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Vidéo "J'ai vu la mort dans ses yeux" : Florence, sept ans de violences conjugales, une tentative de meurtre

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Article rédigé par Noémie Bonnin, franceinfo
Radio France

Cette femme a failli être tuée par son mari. Plusieurs années après, elle doit encore gérer les conséquences de ces années de violences.

Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint en France. Un constat connu mais qui ne bouge pas, et dénoncé, entre autres en cette Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, dimanche 25 novembre. Les violences physiques se mêlent souvent aux violences psychologiques, voire sexuelles ou financières. Franceinfo a rencontré une victime de ces violences conjugales.

Florence est aujourd’hui une femme souriante. Difficile d’imaginer, à première vue, le calvaire qu’elle a vécu. Il se dessine tout de même sur son visage quand on s’approche : une longue cicatrice traverse sa joue, de l’oreille au coin de sa bouche. La trace visible de l’attaque de son ancien conjoint, un jour où elle bien failli y passer.

"Ce jour-là, il vient sur mon lieu de travail", raconte Florence, aujourd’hui âgée de 54 ans. Juste pour échanger quelques mots, promet à ce moment le mari. "Je m'écarte un peu de mes collèges et là, ce sont des mots terribles. Puis il me prend par les cheveux, me tire en arrière et commence avec un couteau à me taillader le visage. C’est une lutte acharnée, une lutte contre la mort, parce que je la vois vraiment arriver, j’ai vu la mort dans ses yeux. C’est ça qui est terrible. Quand on voit chez son mari, dans les yeux de l’être qu’on aime, qu’il va nous donner la mort, c’est abominable. Je me dis que je vais y passer."

Je crois que je suis restée des mois avec le regard fixe, avec le regard de la mort en face.

Florence

à franceinfo

Florence crie, ses collègues accourent pour raisonner l'homme. "Mais c’est impossible. Il vise le visage, il veut aller à l'artère carotide. Je me mets à terre." Moment de panique, tout le monde hurle, les secours sont appelés. "À ce moment, je suis dans une terreur épouvantable. Pendant longtemps, j'ai fait peur à mes proches, parce que je suis restée bloquée sur l’image de la mort."

Emprisonnée dans une "toile d’araignée"

Ce jour-là signe en fait le climax d’une longue période. Vingt ans de vie commune, quatorze de mariage. Et sept de violences. "Il a toujours été dans le déni des coups. La première fois, il me dit ‘c’est pas pour une claque que tu vas faire tant d’histoires ?’" Florence tente bien de partir, plusieurs fois. "Mais c'est impossible de partir quand on est prise dans une toile d'araignée comme elle est tissée. Dans le cerveau, on ne fonctionne plus du tout comme on devrait fonctionner." Alors Florence revient. "Il me promet monts et merveilles. Je lui dis qu’il a un problème avec les femmes, qu’il faut qu’il se fasse soigner. Il me répond ‘oui mais si tu reviens, parce que sans toi je ne peux pas, il faut que tu m’accompagnes’. Sauf qu’une fois que je reviens, il n’y a plus de soins, plus rien, ça recommence comme avant."

Il débute une phrase, on la finit. On n’est plus deux, on est un. C’est au-delà de tout.

Florence

à franceinfo

Alors Florence vit cette période "comme dans un tunnel", elle survit. "Comment j’ai pu tomber là-dedans ? Comment je n’ai rien vu venir ? Comment j’ai pu aller si bas ? Comment j’ai pu ne plus me respecter moi-même ? C'est comme si ce que j'avais vécu, ce n'était pas la réalité. J’ai l’impression d’avoir passé 20 ans dans un tunnel et je ne sais pas ce que j’ai fait de ces 20 ans."

Tous les jours, l’épouse attend son mari, la peur au ventre. "D’un quart d'heure à l'autre, on ne sait pas ce qu'il va nous arriver. Il est tout souriant, tout va bien, on se dit qu’on va passer une bonne journée. Et la seconde d’après ce n’est plus du tout le même personnage." Florence explique surveiller les moindres signes chez son compagnon. "Quand on vit avec un individu comme ça, on écoute comment il rentre, on écoute la portière de la voiture se fermer, on écoute comment il parle au chien, on écoute comment il arrive dans les escaliers. Pour se préparer à son humeur à lui."

Il y a un masque qui tombe. Quand on voit que le visage se transforme, on se tient à carreau.

Florence

à franceinfo

Comment rester, dans ces conditions ? "Je tenais par amour. J’étais persuadée qu’il redeviendrait gentil, qu’il redeviendrait la personne que j’avais rencontrée au départ. Et puis il me culpabilisait beaucoup. La phrase qui me tue, qu’il me disait tout le temps, c’est ‘rappelle-toi d’où tu viens’. Dans ces cas-là, on ne peut même plus réfléchir, on a le cerveau en puzzle."

Le début d'un "long chemin pour tenir debout"

Après la tentative de meurtre, c’est un pénible chemin de croix que vit Florence. Deux ans d’actes médicaux, 150 soins de kiné sur le visage. "C'est fou le chemin qu'il faut faire pour tenir debout." Même à l’hôpital, il est difficile de se sentir en sécurité "Une ombre qui passait, je croyais que c'était lui qui arrivait." Une fois sortie, elle est logée dans un appartement, "totalement vétuste". "J'ai pensé que là, tout allait basculer. J'ai cru que j'allais ouvrir la fenêtre et que j'allais sauter. C'était plus terrible de vivre le ‘après’ que ce que j'avais vécu pendant. C’était horrible."

C’est le hasard, finalement, qui lui fait rencontrer la psychologue d’une association, qui accompagne justement les femmes victimes de violences. "Ils m’ont sauvé la vie", témoigne-t-elle aujourd’hui. Accompagnement matériel, mental, Florence commence enfin à se reconstruire grâce à cette organisation, Solidarité femmes. La suite judiciaire, elle, ne se déroule pas comme espérée. Son ancien conjoint passe 18 mois en prison en préventive, puis sort avec un bracelet électronique. Il la recontacte même par téléphone. "Je vis en équilibre sur un fil en attendant le procès, parce qu’il n’y a que ça qui me fait vivre. Je voulais pouvoir dire ‘voilà l’individu que c’est’. Après, qu’il soit mis en prison, peu importe. L’important c’était qu’il soit reconnu coupable. J’en avais besoin."

Je veux entendre de mes propres oreilles que monsieur est coupable de tentative d’assassinat et que madame est victime.

Florence

à franceinfo

Florence attend trois ans et demi. "Et là, 14 juillet 2017, monsieur décède." Il n’y aura donc pas de procès. "On ne poursuit pas un mort. J’ai attendu tout ce temps pour ça ! Là j’ai basculé profondément. Je devais faire le deuil d'un ex-mari que j’avais aimé, mais aussi de mon agresseur et du procès." Si elle commence à aller mieux aujourd’hui, Florence conserve une forte colère en elle. "Moins sur l’histoire en tant que telle, mais plus vis-à-vis des instances. Il n’y a pas de moyens pour suivre les victimes." Selon elle, le milieu hospitalier n’est pas assez formé. Mais sa plus forte rancœur se porte sur le monde de la justice : "C’est ma bête noire. Moi dans mon histoire, j’ai l’impression de m’être retrouvée de l’autre côté de la barrière, j’ai tout perdu alors que lui est mort tranquillement chez lui."

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