Péages : comment les concessionnaires se sont constitué des "rentes autoroutières"
En 2006, le gouvernement privatisait les sociétés concessionnaires d’autoroute. En 10 ans, les péages ont flambé de 20%, les dividendes ont explosé, et les plans de relance autoroutiers s’accumulent.
Il y a 10 ans, le gouvernement privatisait les sociétés concessionnaires d’autoroute, en vendant ses parts pour 14,8 milliards d'euros à Vinci, Eiffage et Abertis. Et en 10 ans, le prix des péages a flambé de 20%, et les bénéfices comme les dividendes se sont envolés.
Le 18 septembre dernier, dans le JDD, le ministre des Transports Alain Vidalies annonçait un nouveau plan autoroutier : il prévoit 1 milliard d'euros d’investissements moyennant une augmentation des péages de 0,3 à 0,4%. Une nouvelle hausse qui pose question quand on voit la progression des tarifs depuis 2006.
Certes, les sociétés autoroutières ont droit à une augmentation minimale chaque 1er février. Elle est fixée à 70% du taux de l’inflation. Sauf qu’en réalité, les péages augmentent toujours plus que l'inflation, car l’Etat permet aux sociétés autoroutières de compenser les investissements par une hausse de péages supplémentaires.
Résultat, c’est l’usager qui paye pour tout, et les sociétés autoroutières sont assises sur un joli pactole estime Laurent Hecquet, du think-tank Automobilité et avenir : "C’est 1,5 milliard d'euros de rente autoroutière c’est-à-dire de bénéfices par an, pour 8 milliards d'euros de chiffre d’affaires. Chaque année, la rente autoroutière ne va cesser de croître parce qu’on va de toute façon encore augmenter le trafic sur les autoroutes, nous allons encore augmenter les prix et les péages."
En 2014, l’Autorité de la concurrence rend un avis (document PDF) sur les relations entre l’Etat et les sociétés d’autoroute. Elle est très claire : la gestion des autoroutes est assimilée à une rente que ne justifie ni les coûts ni les risques auxquels les sociétés sont soumises. Elle pointe aussi l’explosion des dividendes dont la distribution passe de 56% à 136%.
La hausse des péages n'est pas le seul levier de rentabilité
En 2006, les sociétés passent dans le giron privé. En plus de la hausse des péages, les sociétés vont utiliser deux autres leviers pour accroître leur rentabilité. Le premier, c’est de réduire la masse salariale. Les salariés aux barrières de péage disparaissent au profit de machines. En 10 ans, "près de 30% des effectifs ont disparu" estime Frédéric Dumouchel, du syndicat SUD Autoroutes.
Le second levier consiste à faire travailler les filiales de ces grands groupes pour réaliser des travaux d’investissement. L’Autorité de la concurrence l’a mis en évidence pour les sociétés liées à Vinci et Eiffage : le recours aux filiales a presque doublé passant de 18% à 35% en moyenne après la privatisation. Par ailleurs, "Vinci et Eiffage vont travailler de manière croisée" sur ces marchés, constate Raymond Avrillier, ancien élu écologiste de Grenoble, qui a décortiqué les appels d’offres de ces sociétés en 2013 et 2014.
Les concessions prolongées sans transparence
Tout cela se négocie dans des conditions opaques. En avril 2015, l’Etat annonce un accord avec les sociétés d’autoroutes sur plus de 3 milliards d’investissements financés par elles. En contrepartie, ces sociétés touchent le jackpot : la prolongation de leur concession pour 2 à 4 ans.
Mais les modalités de cet accord restent secrètes, il est impossible d’en connaître le contenu précis. Cela étonne Raymond Avrillier, ancien élu écologiste de Grenoble, qui va alors faire une demande officielle. "Je me suis aperçu que personne n’avait demandé l’accord. On annonce publiquement un accord mais personne ne le demande ! Comme M. Macron refuse de me communiquer ces documents, je suis obligé de saisir le tribunal administratif de Paris, en annulation du refus du ministre de l’Economie de me communiquer les documents qu’il détient et qui sont des documents publics."
La justice a donné raison à Raymond Avrillier, en juillet 2016. Mais le ministère de l’Economie s’est pourvu en cassation pour garder le secret sur ce document, une décision que les sociétés d’autoroutes refusent de commenter. Jean Mesqui, le président de l’Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA), estime que les sociétés sont traînées dans la boue : "On nous a traités de voleurs, alors que nous ne sommes pas des voleurs. Nous avons des contrats et nous fonctionnons en toute transparence, totale transparence. Nous, très franchement, on n’a rien à cacher avec ce document, on a dit à peu près tout ce qu’il y avait dedans. Maintenant, le texte même… Je pense que c’est plutôt des questions de principe que l’Etat veut respecter mais je ne peux pas parler à sa place. On n’a pas l’habitude en France de diffuser des documents qui sont des documents signés avec l’Etat."
Les sociétés d'autoroutes vont encore profiter du réseau jusqu’en 2036 maximum, et peut-être plus, car la Commission mobilité 21 estime qu’il y a besoin de près de 18 milliards d’investissement sur le réseau d’ici 2050. Des travaux compensés comme les autres par une hausse des péages, ou un nouvel allongement des concessions.
Retrouvez l'enquête de Maxime Fayolle, dans Secrets d’Info sur France Inter.
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