L'article à lire pour comprendre la situation en Guyane
Lundi a débuté un mouvement de grève générale, avant une "journée morte" décrétée mardi. Les manifestants réclament un plan d'investissement de grande ampleur pour la région. Franceinfo revient sur le mouvement de colère et ses causes.
Barrages routiers, vols annulés, rassemblements... La Guyane connaît, mardi 28 mars, une "journée morte", à l'appel du collectif "Pou La Gwiyann dékolé" ("Pour que la Guyane décolle"). Les manifestations ont rassemblé entre 8 000 et 10 000 personnes à Cayenne et 3 500 à 4 000 personnes à Saint-Laurent-du-Maroni à la mi-journée. La préfecture de Guyane évoque "la plus grosse manifestation jamais organisée" dans la région.
Plusieurs organisations syndicales mènent depuis une semaine des actions. Elles estiment que la situation générale s'y est fortement dégradée depuis quelques mois, notamment à cause de la montée de l'insécurité. Mais à moins d'un mois du premier tour de la présidentielle, la situation sociale de cette région française d'Amérique du Sud se retrouve au centre des débats entre les candidats. Franceinfo fait le point.
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Déjà, c'est où la Guyane ?
Contrairement à ce que pouvait laisser entendre Emmanuel Macron dans un lapsus, la Guyane n'est pas une île. Située dans le nord-est de l'Amérique du Sud, ce territoire est une collectivité territoriale d'outre-mer habitée en 2014 par plus de 250 000 personnes, selon l'Insee. Bordée à l'ouest par le Suriname et au sud par le Brésil, c'est la deuxième région française en termes de superficie, quasiment à égalité avec la région Nouvelle-Aquitaine. Sa préfecture, Cayenne, se trouve à plus de 7 000 km de Paris et à plus de 1 400 km de Fort-de-France, en Martinique. C'est aussi la région la plus boisée, avec 98% de son territoire couvert de forêt, décrit la FAO.
Avec la grève générale, quelle est la situation sur place ?
La Guyane est paralysée depuis plusieurs jours par un mouvement de contestation sociale de grande ampleur. Une grève générale a débuté lundi, à l'appel de l'Union des travailleurs guyanais (UTG). Plus de six rassemblements étaient organisés sur le territoire par un collectif de 37 syndicats, réunis autour de l'UTG. Les journalistes sur place ont compté moins de monde lundi que dimanche sur les barrages routiers de Cayenne et ses environs.
Selon Guyane 1ère, de nombreux habitants se sont rendus lundi à pied au travail, du fait des barrages routiers. "Les gens étaient à l'écoute du discours du Premier ministre, Bernard Cazeneuve, mais n'ont pas réagi", a noté un journaliste présent sur le rond-point de la Crique Fouillée, à Cayenne. Le collectif a appelé à une "journée morte" mardi, signe que la mobilisation va se poursuivre, rappelle France-Guyane (lien payant).
Et la mobilisation concerne tous les Guyanais ?
"Il y a un consensus sur le constat des problèmes parmi la population", décrit Nestor Radjou, économiste guyanais, interrogé par franceinfo. Du côté des grévistes, on semble également disposé à faire durer la mobilisation, tout en veillant à gêner le moins possible la population durant la crise. "Ils s'organisent pour obtenir un consensus dans la population sur la poursuite du conflit, mais les choses vont se calmer quand les magasins se videront et que les salaires ne seront plus assez élevés à cause des jours de grève", estime l'économiste. Un représentant du collectif des 500 Frères, à l'origine du mouvement, allait dans ce sens, lundi matin :"On a un bon relationnel avec les gens. Punir la population, ce n’est pas la solution”, a-t-il expliqué à Guyane 1ère.
J'ai vu des hommes cagoulés intervenir, qui sont-ils ?
Le mouvement social a été lancé par le collectif des 500 Frères, qui bénéficie d'un large écho dans la population. Ce groupe, dont les membres apparaissent cagoulés et vêtus de noir, a été créé lors d'une manifestation contre l'insécurité le 22 février à Cayenne, après la mort d'un homme dans un quartier populaire, comme le rappelle Le Figaro. Ils veulent lutter contre la violence et la criminalité. Ils estiment leur mission dangereuse et se masquent pour rester anonymes.
Surtout, ils se défendent d'être une milice. "Si on voulait être une milice privée, on serait armé, on ne serait pas allé voir les autorités, et s'il avait fallu agir, on aurait agi dans l'ombre", explique à France 3 Mickaël Mancée, ancien policier et porte-parole du collectif.
Les 500 Frères ne sont pas seuls dans le conflit. L'appel à la grève générale a été lancé par l'UTG et suivi par les socioprofessionnels, un rassemblement de syndicats patronaux, ainsi que par une intersyndicale de l'éducation.
Quelles sont les revendications des manifestants ?
"Tous les indicateurs sont au rouge", déplore Nestor Radjou. La contestation porte sur plusieurs revendications, mais le collectif des 500 Frères contre la délinquance, à l'initiative de la contestation, met l'accent sur la sécurité. Avec 42 homicides en 2016, et 23 faits de violences pour 1 000 habitants, le département est le plus violent de France, rappelle Outre-Mer 1ère. Parmi les demandes du collectif : l'application de l'état d'urgence en Guyane, le démantèlement des squats, ou la lutte contre le trafic d'armes à feu.
A cela s'ajoute une profonde crise sociale, avec de fortes inégalités d'accès à l'emploi. En 2015, 22% de la population active guyanaise était au chômage, selon l'Insee. C'est presque deux fois plus qu'en France métropolitaine (10,2%).
L'urgence est partout. Elle ne concerne pas uniquement la sécurité, [...] Il faut apporter des réponses sur d'autres fronts. Travailler sur la situation sociale, économique, ou encore avoir un meilleur système de santé.
Davy Rimane, secrétaire général de l'UTGà franceinfo
"La Guyane ne possède pas les infrastructures nécessaires pour faire fonctionner son économie. Le territoire n'est pas aménagé", tance Nestor Radjou. Pour l'ancien membre du Conseil économique et social, le département doit bénéficier de lourds investissements pour rattraper son retard sur la métropole. L'économiste propose par exemple de créer une entreprise publique d'extraction des minerais en Guyane afin d'industrialiser le département, riche en or. Selon Nestor Radjou, les bénéfices doivent être réinvestis dans "le développement de la Guyane", c'est-à-dire "l'éducation, la formation professionnelle, la santé, qui sont défaillantes actuellement".
Concernant le domaine de la santé justement, les professionnels déplorent le manque de moyens humains et matériel et racontent la "débrouille", dont ils doivent faire preuve.
Côté infrastructures, l'accès à l'eau potable est un des points qui posent problème : 15% de la population n'y a pas accès. "Il y a deux Guyane. Il y a la Guyane tout le long de la côte, qui est alimentée correctement (...) et les communes de l'intérieur", dénonce sur franceinfo Davy Rimane, secrétaire UTG-CGT secteur énergie.
Guyane, l'exemple de l'énergie : "des milliers de gens n'ont pas accès normalement à l'électricité et l'eau courante, c'est inadmissible" pic.twitter.com/4weXBqf74m
— franceinfo (@franceinfo) 25 mars 2017
En réalité, les syndicats réclament la signature du Pacte d'avenir pour la Guyane annoncé par François Hollande lors de sa venue en décembre 2013. Depuis cette date, le texte est discuté à l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane, à Cayenne. Le plan, détaillé par Guyane 1ère, prévoit quatre milliards d'euros d'investissements sur quinze ans, dont la construction de routes, d'un commissariat à Cayenne, de projets énergétiques...
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Mais tout ça ne date pas d’hier, non ? Comment en est-on arrivé à cette situation ?
"La situation n'a pas changé depuis les années 1980", explique Nestor Radjou.
La Guyane doit être considérée comme un des pays les moins avancés de la planète.
Nestor Radjouà franceinfo
Ce n'est d'ailleurs pas la première lutte sociale que connaît le pays. En 1996 - pour ne prendre que les mouvements les plus récents -, la jeunesse guyanaise s'était déjà mobilisée pendant plus de quatre semaines pour obtenir la création d'un rectorat, rappelle Guyane 1ère. Et en 2008, les Guyanais sont descendus dans la rue pendant dix jours pour protester contre la vie chère. Cette mobilisation avait mené à des mouvements sociaux dans toutes les Antilles en 2009, rappelle Le Figaro.
Des Etats généraux de l'outre-mer, organisés par le gouvernement de François Fillon, avaient débouché sur un référendum d'autonomie le 10 janvier 2010, auquel les Guyanais avaient répondu "non" à 69,80%.
Plus généralement, selon Nestor Radjou, les lois votées par les gouvernements successifs ne "règlent pas le problème de fond", qui est le retard pris par rapport à la métropole. "A chaque fois, ils proposent de défiscaliser quelque chose, renchérit l'économiste. Ça donne de l'air, ça calme tout le monde, mais rien ne change..."
Quelle est la réponse du gouvernement ?
Au-delà de leurs revendications sociales et économiques, les grévistes réclament la visite en Guyane d'un ministre de premier plan, après la proposition de la ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, d'entamer les discussions à Paris.
La Guyane est-elle un territoire de la République ? Si oui, un membre du gouvernement doit venir
David Riché, président de l'association des maires de Guyaneà franceinfo
Bernard Cazeneuve a fini, vendredi 24 mars, par annoncer l'envoi d'"une mission interministérielle de haut niveau", conduite par Jean-François Cordet, conseiller maître à la Cour des comptes et ex-préfet de Guyane. Mais face au scepticisme des Guyanais, le Premier ministre a accepté, lundi, l'envoi d'une délégation avant la fin de la semaine.
Le gouvernement pose une condition au lancement des discussions : que les manifestants parlent à visage découvert, pointant particulièrement le collectif des 500 Frères. "La République, c'est aussi des règles, un cadre précis, y compris pour dialoguer, a affirmé le ministre de l'Intérieur, Matthias Fekl, lundi devant la presse. On ne dialogue pas en cagoule. On dialogue le visage découvert. Il faut que la confiance soit présente".
Un avis partagé par l'ex-ministre de la Justice, Christiane Taubira, ancienne députée de Guyane. "Il n'est pas concevable qu'ils ne soient pas à visage découvert", a-t-elle réagi mardi matin sur RTL, arguant que s'ils voulaient participer aux discussions, les manifestants se doivent de respecter "les conditions du débat démocratique".
Et que proposent les candidats à la présidentielle ?
"Nous avons sollicité les candidats à la présidentielle, aucun n'a répondu", déplorait, mardi 28 mars, Jean-Michel Martial, président du Conseil représentatif des Français d'outre-mer sur Europe 1.
"Ce qui est sûr, c'est que l'on a besoin de reconnaissance", a-t-il ajouté. Si aucun candidat n'a répondu à l'invitation du Conseil, tous les candidats ont commenté le sujet, comme le rappelle Outre-mer 1ère. Alors que certains veulent restaurer "l'autorité de l'Etat", comme François Fillon, d'autres affichent leur soutien au mouvement, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon.
Je n'ai pas voulu tout lire, vous me faites un résumé ?
La Guyane connaît depuis la semaine dernière un mouvement de protestation contre l'insécurité, le manque d'infrastructures et la situation économique dégradée. Egalement à franceinfo, Nestor Radjou, économiste, affirme que le manque d'investissements dans les infrastructures a mené la Guyane dans la situation d'un "pays en développement".
Après une semaine de mobilisation, le gouvernement a annoncé lundi l'envoi d'une délégation ministérielle. Si la mobilisation a été timide lundi, les manifestations de la "journée morte", mardi 28 mars, ont été très suivies, selon des témoins sur place. Plusieurs barrages routiers continuent également à bloquer certaines routes.
A moins d'un mois du premier tour de l'élection présidentielle, la situation de cette collectivité territoriale située en Amérique du Sud se retrouve au centre du débat politique français.
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