeau, responsable de la structure. Recourir à ces prestations sera moins cher pour nous. Cela dégagera aussi du temps pour le personnel.”

Certains loisirs des résidents sont aujourd’hui limités, faute de financement et de bénévoles disponibles. Faire appel à des salariés de l’EBE pourrait être une solution pour accompagner des sorties et faire les courses. “Quand on souhaite aller à un rendez-vous, nos enfants doivent se rendre libre. Mais nous n’aimons pas les déranger”, explique Marie Landreau, 90 ans. Nous pourrions avoir besoin de ces personnes pour nous déplacer.”

La maison de retraite Les Tilleuls va faire appel aux futurs salariés de l’Entreprise à but d’emploi. Ils pourront accompagner les sorties de Marie Landreau et Ginette Nègre… (VALENTINE PASQUESOONE/ L'ANGLE ÉCO)

Compléter le travail des bénévoles

De par son expérience auprès d’Emmaüs et de l’entreprise d’insertion Les Ateliers du bocage, Bernard Arru est très proche du milieu associatif mauléonais. Ils réfléchissent ensemble à la manière dont le projet peut compléter le travail des bénévoles. Guy-Noël You, directeur du centre socioculturel du pays mauléonais, sait par exemple qu’un certain nombre de personnes âgées ne parviennent pas à ouvrir leurs volets. “Même la solidarité de voisinage ne répond pas toujours à ça. Certaines personnes restent des heures avec leurs volets fermés”, explique-t-il. Et si l’un des salariés de l’EBE prenait le relais ?

En discutant, Guy-Noël You confie à Bernard Arru que le centre socioculturel aura sûrement besoin d’aide en matière de logistique. Des petites missions, comme la pose d’étagère, que les salariés ne peuvent pas prendre en charge.

Quand l'utopie devient réalité

A Emmaüs, la communauté a également quelques idées en tête. Bernard Arru y retrouve deux amis, Jean-François Girard et André Marot. Collecte de compost, travail de menuiserie et manutention… Tous les trois discutent de possibles missions pour les futurs salariés de l’EBE. “C’est le début de notre réflexion sur le sujet, reconnaît Jean-François Girard, coresponsable de la communauté Emmaüs. Mais des gens viennent en permanence nous voir pour nous demander du travail. Ils ont besoin de se réaliser dans du travail, mais certains ne peuvent pas trouver d’emploi classique.”

André Marot, bénévole de la communauté, partage ces observations. Le Mauléonais de 73 ans trouvait le projet un brin utopique à ses débuts. Mais aujourd’hui, il voit l’intérêt de l’expérimentation : “Les gens ont envie de faire des choses. C’est redonner vie à des gens qui tournent en rond.”

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