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Oublié dans une piscine, hélitreuillé, transformé en planche de surf... La dure vie du bouclier de Brennus

L'un des trophées les plus emblématiques du sport français est aussi sans aucun doute le plus maltraité. Franceinfo revient sur les nombreuses anecdotes qui entourent ce "bout de bois".

Article rédigé par franceinfo - Romain Bonte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les Toulousains célèbrent leur titre avec le bouclier de Brennus après avoir battu Clermont en finale du Top 14), le 28 juin 2008 au Stade de France (Seine-Saint-Denis). (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Chaque année, ce "bout de bois" met en émoi le monde de l'ovalie. Trophée récompensant le champion de France de rugby, le bouclier de Brennus a beau être vénéré par les rugbymen, ils ne l'épargnent pas pour autant. "Ce n'est pas une année de miss France qu'il vit, c'est plutôt une année avec Mick Jagger, ironise l'ancien demi d'ouverture Franck Mesnel, aujourd'hui patron de la marque de prêt-à-porter Eden Park. Le bouclier est quand même bousculé, notamment par "les gros" qui s'en occupent bien... Il est rayé, défoncé sur les parties métalliques, mais avec toujours beaucoup de respect. Parfois il glisse et il y a des accidents..."

Le 2 juin, les lauréats de la saison 2017-2018 du Top 14 se le verront remettre dans un parfait état, avant sans doute, de le malmener pendant un an... Franceinfo revient sur la vie souvent tumultueuse de cette épaisse planche de bois d'un mètre sur 75 centimètres.

Hélitreuillé par des commandos

Avant même les festivités de la mythique troisième mi-temps et les mois de célébrations qui suivent la finale du Top 14, le bouclier de Brennus vit parfois des moments assez cocasses. En 2014, dans une mise en scène digne d'un James Bond, le trophée tant convoité fait son entrée dans le Stade de France, par les airs. 




Pris en main, ou plutôt ficelé solidement par les commandos du 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Bayonne, le Graal est alors hélitreuillé par les soldats. Il s'agit alors de rendre hommage aux rugbymen tombés lors de la Première Guerre mondiale. Un an plus tôt, il était arrivé sur un char, lors d'un défilé imitant celui d'une armée romaine débarquant dans ce même Stade de France. 

Oublié au fond d'une piscine

C'est souvent après le match que le bouclier de Brennus subit les mésaventures les plus honteuses. L'une des anecdotes les mieux dissimulées se trouve du côté de Castres. Car pendant quelques jours en 2013, les champions en titre ont perdu la trace du trophée…

On l'a cherché pendant deux jours mais on savait que les joueurs avaient fait une soirée chez un de leurs coéquipiers.

Laurent Travers, ancien coach de Castres

à franceinfo

Toutefois, celui qui officie à présent au Racing 92 assure que personne, au sein du club, n'était inquiet à l'époque. "On ne se souvient pas des détails, on ne peut plus s'en souvenir. Il n'y a jamais eu de doute, on savait qu'il ne pouvait pas être volé : il est assez lourd, ce n'est pas quelque chose que l'on peut mettre dans la poche. En revanche, quelqu'un pouvait l'avoir chez lui…", se remémore celui qui s'est occupé des Castrais de 2009 à 2013.

Ibrahim Diarra préfère être évasif. "Cela reste entre nous. Moins on en sait, mieux on se porte", lâche le jeune retraité du ballon ovale. Sourire en coin, il concède toutefois que "lou planchot" (son surnom en occitan) "est allé sous les douches, dans les piscines…"

Et c'est bien au fond de la piscine de l'un des joueurs que le trophée a finalement été retrouvé. Non sans une touche d'humour, Ibrahim Diarra assure bien que lorsqu'il l'a "revu, il était nickel !" Le bouclier était tellement en bon état que quelques jours plus tard, il a même servi de gigantesque plateau lors d'une sortie des Castrais au restaurant.

Plongé dans la rade de Toulon

Quand il ne finit pas au fond d'une piscine ou sous les douches, "le bout de bois" se retrouve parfois carrément dans la mer. Plus précisément, dans la rade de Toulon. Ce 7 juin 1992, au lendemain de leur victoire au Parc des Princes sur le Biarritz Olympique (19-10), les Toulonnais viennent célébrer en grande pompe leur titre dans la ville méditerranéenne.

"Le bouclier passait de mains en mains au sein du groupe au fil de la soirée et dans des différents lieux. En compagnie de quelques joueurs, je me souviens l'avoir emmené au Stado, un restaurant tarbais que je fréquentais [à Paris], explique Aubin Hueber, ancien demi de mêlée du RCT, à L'Obs. Je l'ai laissé vers trois heures du matin quand nous sommes arrivés au VIP chez Jean-Roch. Le dimanche matin, nous sommes rentrés à Toulon puis nous sommes montés à bord d'un bateau pour entrer dans le carré du port de Toulon."

Toutes sortes d’embarcations nous escortaient, sirènes hurlantes. Les supporters nous attendaient à Mayol. La ville était à feu et à sang. En fin de soirée, dans l'euphorie et la liesse générale, le bouclier a fini dans la rade de Toulon. Tous les joueurs, comme un seul homme, ont plongé pour que le Brennus ne coule pas.

Aubin Hueber, ancien joueur du RCT

à "L'Obs"

"C'est normal de le maltraiter, c'est un rituel, résume Ibrahim Diarra, champion avec Castres en 2013. Cela fait des années et des années : on casse le bouclier et après on le répare !" Egalement de l'aventure castraise, puis titré de nouveau avec le Racing 92 en 2016, l'entraîneur Laurent Travers assure que ce rituel n'empêche pas les joueurs de le respecter. "Ils s'amusent avec et ont plaisir à le faire, mais qui aime bien châtie bien !"

Transformé en planche de surf

Sacré champion à six reprises avec Toulouse, Emile Ntamack a été l'un des témoins privilégiés des souffrances du trophée. L'ancien international admet que le bouclier de Brennus "a souffert comme une 'galette calzone'. On l'appelait "l'enjoliveur"", raconte-t-il à franceinfo, pour évoquer la forme ronde de sa plaque principale et aussi sa faculté à rouler facilement... "Il a servi de planche de surf ou de bouclier Arverne pour transporter un joueur un peu fatigué", sourit l'ancien international français.


Depuis, d'autres ont eu la même inspiration. Même si les vagues de la Méditerranée se prêtent moins aux joies de la glissade, cela n'a pas empêché les joueurs de Perpignan de se prendre pour le surfeur Kelly Slater en 2009, sur la plage de Sainte-Marie. Moins exotique et manquant d'un certain style, le Clermontois Ludovic Radosavljevic tentera aussi, en 2017, sa chance dans le jacuzzi du Stade de France... 

Rafistolé à la mie de pain

Avec leur record de 19 titres et donc autant d'années à conserver le trophée, les Toulousains restent les mieux placés pour narrer quelques anecdotes savoureuses. L'ancien président du Stade toulousain René Bouscatel, raconte ainsi dans La Depêche de quelle manière improbable ses joueurs ont rafistolé le bouclier après le titre de 1995. Ce samedi 6 mai, Toulousains et Castrais se retrouvent ensemble pour festoyer à Paris après la finale (gagnée 31-16 par Toulouse).

"Pendant la nuit, un Castrais a projeté le bouclier à terre et il s'est cassé", relate l'ex-dirigeant toulousain. "Au petit matin, nous avons cherché de la colle à bois partout mais impossible d'en trouver", indique-t-il. Problème : le trophée doit être présenté quelques heures plus tard aux milliers de supporters toulousains. Après mûre réflexion, une idée émerge : "Avec les joueurs, nous avons mâchouillé de la mie de pain pour essayer de le recoller, nous avons aussi mis de la ficelle ! Il est arrivé comme cela au Capitole !"

Marqué dans sa chair

Tous les ans, avant d'être remis aux futurs champions, le bouclier, qui doit son nom à celui de son créateur et orfèvre Charles Brennus, passe deux semaines dans l'atelier d'un ébéniste. Les dégâts constatés sont souvent les mêmes : plaques de cuivre décollées, colle de fortune grossièrement étalée sous ces plaques, bois gonflé par de l'eau, pièces fissurées... Mais surtout inscriptions en tout genre.

"On essaye tous de graver quelque chose dessus, d'écrire un mot ou de faire une petite croix, pour dire qu'on l'a eu et se l'approprier, confie Franck Mesnel à franceinfo. C'est un peu comme le cœur que l'on trace sur l'écorce d'un arbre, ou le cadenas que l'on accroche sur le pont des Arts."

En 2014, lorsque l'ébéniste Dominique Kochem procède à la révision annuelle du bouclier, il fait même une étonnante découverte. Derrière la plaque située au verso, un autocollant qui représente le logo du Stade toulousain a été glissé malicieusement. Dessus, on peut lire : "C'est le nôtre", écrit au feutre probablement un an plus tôt. Comme le relève le site rugbyrama, les Castrais n'y ont vu que du feu…

Nul ne sait encore ce que le bouclier va subir cette année, mais cela fait déjà partie de sa légende.

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