: Vrai ou faux On a vérifié les chiffres de Gabriel Attal et de La France insoumise sur les sans domicile fixe et sans-abri sortis de la rue
Quel est le bilan d'Emmanuel Macron en matière de réduction du nombre de personnes à la rue ? Alors que le gouvernement de Gabriel Attal n'a toujours pas de ministre du Logement en titre près de dix jours après le remaniement, la gauche en a fait un angle d'attaque au moment où la France a connu un épisode de froid glacial. Lors de sa première séance de questions à l'Assemblée nationale, mardi 16 janvier, le nouveau Premier ministre a répondu à une question de Mathilde Panot, la cheffe de file des députés La France Insoumise (LFI), à ce sujet.
Gabriel Attal a rétorqué que la majorité présidentielle avait "sorti 550 000 personnes du sans-abrisme, en leur permettant d'avoir un logement pérenne". Le député LFI de Marseille, Manuel Bompard, a répliqué sur le réseau social X, affirmant que les chiffres du Premier ministre étaient "mensongers". Le coordinateur politique de LFI a assuré que "selon la fondation abbé-Pierre, il y avait 142 000 SDF en 2015 et 330 000 en 2023". Son collègue Thomas Portes, député LFI de Seine-Saint-Denis, a, lui aussi, brandi ces chiffres, dans un tweet, estimant que le chef du gouvernement "invente" son bilan.
Des situations et données diverses
Si les chiffres mis en avant par Gabriel Attal et les députés LFI sont différents, ils ne se contredisent pas pour autant. "Ils ne mettent pas en valeur le même sujet, note, interrogé par franceinfo, Manuel Domergue, directeur des études de la fondation abbé-Pierre. "Gabriel Attal évoque le nombre de personnes qui ont trouvé un logement, tandis que Manuel Bompard parle du nombre de personnes sans domicile", poursuit-il. Manuel Domergue a d'ailleurs tweeté en réaction à cette polémique : "Cela peut paraître étrange, mais Manuel Bompard et Gabriel Attal ont raison tous les deux." Explications.
Le Premier ministre fait référence au bilan du plan gouvernemental Logement d'abord, mis en place en 2018. Selon le gouvernement, ce plan a permis à près de 440 000 personnes de sortir de la rue et d'accéder à un logement, entre 2018 et 2022. Depuis juin 2023, le gouvernement a lancé le plan Logement d'abord 2. "Le chiffre de 550 000, évoqué par Gabriel Attal, serait donc le chiffre avec l'ajout de l'année 2023", avance Manuel Domergue, qui ajoute : "Cela paraît cohérent avec les calculs du bilan 2023 de la fondation."
Contactée par franceinfo, la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), chargée du plan Logement d'abord 2, a répondu après la publication de cet article. Elle confirme le chiffre avancé par le Premier ministre, calculé "par extrapolation". Les données de décembre 2023 ne sont pas encore disponibles, mais "en novembre 2023, partant de 2018, 535 000 personnes ont accédé à un logement", détaille la Dihal.
Cet ordre de grandeur de "550 000 personnes sorties du sans-abrisme" évoqué par le Premier ministre recouvre en réalité diverses situations. Comme l'explique le gouvernement, sont comptabilisées les personnes qui sont sorties de la rue, que ce soit en entrant dans un lieu d'hébergement, en obtenant un logement social, une place dans une pension de famille ou un appartement dans le parc privé grâce au système de l'intermédiation locative. "En l'absence de données fiables", précise le site, ce calcul ne prend toutefois pas en compte les personnes ayant accédé à un logement privé sans aide de l'Etat et bénéficiant du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile.
Manuel Bompard et Thomas Portes, eux, mettent en avant une autre réalité : la hausse du nombre de personnes sans domicile fixe en France. Pour ce faire, ils citent les chiffres de la fondation abbé-Pierre. D'après cette institution qui publie un rapport chaque année, le nombre de personnes sans domicile est passé de 142 000 à 330 000 entre 2015 et 2023, sur le territoire. Cette population aurait donc plus que doublé en l'espace de huit ans.
Une estimation du nombre de SDF faite par l'Insee
Ce chiffre de la fondation abbé-Pierre n'est toutefois qu'une estimation, basée sur des données de l'Insee datant du dernier recensement, en 2012, et qui sont elles-mêmes des estimations. "Notre décompte n'est pas exhaustif non plus, reconnaît auprès de franceinfo Thomas Lellouch, directeur de projet à l'Insee. Le but de l'enquête est de faire une estimation du nombre de personnes sans domicile et d'analyser leur profil". Pour ce faire, les chercheurs de l'Insee contactent les structures d'accueil de personnes sans domicile : les centres d'hébergement, de maraudes, de distribution de repas... "Nous leur demandons leur taux de fréquentation pour estimer le nombre de personnes sans domicile", précise Thomas Lellouch. Cette grande étude n'est pas réalisée annuellement par l'Insee. "Le prochain recensement est prévu en 2025. Le travail d'enquête est trop long pour le réaliser chaque année", fait valoir le directeur de projet de l'Insee. En l'absence de données plus récentes, l'Insee ne confirme donc pas, pour l'instant, cette augmentation.
Pour tenter d'avoir des chiffres plus actualisés, d'autres organismes se sont chargés de réaliser des recensements. La fondation abbé-Pierre établit ainsi son propre décompte depuis 2007. "Nous nous sommes basés sur les données de l'Insee de 2012 et nous les actualisons chaque année", précise Manuel Domergue. Les bénévoles de la fondation abbé-Pierre utilisent les mêmes techniques que l'Insee et contactent les structures d'accueil des personnes sans domicile. D'autres initiatives, municipales, citoyennes ou associatives, ont également vu le jour, notamment dans les grandes villes, comme les nuits de la solidarité. Le but est de quadriller le terrain pendant quelques heures afin de décompter le nombre de personnes dormant dans la rue. A Paris, dans la nuit du 26 au 27 janvier 2023, les bénévoles ont recensé 3 015 personnes "sans solution d'hébergement", contre 2 598 l'année précédente.
Un chiffre qui pourrait être sous-estimé
Le nombre de personnes sans domicile pourrait être bien plus important en France que ne le disent ces études. D'abord, les chiffres de l'Insee ne prennent pas en compte l'outre-mer. Ensuite, certaines personnes ne sont pas vues lors de ces recensements. "C'est un décompte très complexe à réaliser, note le chercheur de l'Insee. Si les personnes se trouvent dans des halls d'immeubles, des cages d'escalier ou dans une voiture, elles ne sont pas comptabilisées." Enfin, la date du décompte peut jouer. Les nuits de la solidarité sont souvent organisées en hiver, période pendant laquelle il y a moins de sans-abri à la rue. "L'hiver, les plans grand froid sont mis en place, les sans-abri ont davantage tendance à se retrouver dans des centres d'hébergement ou à être logés par des particuliers", précise Thomas Lellouch. La prochaine enquête de l'Insee aura lieu au printemps 2025.
En résumé, comme l'ont affirmé Manuel Bompard et Thomas Portes, le nombre de personnes sans domicile a bien augmenté en France sous la présidence d'Emmanuel Macron, selon les estimations de la fondation abbé-Pierre. Mais, dans le même temps, certains sans-abri sont sortis de la rue : 440 000, a minima, en cinq ans, selon le gouvernement. "Le gouvernement a donc sorti des milliers de personnes de la rue, mais des milliers d'autres s'y sont retrouvées", résume Manuel Domergue.
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