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"Quoi qu’il en coûte" : quand une expression se retourne contre ses auteurs

Retour sur les mesures mises en avant par Emmanuel Macron pour lutter contre la flambée des prix. Serait-ce le retour du "quoi qu’il en coûte" ?

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Clément Viktorovitch dans Entre les lignes, sur franceinfo, le 12 mai 2022. (FRANCE INFO / RADIO FRANCE)

La question est posée. Jeudi matin, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, sur RTL, et le président du Sénat, Gérard Larcher, sur franceinfo, ont été interrogés sur l’impact potentiel de ce plan de soutien au pouvoir d’achat. Ils ont été clairs : pas question, pour eux, de refaire le "quoi qu’il en coûte".

"Si c'est un nouveau quoi qu'il en coûte, non. On ne peut pas imprimer des billets éternellement. On l'a fait pendant la crise du Covid et il fallait le faire, mais on n'est pas pour qu'on continue à faire du quoi qu'il en coûte", a dit Geoffroy Roux de Bézieux. Même avis pour Gérard Larcher : "On ne pourra pas continuer ce que nous avons soutenu, le quoi qu'il en coûte, vers une forme de quoi qu'il advienne."

Geoffroy Roux De Bézieux et Gérard Larcher utilisent spontanément l'expression "quoi qu'il en coûte" pour qualifier les mesures envisagées par Emmanuel Macron. Il ne s’agit donc pas du vocabulaire utilisé par l’entourage du président de la République : le mot n’a pas été prononcé une seule fois, mercredi, par Gabriel Attal lors de son compte-rendu hebdomadaire du Conseil des ministres.

Une expression devenue un symbole

Le "quoi qu’il en coûte" désignait le plan d’aides déployées pour soutenir les entreprises pendant la crise du Covid-19 : fond de solidarité, activité partielle, prêts garantis par l’Etat… Rien à voir, donc, avec les mesures envisagées aujourd’hui, qui ciblent avant tout les ménages. Et pourtant, c’est bien le même terme qui revient, parce qu’il est devenu un symbole. Souvenez-vous : à l’origine, "quoi qu’il en coûte" était une formule martelée par Emmanuel Macron le 12 mars 2020, à l’aube de l’épidémie et du premier confinement :

"Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu'il en coûte. Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu'il en coûte. L'ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l'activité, puis de relance. Quoi qu'il en coûte."

L'allocution d'Emmanuel Macron sur le coronavirus Covid-19, le 12 mars 2020.  (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Dans ce discours, "quoi qu’il en coûte" est utilisé à trois reprises, mais à chaque fois en tant que proposition subordonnée adverbiale : ce n’est pas une proposition précise, mais une promesse floue. C’est ensuite seulement que l’expression a été "nominalisée" : elle est devenue un nom, le quoi qu’il en coûte.

C’était habile de la part du gouvernement. Sur le papier, il ne s’agit ni plus ni moins que de l’étiquette, la marque, choisie pour nommer cet ensemble de mesures. Mais comme toute étiquette, elle finit par produire des effets. Derrière le "quoi qu’il en coûte", on entend l’idée que les mesures seraient particulièrement généreuses. Elles l’ont certes été, mais moins que dans d’autres pays : le plan déployé par l’Espagne représentait 25 points de PIB, contre 17 points en France. Et pourtant, cela n’a pas empêché le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, de se vanter à de nombreuses reprises d’avoir "la politique la plus généreuse d’Europe". On retient le mot, et on en oublie d’interroger la chose.

Un redoutable instrument de disqualification politique

Si, dans la bouche de Geoffroy Roux de Bézieux et de Gérard Larcher, le terme n’avait pas l’air particulièrement bienveillant, c'est que c’est tout le problème des représentations : elles sont liées à une époque. Si le "quoi qu’il en coûte" était valorisé pendant la crise, depuis, il est surtout devenu synonyme d’un accroissement considérable de la dette publique.

Or, n’oublions pas que ce n’est pas un nom précis, mais bien une simple étiquette rhétorique. Une fois mise en circulation, elle est susceptible d’être réinvestie par des adversaires politiques, et plaquée sur des mesures n’ayant strictement rien à voir. Voilà comment cette expression en vient aujourd’hui à devenir un redoutable instrument de disqualification. Du point de vue d’un responsable politique, il pourrait être délicat de s’opposer à des "mesures de soutien au pouvoir d’achat". En revanche, il est beaucoup plus facile de dénoncer les dépenses inconsidérées d’un nouveau "quoi qu’il en coûte".

C’est tout le danger des nominalisations : une fois lâchées dans la nature, les marques peuvent se retourner contre leurs auteurs.

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