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Violences sexuelles au travail : briser le silence

Le lieu de travail est plus souvent que l'on croit le théâtre de violences sexuelles (harcèlement, agressions, viol). Celles-ci restent un sujet encore tabou. Le point avec Marilyn Baldeck, responsable de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).
Article rédigé par Francetv Emploi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min

Comment se traduisent les violences sexuelles et sexistes au travail ?Marilyn Baldeck : Toutes les violences sexuelles réprimées par la loi peuvent être commises au travail :

  •     le harcèlement sexuel, défini comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle",
  •     "l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public", ce qui est le cas de l'entreprise,
  •     l'agression sexuelle, à savoir "toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise". Ces atteintes sexuelles pouvant se traduire par des attouchements sur les seins, les cuisses, les fesses, le sexe ou des baisers forcés,
  •     le viol, qui est défini comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise".

Ces violences sexuelles sont pour la plupart sexistes, c'est-à-dire qu'elles sont commises à l'encontre d'une femme parce qu'elle est une femme. A contrario, une violence sexiste n'est pas nécessairement sexuelle (quand une femme, parce qu'elle est une femme, est victime de violences physiques par exemple).Les lois sanctionnant le harcèlement sexuel n'ont été votées en France qu'en 1992. Sont-elles satisfaisantes pour les victimes ?M. B. : Les textes français sanctionnant le harcèlement sexuel ont la particularité de n'apporter aucune définition du harcèlement sexuel (qui n'est que le fait de harceler). La victime doit en plus rapporter la preuve que la personne qu'elle met en cause a voulu "obtenir des faveurs de nature sexuelle".En matière pénale, à l'absence de définition précise se substitue donc l'appréciation des magistrats qui ont plutôt tendance à considérer que les faits dénoncés "ne sont pas si graves que ça" et à se servir du délit de harcèlement sexuel pour déqualifier des agissements qui auraient dû être qualifiés d'agressions sexuelles voire de viol.En matière prud'homale, nous avons la possibilité d'écarter la (mauvaise) définition française au profit de la définition européenne du harcèlement sexuel, plus précise, plus complète, et qui n'exige pas que la victime prouve l'intention de l'auteur d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. La définition communautaire indique le harcèlement sexuel peut s'exprimer de manière "verbale" ( ex : confidences intimes, remarques sur le physique, propositions à caractère extra-professionnel qui persévèrent malgré les refus), de manière "non verbale" (ex : mimes d'actes sexuels, images pornographiques) ou "physique" (massage sur les épaules, effleurement des cheveux, attouchements sur des parties du corps non sexuelles) et doit avoir pour objet, sinon pour effet, de "porter atteinte à la dignité d'une personne et en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant".Les femmes sont visiblement plus touchées par ces violences. Comment cela s'explique-t-il ?M. B. : Nous recevons des hommes, dans une infime proportion, moins de cinq chaque année. Précisons tout de même que ces hommes qui nous ont contactées jusqu'ici ont subi des violences sexuelles ou sexistes de la part d'autres hommes. Il reste vrai que les victimes sont des femmes dans des proportions écrasantes. Cela s'explique assez simplement : ce sont les hommes qui détiennent le pouvoir dans le monde du travail. Ils occupent la majorité des postes à responsabilités, même dans des secteurs très féminisés, comme la médecine que les femmes ont massivement investi ! Le pouvoir est concentré dans les mains des hommes, et les violences sexuelles et sexistes ne sont rien d'autres qu'une expression du pouvoir.Y a-t-il des secteurs d'activité plus touchés que d'autres ?M. B. : Les violences sexuelles et sexistes touchent tous les secteurs d'activité, et elles transcendent les classes socio-professionnelles. Néanmoins, certains domaines sont particulièrement touchés :

  •     les métiers de la sécurité : pompiers, police, sécurité privée,
  •     le secteur médical et social : un médecin a été suspendu de l'ordre des médecins grâce à un enregistrement. Dans le secteur associatif, le droit du travail n'est pas toujours respecté. Par exemple, on ne dénonce pas un éducateur spécialisé qui fait très bien son travail.
  •     l'hôtellerie, la restauration : il y a beaucoup d'emplois précaires, il est donc plus facile de faire pression sur des employés,
  •     les métiers de la culture : théâtre, casting.

L'employeur est normalement le garant de la protection de ses salariés contre ces violences ?M. B. : Oui, d'ailleurs les entreprises du secteur privé ont pour obligation d'organiser la prévention contre ces violences. Mais elles le font rarement et ne sont jamais sanctionnées pour défaut de prévention. Ni le secteur public ni le secteur privé n'agissent contre ces violences. Cette obligation de prévention n'existe d'ailleurs pas dans le secteur public. Ce qui signifie que la justice peut condamner une entreprise privée pour non respect de cette loi alors que l'Etat même n'organise pas cette prévention. Un exemple concret : il n'existe pas de programme de prévention contre les violences sexuelles et sexistes au sein même du ministère du Travail !En savoir plusLe site de l'AVFT

Rédigé par Odile GnanaprégassamePublié le 07/09/2011 

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