"Cette idée du tabou de l’argent est utilisée par ceux qui veulent en parler"
La sociologue Jeanne Lazarus analyse pour francetv info les rapports qu'entretiennent les Français avec l'argent.
Un thème qui fait recette. Selon une idée reçue, l'argent est un sujet tabou en France. Pourtant, il est très présent dans le débat public et les conversations privées. Pour la sociologue Jeanne Lazarus, auteure de L’épreuve de l’argent (Calmann-Lévy 2012) et de Sociologie de l’argent (La Découverte, 2007) en collaboration avec Damien de Blic, les Français entretiennent un rapport complexe avec cette thématique. La sociologue, chargée de recherche au CNRS et membre du centre de sociologie des organisations à Sciences Po, livre à francetv info son analyse.
Francetv info : L'argent est-il un sujet tabou en France ?
Jeanne Lazarus : C’est un peu une idée répétée à l’envi. Je ne trouve pas que ce soit spécialement un sujet que les gens ne veulent pas aborder. On en parle partout, tout le temps, comme à la télévision, par exemple, où il est question de finances publiques, de prestations sociales... Cette idée du tabou de l’argent est utilisée par ceux qui veulent en parler ! Nicolas Sarkozy répétait qu’il y avait un tabou autour de l’argent, et, dans le même temps, il ne faisait qu'en parler. Ce sujet est extrêmement présent, encore plus depuis une vingtaine d’années.
Pourquoi parle-t-on plus d'argent aujourd'hui ?
Selon moi, cette accélération est liée aux transformations de la politique sociale. Lorsqu'un pays bénéficie d'un modèle d’Etat providence avec des inégalités de salaires plus faibles, l’argent a moins d’importance pour s’estimer socialement. Les inégalités sociales sont fondées, mais sur des critères différents comme le capital culturel, la transmission, l’héritage de position sociale plutôt que sur une distinction monétaire. Aujourd’hui, la France fait face à des inégalités plus fortes. L’argent qu’on possède a une importance beaucoup plus grande pour déterminer sa position dans la société.
Est-il possible de voir un jour, comme c'est le cas dans d'autres pays, les salaires rendus publics en France ?
Déclarer son salaire est un choix personnel. Cela entraîne des comparaisons assez brutales entre les gens, et cela peut ensuite provoquer des gênes au cours de discussions. Certaines entreprises demandent d'ailleurs à leurs employés de respecter des clauses de non-diffusion de leur salaire. Tout le monde fantasme sur le salaire du voisin et on imagine toujours qu'on est lésé, que notre situation est la pire. C'est assez frappant au moment de payer les impôts : les contribuables s’estiment toujours être dans la mauvaise catégorie. Ce sentiment d’être moins bien loti que son voisin est assez répandu, et il est assez facile à déclencher en France.
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