: Témoignages "C'était quelque chose de sadique" : les cahiers de vacances, un douloureux souvenir pour d'anciens élèves
Des années plus tard, d'anciens écoliers et collégiens estiment que ce rituel imposé par leurs parents a généré plus de tensions familiales que de progrès scolaires.
"Ces devoirs signifiaient le retour de la torture." A l'évocation des cahiers de vacances, Charles, 28 ans, se remémore le calvaire de ces pages d'exercices, qui venaient prolonger en période estivale l'épreuve endurée le reste de l'année à l'école. Le bras de fer avec sa mère était tel que ces cahiers "pourrissaient" les vacances des deux générations, raconte ce bottier installé dans le Maine-et-Loire.
En 2014, 3 millions d'exemplaires ont été vendus entre juin et début juillet en France, pays de 12 millions d'élèves, selon une étude de l'institut GfK (PDF). Les meilleures ventes concernaient alors le niveau élémentaire (49%), devant la maternelle (29%) et le collège (16%).
Perçus par les parents comme un gage de bonnes révisions avant la rentrée, ces livres ont laissé à Marie*, Frank, Charles, Arnaud et Alexandre de très mauvais souvenirs. Ces lecteurs de franceinfo ont répondu à notre appel à témoignages, prêts à revivre bravement leurs étés passés à maudire Pythagore et médire du Bescherelle.
Une forme "d'acharnement"
Tous les jours, à heure fixe, Marie s'installait à son bureau. "Quand j'avais fini, j'allais soumettre mon travail à mon père, qui prenait sa tête de correcteur réprobateur et s'armait du petit carnet de corrections rose et blanc", détaille cette mère de famille de la région toulousaine. "J'avais toujours tout juste, à l'exception de petites fautes d'inattention."
Des années plus tard, ce souvenir reste douloureux pour cette "très bonne élève", qui a récemment découvert qu'elle était considérée à haut potentiel intellectuel et autiste Asperger. "En cours, devoir aller au même rythme que les autres était compliqué pour moi, relate cette directrice de projets de 39 ans. Les cahiers de vacances me ramenaient à ce stress de la cadence imposée."
"Les vacances représentaient pour moi une forme de torture. Mon père savait que je n'avais pas envie de faire ce cahier donc il était dans l'autorité. Et, moi, je stressais."
Marie, 39 ansà franceinfo
Ces pages, noircies du primaire au début des années collège, symbolisaient une forme "d'acharnement", une manie de "toujours en vouloir plus". Les parents de Marie pensaient lui donner le goût du travail. "J'aurais plutôt eu besoin de cahiers de vacances de l'école buissonnière, qui auraient été plus bénéfiques."
Les parents des bons élèves sont ceux qui incitent le plus leur progéniture à réviser leurs gammes, selon une étude du ministère de l'Éducation nationale (PDF) publiée en 2005. Toutes classes confondues, 44% des élèves qui passaient alors au niveau supérieur faisaient des devoirs de vacances, contre seulement 31% de ceux qui redoublaient. De manière générale, plus l'enfant avançait dans sa scolarité, moins il travaillait ses cours l'été.
Des punitions à la clé
C'est en fin de collège qu'Arnaud a pu en finir avec les "grands moments d'angoisse" qui survenaient à l'heure de vérifier les réponses l'été. "La correction, feuilles roses en main, se terminait par des punitions, des brimades ou encore plus d'exercices", se souvient ce professeur de lettres dans un lycée du Loir-et-Cher.
"Jamais personne ne s'est assis pour m'aider à faire les exercices. J'étais seul dans un coin, généralement au moment de la sieste."
Arnaud, 49 ansà franceinfo
Malgré le traumatisme, Arnaud a "essayé une ou deux fois" d'imposer des exercices d'été à son fils aîné, âgé de 17 ans aujourd'hui. "Quand j'ai vu qu'il souffrait autant que moi à l’époque, j'ai arrêté."
Des parades pour y échapper
Après le déjeuner, durant les heures chaudes, Charles se retrouvait aussi autour de la table, cahier ouvert et stylo en main, avec ses cousins. "Je tentais tout pour en faire le moins possible", avoue le jeune papa. Prétextant une fatigue passagère pour aller faire une sieste, le garçon se réveillait, comme par magie, au moment où ses cousins étaient autorisés à partir jouer.
"Je bataillais tout le temps avec ma mère pour ne pas faire les exercices", poursuit le bottier, qui démarrait "au quart de tour" à chaque "petite" remarque parentale lors des corrections.
"Je garde le souvenir de quelque chose d'inutile, qui, au fond, ne m'a pas aidé à la rentrée."
Charles, 28 ansà franceinfo
Selon les parents, l'objectif principal des devoirs de vacances est de réviser les acquis de l'année précédente (63% des cas), plutôt que de s'avancer (12%), d'après l'étude du ministère de l'Education nationale de 2005. A l'heure de la rentrée, 68% des parents estiment que les cahiers ont permis à leur enfant de progresser.
"Je ne remplissais qu'une page sur quatre"
Nombre d'élèves ne sont jamais venus à bout de leurs livres de vacances. Frank, 50 ans, se souvient de ses cahiers inachevés de l'été 1982. A l'époque, son passage en quatrième n'était pas assuré. Des professeurs lui avaient fortement conseillé des heures sup' en français et en anglais afin d'éviter un redoublement.
"A la fin de l'été, je ne remplissais plus qu'une page sur quatre et mes parents avaient lâché prise", relate ce sculpteur sur bois dans le Vaucluse. Convoqué dès la rentrée, Frank affirme avoir été collé pour ces trop nombreuses pages restées vierges. Près de 40 ans plus tard, il n'en éprouve aucun regret. Devenu père de famille, il a ensuite tenté d'imposer l'exercice à ses trois fils, en vain lui aussi.
Faut-il infliger les cahiers de vacances à ses enfants quand on en a soi-même souffert ? Pour Alexandre, jardinier maraîcher franc-comtois de 33 ans, le cahier de vacances est un vieux "cauchemar" vécu durant une dizaine d'étés. "J'ai toujours détesté l'école et, pour moi, les vacances étaient une libération, un moment où la vie pouvait enfin recommencer", décrit le jeune papa.
"Introduire les devoirs en vacances m'a toujours apparu comme quelque chose de sadique, d'une rare cruauté."
Alexandre, 33 ansà franceinfo
La mère de son enfant, elle, reste plutôt nostalgique du temps où elle remplissait ses cahiers de vacances. Le couple se dirige vers une solution de compromis : "Nous lui proposerons, mais sans la forcer." Petite précision, leur fille n'a encore que 6 mois.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.