Cet article date de plus de sept ans.

Ce que va changer l'interdiction de la pêche en eaux profondes dans les eaux européennes

Après quatre ans de discussion, l’interdiction de la pêche à plus de 800 m de profondeur à l’échelle européenne est entrée en vigueur jeudi. Qu'est-ce que ça change et pourquoi cette interdiction a-t-elle été difficile à obtenir ?

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'interdiction de la pêche à plus de 800 mètres de profondeur dans les eaux de l'Union européenne entre en vigueur le 12 janvier 2017. (MAXPPP)

Après quatre ans de négociations, l’interdiction de la pêche en eau profonde est entrée en vigueur jeudi 12 janvier. Cette mesure est le fruit d'un accord trouvé le 30 juin entre les Etats membres de l'Union européenne, la Commission et le Parlement européen. Que va changer cette interdiction ? Quelles étaient les conséquences de la pêche en eaux profondes ? Pourquoi a-t-elle été difficile à interdire ? Voici les réponses de franceinfo.

La pêche en eaux profondes, c'est quoi ?

La pêche en eaux profondes se réalise avec des chaluts, c'est-à-dire d'immenses filets, lourdement lestés, qui raclent les fonds marins. Elle n'est pratiquée dans les eaux européennes que par onze chalutiers, dont neuf français (six d'entre eux appartiennent à la Scapêche, premier armement français de pêche fraîche et filière mer du groupe Intermarché). Le chalutage en eaux profondes est la conséquence d'une surpêche en surface et d'un assèchement des ressources. "Après les années 1980, il a fallu aller chercher plus loin pour remplir les filets des navires industriels", résume pour franceinfo Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, qui s'est battue pour obtenir l'interdiction.

La pêche en eaux profondes permet de capturer trois espèces de poissons : lingue bleue, sabre noir et grenadier (des poissons consommés essentiellement dans la restauration collective). Cette méthode de pêche ne représente qu'environ 1% des débarquements de l'Atlantique Nord. 

Pourquoi pose-t-elle problème ?

Selon la Commission européenne, la pêche en eaux profondes constitue "le plus grand risque de destruction des écosystèmes marins vulnérables et irremplaçables". Premier problème posé par le chalutage : en raclant les fonds marins sans tri ni distinction, le filet capture tout sur son passage. Y compris des coraux (parfois vieux de 4 000 ans) et des éponges, des poissons ayant une durée de vie qui peut atteindre 150 ans et qui mettent des années avant d'arriver à maturité pour se reproduire, comme les requins d'eaux profondes, le grenadier de roche ou la lingue bleue. Le tri est effectué par les marins à bord du bateau, mais la survie des poissons rejetés à l'eau, après avoir été compactés dans un filet, est loin d'être assurée... 

Au-delà de la menace pour les espèces marines, la pêche en eaux profondes est aussi très polluante. "Il faut énormément de gasoil pour tracter ces immenses chaluts et les remonter alors qu'ils sont pleins", explique Claire Nouvian. "Une aberration écologique et économique pour les effets d'énormes bulldozers dans les fonds marins", résume l'activiste qui se bat pour la protection des océans depuis 2004. Car la pêche en eaux profondes coûte aussi très cher, elle est déficitaire et subventionnée. Mais "il y a des intérêts industriels regroupés dans la main de très peu d’acteurs" : un "pêcheur" également distributeur, qui fixe lui-même ses prix. 

Que prévoit l'accord ?

Après quatre ans de négociations, de lobbying de la part d'industriels, d'élus des régions de pêche, de pressions de la part de consommateurs refusant que les grandes surfaces proposent des poissons d'eaux profondes, d'ONG dont Bloom qui a réuni 900 000 signatures, l'accord a finalement été trouvé en Europe. Concrètement, ce texte bannit le chalutage à plus de 800 mètres de profondeur dans les eaux européennes (et non dans l'ensemble des eaux internationales).

Par ailleurs, l'accord prévoit un "gel de l'empreinte" des pêcheurs en eaux profondes : un navire doit se contenter des zones qu'il a déjà fréquentées entre 2009 et 2011 et il ne peut pas augmenter les quantités pêchées. Dans des zones fragiles (dites "d'environnement marin vulnérable"), il est interdit de pêcher à plus de 400 m de profondeur. Enfin, les contrôles sont renforcés, tout comme les sanctions en cas d'infraction.

Des règles anticipées par  Agromousquetaires, le pôle agroalimentaire du groupement des Mousquetaires, maison-mère d'Intermarché. Début 2015, le groupe a cessé de pêcher au-delà de 800 mètres de profondeur. Et en mars, le premier armement français de pêche fraîche, basé à Lorient (Morbihan), s'est engagé à arrêter toute pêche en eau profonde d'ici à 2025, mettant en avant  "une consommation responsable"

Qu'est-ce que ça change sur l'étal du poissonnier ?

Rien ou presque. Car lingue bleue, sabre noir et grenadier pourront être pêchés dans les eaux profondes internationales, non soumises à l'accord. Ces espèces peuvent aussi se rencontrer à partir de 400 mètres dans les eaux européennes. Il n'y aura pas de conséquences visibles, donc, dans les jours prochains, après l'entrée en vigueur de cette interdiction. Mais l'association Bloom préconise plus que jamais aux consommateurs de "se détourner" de ces espèces de poissons. "S'il n'y a plus de marché, les industriels se détourneront de cette pêche, indique la présidente de l'ONG. Pour les faire réagir à un désastre écologique, il faut des signaux économiques." 

Il est difficile toutefois de connaître sur le bout des doigts les espèces à éviter absolument, celles à consommer avec modération et celles que l'on peut déguster l'esprit tranquille. Franceinfo avait listé quelles espèces vous pouvez consommer, sans vous inquiéter, selon vos préoccupations pour votre santé et pour l'environnement. "L'important est de garder à l'esprit les quelques espèces vraiment interdites", souligne Claire Nouvian. Sur son site, Bloom liste les requins, la lingue bleue, le sabre noir, le grenadier de roche, le hoki, l'empereur et le sébaste. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.