Déréférencement de Wish : La mesure a un "objectif louable mais une méthode inquiétante", estime un avocat spécialiste
"On ne nettoie pas le contenu, on le rend simplement invisible", a jugé sur franceinfo mercredi Etienne Drouard, avocat spécialiste du droit numérique, après que Bruno Le Maire a ordonné le déréférencement de la plateforme de e-commerce Wish.
"Même la Corée du Nord n'a pas pris ce type de mesures", a dénoncé sur franceinfo mercredi 25 novembre maître Etienne Drouard, avocat spécialisé en droit numérique, après que Bruno Le Maire a annoncé vouloir ordonner le déréférencement du site Wish. "Si l'objectif est louable", "la méthode [...] est inquiétante", a-t-il estimé alors que le site de e-commerce est accusé de ne pas respecter les règles de protection du consommateur.
franceinfo : Que signifie ce déréférencement et qu'est-ce que cela implique ?
Etienne Drouard : Cela veut dire que le site ne sera plus accessible lorsque vous ferez une recherche sur un moteur de recherche. Pour faire une analogie, c'est un peu comme si on positionnait la gendarmerie sur tous les accès d'autoroute qui mènent à un magasin Carrefour, en disant "il y a, au rayon des condiments, des olives dénoyautées qui ne sont pas dénoyautées et donc on va interdire d'accéder entièrement au magasin". Très concrètement, il y a depuis un an un levier dans le droit français qui permet à l'administration, en l'occurrence la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de pouvoir saisir une plateforme ou un e-commerçant pour lui demander de mettre fin à la vente d'un produit. C'est ce pouvoir qu'utilise pour la première fois la DGCCRF. Si l'objectif est louable, parce que personne ne peut être contre la protection de nos enfants et des consommateurs, en revanche, la méthode de déréférencement totale de tout un site à cause de quelques produits qu'il vend est inquiétante d’après moi. Si nous l’inaugurons, je pense qu'un jour, elle va se retourner contre nous, parce que si chaque Etat peut dire à un site "je vous rends inaccessible depuis mon territoire", on morcelle l’Internet. On ne nettoie pas le contenu, on le rend simplement invisible. Si c'est tout à fait compréhensible, notamment pour protéger les consommateurs, alors pourquoi ne l'a-t-on pas fait en matière de pédopornographie ou de lutte contre le terrorisme ? La sécurité, c'est important pour tout le monde. Même la Corée du Nord n'a pas pris ce type de mesures.
Le site Wish dit qu'il s'agit d'une action illégale et disproportionnée. Êtes-vous d'accord avec cela ?
C'est une action légale et disproportionnée. L'Etat a le droit d'avoir cette exigence. Mais l'Etat n'est pas autonome, je n'ai pas vu que le gouvernement français avait les moyens d'appuyer sur un bouton pour que vous ne puissiez plus utiliser Google. Pour interdire, on prévoit des sanctions possibles pour ceux qui n'obéiraient pas à l'injonction et la liste en rang d'oignons des acteurs auxquels on peut s'adresser sont d'abord le fournisseur du service. Là, Wish, n'a pas répondu à l'administration française. Ensuite, le fournisseur d'accès Internet peut filtrer une impossibilité pour vous d'accéder à ce site. Une autre manière, c'est de vous interdire de voir ce site lorsque vous utilisez votre moteur de recherche. On s'installe donc de plus en plus dans votre ordinateur pour filtrer ce qui est conforme ou pas conforme au droit français. La question est de savoir ensuite sur quels types de dérives la France ou un autre État pourra filtrer ce que voient ses services.
Bruno Le Maire dit qu'il n'y a pas de raison de tolérer en ligne ce que nous n'acceptons pas dans les commerces physiques. Les sites de e-commerce échappent-ils plus facilement à la loi ?
D'abord, la loi s'arrête là où il y a un territoire. Tout l'enjeu, et c'est une vraie difficulté pour tous les États du monde, c'est de pouvoir faire respecter leurs lois sur leur territoire. Là, on s'est dit que le territoire, c'est vos yeux et votre cerveau, c'est-à-dire faire en sorte que vous ne puissiez voir ou rechercher que ce qui serait conforme à la loi française. Ce type de morcellement des services mondiaux, que chaque Etat pourrait vouloir légitimement mettre en place au nom de sa souveraineté, est une méthode qui ne sera pas toujours à notre avantage et pas toujours à l'avantage des consommateurs français.
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