Vrai ou faux Dette publique : la France fait-elle pire que la Grèce et l'Italie, comme l'affirme Bruno Retailleau ?

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le sénateur vendéen Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, lors de l'université de rentrée des Jeunes LR, le 1er octobre 2023 à Valence (Drôme). (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS)
La France est en réalité moins endettée que la Grèce et l'Italie, et bénéficie d'une meilleure confiance auprès de ses créanciers. Elle figure tout de même parmi les 10 pays au monde où la dette publique est la plus élevée.

Les Républicains s'en prennent à la situation budgétaire dégradée de la France. Mardi 9 avril, lors de la "Nuit de l'économie" organisée dans le cadre des Etats généraux de la droite, les responsables du parti ont échangé sur la situation "catastrophique", selon eux, des finances du pays. Le lendemain, l'exécutif annonçait d'ailleurs pour l'année 2024 un déficit public supérieur à 5% du produit intérieur brut (PIB) – un chiffre plus élevé que les 4,4% initialement prévus.

"L'heure de vérité est arrivée : nous empruntons le même chemin que la Grèce", avait averti le patron des Républicains Eric Ciotti, dans une interview au journal Les Echos publiée le 20 mars. "Mille milliards, ce sera la facture d'Emmanuel Macron en l'espace de deux quinquennats. En termes d'endettement, nous faisons juste moins bien que la Grèce et l'Italie (...) Ça signifie que la situation est catastrophique", a fustigé le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau. Comment la dette publique française se porte-t-elle réellement ? Fait-on moins bien que la Grèce et l'Italie ? Franceinfo s'est plongé dans les chiffres.

La France, troisième Etat le plus endetté d'Europe

La France fait bien partie des pays les plus endettés d'Europe. Au deuxième trimestre 2017, lors de l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, la dette publique française (c'est-à-dire l'ensemble des dettes contractées par les administrations publiques) était de 2 231,7 milliards d'euros, selon l'Insee. Fin 2023, elle s'élevait à 3 101,2 milliards d'euros, selon cette même source. Soit un différentiel de 870 milliards d'euros, un chiffre un peu moins élevé que les "1 000 milliards" avancés par Bruno Retailleau.

Contrairement à ce qu'affirme le sénateur, la France reste toutefois moins endettée que la Grèce ou l'Italie, par rapport à son PIB. Au troisième trimestre 2023, la dette publique française s'établissait à 111,9% du PIB, contre 165,5% pour la Grèce et 140,6% pour l'Italie, selon les derniers chiffres d'Eurostat (PDF), l'office statistique de l'Union européenne. En comparaison, ce taux s'élevait à 89,9% pour la zone euro et 82,6% pour l'ensemble de l'UE.

La dette n'est, de toute façon, pas le seul critère pertinent pour juger de la santé financière d'un pays. Tout dépend de la confiance que portent les créanciers au pays emprunteur. "Ceux qui prêtent de l'argent à la France n'ont pas de doutes. Ils prêtent à des taux d'intérêt qui sont significativement plus bas qu'en Grèce ou en Italie", observe auprès de franceinfo Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision auprès de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "Les taux d'intérêt sont plus bas en Allemagne qu'en France, mais cette différence n'augmente que de façon très marginale", observe le docteur en économie.

Une dette publique "bien notée"

Aussi, la France, la Grèce et l'Italie n'obtiennent pas la même note auprès des principales agences de notation financière, qui évaluent la capacité d'un emprunteur – un Etat, par exemple – à rembourser sa dette. Pour cela, les agences s'intéressent aux actifs détenus par l'Etat. "Si vous avez trois châteaux et deux Ferrari, la banque vous prêtera plus facilement de l'argent. La France est l'un des pays qui ont le plus d'actifs en Europe", illustre Eric Heyer. "Non seulement l'Italie et la Grèce ont moins d'actifs, mais elles ont des perspectives de croissance plus faibles comparées à la France", souligne l'économiste. Un critère également pris en compte par les agences de notation.

L'Agence France Trésor rappelle que la France a obtenu la note de AA- auprès de Fitch, Aa2 de Moody's et AA de Standard and Poor's en 2023. Autrement dit, ces trois agences considèrent que la valeur du crédit français est de haute qualité et que le risque qu'elle ne rembourse pas son crédit est très bas. "C'est l'équivalent d'un 18 sur 20. La Grèce est notée l'équivalent de 9/20 et l'Italie, de 11/20", illustre Eric Heyer.

"Quand on regarde calmement les chiffres, on constate que la situation s'est dégradée, mais qu'elle reste soutenable."

Eric Heyer

économiste à l'OFCE

Au niveau mondial, les disparités entre les pays en termes de dette sont importantes. Selon un classement du Fonds monétaire international (FMI) publié en 2023, le Japon est l'Etat le plus endetté du monde (261,29%), devant la Grèce, le Venezuela, l'Italie, les Etats-Unis, le Portugal et l'Espagne. La France arrive en 8e place (111,67%). Pour autant, un taux d'endettement élevé n'est pas forcément le signe d'une économie en crise. "Il n'existe pas de niveau de dette publique au-dessus duquel c'est la catastrophe", assure Eric Heyer. "Les Japonais ont une dette supérieure à 260 points du PIB mais ils ont beaucoup d'actifs en face. L'Argentine, qui a une dette d'environ 80 points du PIB, est en faillite", note le chercheur.

Un déficit creusé par les différentes crises mondiales

Covid, guerre en Ukraine, crise énergétique – toutes ces crises ont contribué à creuser les déficits publics dans le monde entier. La France ne fait pas exception. Pour Eric Heyer, il convient tout de même de scruter la nature du dérapage de nos finances : "Si l'endettement sert à accumuler des actifs, comme investir dans des hôpitaux ou dans l'environnement pour que les générations futures puissent en bénéficier, il n'y a aucun problème. Mais ces derniers temps, la France s'est endettée pour une politique de "quoi qu'il en coûte" et pour un bouclier énergétique. "Ce n'est pas du bon endettement sur le plan comptable", juge l'économiste. "Maintenant, il faut proposer un plan pour rembourser cette dette collective. Un plan qui mette tout le monde à contribution et qui soit échelonné, de façon à ne pas casser la croissance".

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