"J'ai peur pour notre avenir" : des lycéens qui devaient passer leur bac cette année racontent ce rendez-vous raté
Fin d'année scolaire tronquée, examen final annulé et job d'été difficile à trouver... Nous avons interrogé plusieurs candidats au bac qui, contrairement à d'autres, s'estiment lésés par ce bac inédit, dont l'obtention dépendra du contrôle continu.
"Globalement, cette période de confinement n'a pas été très bien vécue", constate Marlène*, conseillère principale d'éducation (CPE) dans un lycée de Clichy (Hauts-de-Seine). "Le bac est un vrai rite de passage pour les terminales et ils n'ont pas eu l'occasion de passer cet examen auquel ils se préparaient depuis deux ans."
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En raison de la crise sanitaire liée au coronavirus, l'Education nationale a dû réaménager les épreuves du baccalauréat 2020. Cette année, le diplôme est exceptionnellement attribué sur "la base de la moyenne des moyennes du premier et du deuxième trimestre, ou le cas échéant semestrielles, telles que validées par les conseils de classe", précise le ministère sur son site.
>> Retrouvez les résultats du bac 2020 dès leur publication mardi 7 juillet
L'annonce du contrôle continu a été difficile à comprendre pour les élèves. Nous découvrions les informations en même temps qu'eux en regardant la télévision.
Marlène, CPEà franceinfo
"Nous avons dû décortiquer le discours du ministre pour leur apporter des réponses concrètes car tout le monde était dans le flou", explique-t-elle encore. Les 750 584 candidats inscrits n'ont donc pas planché sur leurs copies. Et pour de nombreux lycéens, ce bac 2020 n'a pas tout à fait la même valeur que les précédents. "Nous avions les mêmes inquiétudes en 1968 sur les risques d'un bac au rabais. Or les études montrent qu'il n'y a pas d'effet sur le recrutement ensuite", explique Antoine Dulin, président de la commission Insertion et jeunesse au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese), à franceinfo.
Si ce diplôme reste "protecteur", Antoine Dulin rappelle qu'il vaut mieux éviter de rentrer sur le marché du travail avec seulement le "bac en poche". Il se remémore la crise de 2010, durant laquelle "des jeunes peu ou pas qualifiés sont restés pour un gros tiers au chômage trois ans après. Tandis que les autres ont enchaîné des boulots précaires." Pour ce spécialiste des questions liées à la fin de la scolarité et au passage dans la vie active, "le gouvernement doit être capable de prendre des mesures fortes, sinon nous risquons d'avoir des jeunes qui peuvent rester longtemps sur le carreau".
En attendant les résultats – à partir de mardi 7 juillet −, le ministère de l'Education nationale se veut rassurant : "Le baccalauréat 2020 donne les droits habituels des bacheliers à tous ses titulaires." Mais pour Judith, Paul*, Lucas*, Loïc, Moussa, Alex et Yasmine*, qui se préparaient à passer les traditionnelles épreuves écrites qui marquent la fin du lycée, cette fin d'année scolaire soulève quelques inquiétudes, comme ils l'ont raconté à franceinfo.
Judith, 17 ans : "La rentrée à la fac va être plus compliquée financièrement"
(terminale L, baccalauréat général)
Le bac, c'est un truc que tout le monde a vécu et se dire que ce ne sera pas le cas pour nous, c'est bizarre. On ne verra pas les résultats avec nos potes. Tous les ans à la même époque, on entendait le sujet de philosophie tomber à la radio. Mais là, non. Je suis tout de même soulagée de le passer en contrôle continu car mon prof de philo n'envoyait aucun cours. Des professeurs étaient complètement absents. Et puis à partir du moment où j'ai vu qu'on serait jugés par le contrôle continu, ma motivation [pour la suite de l'année] est partie.
Cette année, avec la crise sanitaire, c'est plus compliqué pour trouver du travail. J'ai appelé quasiment tous les bars de Lyon, avant d'aller déposer des CV. Personne n'embauche cet été. Je voulais avoir un peu d'argent pour commencer ma vie d'étudiante en appartement. La rentrée à la fac va être plus compliquée financièrement.
Paul*, 19 ans : "Je voulais tout miser sur l'examen de fin d'année"
(terminale STMG, bac technologique)
L'année dernière, j'ai raté le bac pour seulement 20 points. Comme j'avais un peu d'avance, grâce à quelques bonnes notes en économie, je n'ai pas été assidu en cours cette année, car c'était du déjà vu pour moi. Je voulais tout miser sur l'examen de fin d'année, j'avais mes chances. Je rate le bac sans avoir pu le repasser !
Quand j'ai appris que c'était le contrôle continu qui allait servir pour attribuer le diplôme, le monde s'est écroulé. J'étais mal, complètement démoralisé et anxieux. J'ai l'impression d'être oublié, on n'a pas pensé aux gens qui sont dans mon cas.
Paul, lycéenà franceinfo
Aujourd'hui, j'attends les résultats sans trop y croire. Je suis perdu. Je n'ai pas de projet pour la suite si je n'ai pas mon bac. Mon avenir dépendait de ça. Je devais commencer une formation de vendeur automobile, toute ma famille y travaille et je suis passionné depuis tout petit. Je vais voir si en passant par Pôle emploi je peux faire une formation dans l'automobile, mais le secteur est en crise.
Lucas*, 18 ans : "J'aurais voulu redoubler mais avec la réforme, je suis bloqué"
(terminale STI2D, bac technologique)
J'ai eu beaucoup de mal à gérer les cours, avec mes quatre frères à la maison et des problèmes de connexion internet. Je sais que je n'aurai pas mon bac au contrôle continu. Cela me stresse car on a loupé la moitié de l'année et je ne suis même pas sûr de l'avoir au rattrapage. Si j'avais pu, j'aurais demandé un redoublement. Mais avec la réforme du bac [à partir de 2021, les lycéens passeront le baccalauréat nouvelle version, les épreuves finales en terminale ne compteront plus que pour 60% de la note, les 40% restants seront acquis lors du contrôle continu], je suis bloqué. Les profs nous ont dit qu'il fallait l'avoir à tout prix car l'année prochaine, ce sera trop dur pour les redoublants.
Je devais continuer mes études mais, pour une question d'argent et de moyen de transport, j'ai dû revoir mes plans. J'ai peur qu'avec cette crise, mon avenir en paie le prix. Je vais tenter de partir en apprentissage dans la vente afin de mettre de l'argent de côté pour financer mes études car je ne veux pas demander à mes parents. Je sais pourtant qu'il y a des aides pour les étudiants, mais avec le confinement, tout est parti en vrille et je n'avais personne pour me guider.
Moussa, 18 ans : "Je préfère jouer la sécurité en évitant une formation en alternance"
(terminale transport, bac professionnel)
Avec les cours à distance, j'ai appris à être plus autonome. Je me sens plus en confiance, plus affûté et prêt pour la rentrée prochaine en enseignement supérieur. Et puis cette version du bac en contrôle continu reflète bien tout l'effort de l'élève depuis le début de l'année scolaire. Mais avec l'économie qui s'écroule, je préfère jouer la sécurité en n'effectuant pas mon BTS en alternance comme je l'avais prévu au départ [Moussa va donc effectuer un BTS "classique"]
L'avenir me fait peur. Avant la pandémie, ce n'était pas gagné d'avance pour les jeunes d'avoir un emploi. Alors maintenant que les entreprises n'arrivent même pas à payer leurs employés, je ne suis pas serein. C'est pour cela que je me donne un peu de temps avec ces deux années en BTS avant d'arriver sur le marché du travail.
Loïc, 17 ans : "Je suis déçu de ne pas vivre le 'stress de l'examen'"
(terminale STI2D, bac technologique)
J'ai fait le calcul et, au minimum, je devrais avoir la mention "assez bien". Cette version du bac en contrôle continu est frustrante pour moi car je pense que j'aurais pu avoir la mention "bien" en passant l'examen final. Et puis je suis déçu de ne pas vivre le "stress de l'examen".
Par contre, ce qui m'a fait plaisir, c'est que pendant le confinement, on a enfin osé parler des filières technologiques. Cette reconnaissance me motive encore plus dans mon choix de faire un diplôme universitaire de technologie (DUT) avant de rejoindre la marine nationale. Mais même si j'ai un projet d'études, j'ai un peu peur pour notre avenir. Avec cette crise économique, la vie va devenir plus chère, des choses habituelles vont devenir luxueuses.
Alex, 18 ans : "Le contrôle continu désavantage les élèves en situation de handicap"
(terminale STMG, Bac technologique)
Cette période de confinement m'a fait du bien. J'étais complètement épuisé intellectuellement, physiquement et moralement avec mes cours en classe qui n'étaient pas adaptés à mon handicap. Avec le contrôle continu, je devrais avoir mon bac mais de justesse, contrairement à beaucoup de mes amis dyspraxiques [des personnes qui présentent des troubles de la coordination motrice] comme moi.
Rien n'a été prévu pour que les élèves en situation de handicap soient mis en valeur avec ce contrôle continu.
Alex, lycéenà franceinfo
Nous sommes lésés par des notes obtenues sans les aménagements habituels mis en place durant l'examen final. Lors du bac en juin, nous pouvons d'ordinaire bénéficier d'une aide humaine ou d'un ordinateur et demander à être isolé dans une salle à part, afin de mieux gérer notre stress. Il est important que le jury d'harmonisation prenne en compte notre situation, car le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, n'en a jamais parlé.
Yasmine*, 20 ans : "Je dois faire mon stage cet été... et réviser mon bac pour septembre"
(candidate libre, première année de BTS commerce international)
Je devais terminer mes cours en mai et ensuite, j'avais un mois pour réviser le baccalauréat et le passer en candidate libre. Cela fait trois fois que je le passe et j'ai vraiment besoin de l'avoir pour accéder en deuxième année de BTS. Avec le confinement, ma date d'examen est repoussée à septembre et je suis censée faire mon stage de première année de BTS en juillet et août... Or mon stage en Turquie a été annulé. Je suis dans une telle situation que je ne sais plus quoi faire. Je suis venue sur place [en Turquie] pour chercher un autre stage. Mais c'est très compliqué car tout rouvre à partir de juillet ici. Et en même temps, il faut que je révise un maximum pour avoir mon bac.
* Les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés à leur demande
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