: Vrai ou faux La campagne vaccinale contre le Covid-19 viole-t-elle le "Code de Nuremberg" ?
Ce texte datant de 1947 et portant sur les questions d'éthique en médecine est brandi par les opposants à l'obligation vaccinale. Mais des règles juridiques plus récentes existent et encadrent désormais la recherche clinique.
Il est devenu l'un de leurs arguments-phares. Les opposants à l'obligation vaccinale contre le Covid-19 défendent leur position en brandissant notamment le "Code de Nuremberg". Selon eux, contraindre la population (ou une partie de celle-ci) à se faire vacciner s'apparenterait à une violation de ce texte datant de 1947.
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C'est ce qu'affirment notamment sur les réseaux sociaux une infirmière, une avocate, le fondateur du collectif Peuple libre ou encore une utilisatrice de Twitter, dans un message relayé 1 100 fois et qui enregistre quelque 2 300 likes : "Le gouvernement de la France s'apprête à rendre obligatoire l'injection d'un produit expérimental controversé (...) Cela va à l'encontre du Code de Nuremberg."
Mais quelle est l'origine de ce texte ? Que dit-il ? Et quelle est sa portée ? Ce qui est appelé le "Code de Nuremberg" correspond en fait à l'extrait d'un jugement datant de de 1947 rendu à l'issue du "procès des médecins" – à ne pas confondre avec celui des "dignitaires nazis". Ces derniers ont été jugés devant le Tribunal militaire américain de Nuremberg pour avoir mené des expérimentations sur des humains.
Un texte "largement dépassé"...
Ce passage porte précisément sur la participation des personnes à la recherche biomédicale. Il liste dix critères d'éthique et de morale qui doivent guider la démarche des chercheurs, résume auprès de franceinfo le juriste Philippe Amiel, membre du Comité d'éthique de la recherche de l'Inserm et co-auteur d'un article datant de 2013 qui explique que le texte a souffert de problèmes de traduction et d'adaptation au fil des décennies. C'est pourquoi Philippe Amiel met à disposition sur son site un document PDF énumérant les dix critères avec la traduction datant de 1950 accompagné de corrections survenues en 1988.
Selon le premier principe, "le consentement volontaire du sujet qui sert aux expériences est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir : qu'elle doit être laissée libre de décider, à l'exclusion de toute intervention étrangère telle que la force, la fraude, la contrainte, la supercherie, la duperie ou d'autres procédés de contraintes ou de coercition", détaille-t-il "L'expérience doit avoir des résultats pratiques pour l'humanité", poursuit le deuxième principe. "L'expérience doit être pratiquée de façon à éviter toute souffrance et tout dommage, physique ou mental, non nécessaires", d'après le quatrième principe.
Si le "Code de Nuremberg" est un "texte fondateur pour l'encadrement normatif des essais biomédicaux pratiqués sur l'être humain", "il n'est plus utilisé comme référence", assure Philippe Amiel.
"Aujourd'hui, on ne parle du 'Code de Nuremberg' que dans une perspective historique."
Philippe Amiel, membre du Comité d'éthique de la recherche de l'Insermà franceinfo
Au fil des décennies, le "Code de Nuremberg" s'est avéré "complètement dépassé" par d'autres textes comme la déclaration d'Helsinki (Finlande), "qui a été ensuite remise à jour plusieurs fois et est en révision permanente, relève l'Académie de médecine auprès de franceinfo. Les textes survenus après sont beaucoup plus exigeants et vont toujours plus dans le sens de la défense de l'individu." La déclaration d'Helsinki compte en effet 37 points au lieu des 10 du "Code de Nuremberg", avec des thématiques clairement définies, comme le "consentement éclairé". "Il y a tout un corps de règles déontologiques puis légales, nationales et internationales, qui se sont empilées", abonde Philippe Amiel, jugeant "anachronique" le fait d'invoquer le "Code de Nuremberg". "C'est comme citer la Bible et 'Tu ne tueras point' dans un procès pénal."
... qui n'a "aucune portée juridique"
Outre sa dimension symbolique et surannée, ce texte "n'a aucune portée juridique", remarque Philippe Amiel. Il existe des règles plus récentes, qui sont les règles de référence, utilisées par les avocats, les juristes et les juges en cas de contentieux. En France, un chercheur qui mène des expérimentations médicales doit se référer à l'article 1121-1 du Code de la Santé publique, dont une partie s'intéresse plus spécifiquement à la "recherche impliquant la personne humaine". Ce cadre induit des obligations, comme la signature d'un consentement éclairé des personnes qui participent aux essais cliniques ou encore la couverture d'une assurance d'un certain type. "Ce n'est pas seulement déontologique, c'est législatif", insiste le juriste.
"Dans le cadre de l'expérimentation, de la recherche clinique, tout est maintenant extrêmement encadré, supervisé."
L'Académie de médecineà franceinfo
En plus du poids nul du "Code de Nuremberg" d'un point de vue juridique, l'erreur commise par ceux qui le mettent en avant est d'affirmer que les vaccins administrés en France contre le Covid-19 sont toujours en phase expérimentale, comme le martèlent certaines critiques.
Si la phase 3 doit officiellement se prolonger jusqu'en octobre 2022 pour le vaccin de Moderna et mai 2023 pour celui de Pfizer-BioNTech, l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle obtenue en France rend légale leur administration au grand public, les sortant du cadre de la "recherche impliquant la personne humaine". Sur le plan juridique, les personnes qui mettent en avant le "Code de Nuremberg" pour dénoncer une prétendue expérimentation à grande échelle mènent donc "des raisonnements totalement erronés", soutient Philippe Amiel.
Sur le plan clinique, "les vaccins ne sont plus en phase expérimentale", assure à franceinfo le professeur en pharmacologie Bernard Bégaud. Dans les faits, ils ne sont donc plus en phase 3, qui est l'étape lors de laquelle l'efficacité des produits est testée. "Nous n'en sommes plus à des milliers de personnes vaccinées [comme c'est le cas en phase 3] mais à des dizaines de millions de personnes", insiste l'Académie de médecine. Pour la virologue Mylène Ogliastro, nous sommes désormais "dans une phase de pharmacovigilance aiguë. Il y a un niveau de vigilance extrêmement élevé et mondialisé."
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