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Condamnation de l’État pour "faute lourde" après un féminicide : "Un acte constructeur" pour la protection des femmes, réagit l'avocate de la sœur de la victime

En période de confinement, Isabelle Steyer estime que cette "décision fait encore plus sens puisqu'il faut encore plus entendre et aider les femmes victimes de violences conjugales "et surtout appliquer le droit."

Article rédigé par franceinfo
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L'Etat a été condamné, en mars dernier , pour "faute lourde" à verser 100 000 euros de dommages et intérêts à la famille d'une femme assassinée en 2014 par son ex-compagnon contre lequel elle avait porté plainte. (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

"C’est un acte constructeur et constructif", estime, lundi 20 avril sur franceinfo, Me Isabelle Steyer, l’avocate de la sœur de la victime d'un féminicide qui a eu lieu à Grande-Synthe dans le Nord en 2014. La sœur et les parents de Cathy Thomas ont été assassinés par l’ancien compagnon de sa sœur.

L'Etat a été condamné, au mois de mars, par la justice pour "faute lourde" car la femme était au téléphone avec Police secours au moment des faits et le contrôle judiciaire de l'ex-compagnon n’avait pas été respecté. L'homme s’est suicidé en prison. Pour Isabelle Steyer, cette décision permet d’affirmer que "la protection des femmes doit être une priorité."

franceinfo : Est-ce que cette condamnation est pour vous une satisfaction ?

Isabelle Steyer : Nous vivons un contexte humanitaire très difficile donc parler de satisfaction c'est compliqué. Mais concernant la cause des femmes, c'est une belle victoire puisque ce que souhaitait Cathy, qui était la sœur de la victime et la fille des victimes, était de faire en sorte que la voix des femmes soit entendue dans les commissariats et qu'elle soit relayée plus tard par les procureurs et les magistrats. C'était lancer un avertissement et surtout inciter et inviter tous les intervenants juridiques et judiciaires qui avaient à traiter la parole des femmes, à la prendre au sérieux, à donner des suites et à protéger ces femmes-là. En ce sens-là, et dans ce moment de confinement que nous vivons, où les femmes sont encore plus victimes de violence conjugale, la décision fait encore plus sens puisqu'il faut encore plus entendre et aider ces femmes-là et surtout appliquer le droit. C'est bien cette question-là qui était aussi au tribunal, c’est que le droit concernant les femmes victimes de violences existe. Nous avons une législation qui est très jolie sur le papier. Nous avons aussi une convention d'Istanbul. Nous avons une Cour européenne des droits de l'homme, mais nous avons une inapplicabilité incroyable du droit pénal et du droit de la procédure pénale, concernant les femmes victimes. Il y a une espèce discrimination à l'égard des femmes victimes de violences qui est inconcevable. C’est qu'à partir du moment où une femme entre dans un commissariat, elle a une chance sur deux de ne pas être entendue.

franceinfo : Espérez-vous que cette condamnation de l'État pour faute lourde fasse bouger les lignes ?

Je le souhaite vraiment. C’est un acte constructeur et constructif qu'a voulu lancer Cathy, ma cliente. Ce n’est pas un acte de désespoir. C'est un acte constructeur parce que rien ne fera revenir ses parents. Il faut dire par là que les femmes doivent être absolument entendues, comprises et protégées. La protection des femmes doit être une priorité, au même titre que la présomption d'innocence des prévenus.Il faut que tout soit mis en place pour que les femmes qui ont signalé leur situation de danger soient mises à l'abri par les services de police et par les services de l'État. C'est la fonction d'État de protéger ses citoyens.

Est-ce que vous pensez que les choses ont changé depuis 2014, notamment avec le Grenelle ou les discours politiques, ou qu'elles pourraient avoir lieu exactement de la même manière aujourd'hui ?

Il faut savoir qu'une femme sur deux, à peu près 40 % des femmes victimes de féminicides, ont déjà déposé plainte, donc c’est quelque chose qui est aujourd'hui encore récurrent. Mais on a quand même de plus en plus, suite au Grenelle, une prise de conscience. Dans ce que nous vivons actuellement dans le confinement, il y a une grande prise de conscience de la part de toute la société, des voisins de famille, de tous ceux qui côtoient les femmes victimes de violences, de ce qu'est ce phénomène de violences conjugales qui n'est pas une violence, un jour, une fois. C’est un phénomène au terme duquel on fait tomber la victime dans une toile d'araignée, on la fait tomber dans un piège. Elle est en fait embastillée. Ce confinement est finalement une mesure supplémentaire donnée à l'agresseur pour faire en sorte que sa parole ne sorte pas des quatre murs de la maison, qu'elle n'aille pas jusqu'à un policier, jusqu'à un commissariat, jusqu'à un médecin. On a, depuis quatre ans, une prise de conscience. C'est nécessaire, c'est indispensable. Oui, des choses ont été mises en place mais en matière de droit des femmes, c'est ce que disait beaucoup de chercheuses, à partir du moment où on ne fait rien, les choses reculent. Regardez ce qu'il en est de l’IVG, de l’IVG en temps de confinement, des violences conjugales en temps de confinement. Si on ne bouscule pas l'ordre établi, on ne gagnera pas. Il faut pousser beaucoup plus fort les textes, les interprétations, les murs, pour faire en sorte que la parole des femmes soit entendue, soit construite, soit relayée et qu'elles soient protégées.

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