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Tribune "Seul·es les partisan·es de la domination masculine devraient s'étouffer devant l'écriture inclusive !"

Eliane Viennot, professeure de littérature à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne et auteure de "Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !", défend ce mode d'écriture prisé des militants féministes.

Article rédigé par franceinfo - Eliane Viennot, professeure de littérature à l'université de Saint-Etienne
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L'écriture inclusive propose une grammaire et une typographie particulière pour ne plus invisibiliser les femmes dans la langue française. (GIANNI DILIBERTO / CAIAIMAGE / GETTY)

L'égalité entre les femmes et les hommes passe-t-elle par une réforme de la langue française ? De plus en plus d'universitaires militent pour l'adoption de l'écriture inclusive, qui vise à adopter une grammaire et une typographie qui rendent les femmes plus visibles dans notre langue. Pour Eliane Viennot, professeure de littérature à l'université Jean-Monnet de Saint-Etienne, auteure de Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! et co-auteure de L'Académie contre la langue française : le dossier "féminisation", seules les personnes opposées à l'égalité des sexes devraient s'en indigner. Elle s'exprime ici librement.

Depuis quelques années, des signes sont apparus sous la plume de certain·es féministes, à l'image du point milieu qu'on vient de voir passer. Bien entendu, on pourrait écrire "de certains et certaines féministes" (ou l'inverse) mais aussi "des femmes et des hommes féministes" (ou l'inverse). Si, à l'oral, on doit choisir l'une de ces formules, à l'écrit elles paraissent trop souvent longues – d'où le signe utilisé. Il n'échappe toutefois à personne que ce point minuscule n'est pas le seul en lice. S'invitent aujourd'hui dans les textes parenthèses, lettres majuscules, points bas, traits d'union, barres obliques, voire les mêmes signes redoublés ("certain-e-s"), et même d'improbables constructions comme celle-ci, lue ce matin dans un courriel : "des utilisat-eur-rice-s" !

Le langage structure et oriente notre pensée

Ces excès devraient faire sourire, réfléchir, agir, mais non se mettre en colère. Ce qui les fonde est en effet le désir de rompre avec un langage où seul le masculin a droit de cité. En écrivant "les agriculteurs refusent cette loi", par exemple, nous passons sous silence le fait que 27% des exploitations étaient en 2010 dirigées par des femmes, selon les chiffres du ministère.

Cette question serait secondaire, voire anecdotique ? Rien de moins vrai – comme le prouve l'agacement suscité. Car le langage structure notre pensée : il ne fait pas que la refléter, il l'oriente !

Si nous voulons vraiment l'égalité, nous devons nous débarrasser autant que faire se peut des travers légués par des siècles où seuls les hommes maniaient la parole publique, et le faisaient à leur avantage.

C'est possible, mais il ne suffit pas de vouloir pour savoir comment faire. Nous sommes donc dans une phase de tâtonnements, de recherche des meilleurs moyens de s'exprimer sans passer à la trappe la moitié de l'humanité. On a déjà fait beaucoup de chemin, mais on n'est pas encore au bout.

Notre langue a longtemps été plus égalitaire qu'elle ne l'est aujourd'hui

L'écriture inclusive serait une énième lubie de militant·es qui cherchent un nouveau combat à mener ? Ce débat est en fait vieux de quarante ans ! Plus précisément, il s'agit de la deuxième étape d'un effort initié à la fin des années 1970 pour féminiser la langue française, comme on disait à l'époque, sans comprendre qu'il s'agit en réalité de la reféminiser, ou de la démasculiniser.

Cet effort a d'abord porté sur le vocabulaire : les termes désignant des occupations jusqu'alors monopolisées par les hommes (ou rêvées comme telles par eux) et qu'il était prétendument impossible d'écrire au féminin : écrivain, auteur, juge, magistrat, substitut, maire, ministre, sénateur, officier, général, président… L'Histoire nous apprend qu'il n'en est rien, et que notre langue a longtemps été plus égalitaire qu'elle ne l'est aujourd'hui. 

On sait ainsi qu'une Jeanne appelée 'l'écrivaine' partageait boutique avec le procureur du Châtelet dans le Paris des années 1390, et qu'on a chanté des 'autrices' jusqu'au temps de Louis XIV.

La disparition de ces féminins, ou leur spécialisation dans un emploi "conjugal", est un processus initié au XVIIe siècle, sous la pression de l'Académie (née en 1635). Cette bataille-là – fort longue et rude, pour 20 à 30 mots ! – est aujourd'hui en passe d'être gagnée : non seulement parce que des féministes et des linguistes l'ont menée, mais parce que… c'est la langue française qui l'exige ! "Madame le maire" n'est rien d'autre qu'un solécisme, c'est-à-dire une construction qui n'est pas conforme à notre syntaxe actuelle, comme "le lionne" et "le sénateur est satisfaite" constituent des fautes d'accord. 

L'écriture inclusive n'est pas si compliquée

Faire coexister les femmes et les hommes serait trop complexe ? Des solutions simples existent pourtant. Il suffit par exemple de se servir de l'ordre alphabétique, au lieu de laisser régner la préférence masculine ("les acteurs et les actrices" mais "la directrice et le directeur"), ou de "faire passer les dames devant" ("l'égalité femmes-hommes" plutôt que "l'égalité hommes- femmes").

A l'écrit, certains énoncés peuvent en outre être raccourcis sans difficulté, à condition de s'en tenir aux cas où seulement une lettre ou deux distinguent le féminin du masculin ("Les étudiant·es sont mécontent·es" ; "Les historien·nes sont divisé·es"). C'est là qu'interviennent les fameux signes qui font tant horreur à certain·es. Si le point milieu est aujourd'hui celui qui semble le plus satisfaisant, c'est en raison de sa discrétion et de son unicité d'emploi, car tous les autres signes ont un autre usage.

Sa difficulté d'accès (plusieurs touches sont nécessaires) devrait disparaître avec les nouveaux claviers en préparation. Et d'ici là, il suffit de se créer une correction automatique pour l'utiliser rapidement. Quant à redoubler ce signe avant la marque du pluriel, c'est tout bonnement inutile.

Un héritage de Richelieu snobé jusqu'au XIXe

Il est enfin possible d'améliorer encore et l'inclusion et l'égalité, tout en limitant le recours aux signes diacritiques [qui permettent de modifier le sens d'un mot] ou à l'expression systématique des termes féminins et masculins – puisqu'il paraît que "c'est trop long !" : en abandonnant la règle de grammaire qui veut que "le masculin l'emporte sur le féminin".

Autre cadeau des amis de Richelieu, cette règle qu'ignorait le latin, que les autres langues romanes continuent d'ignorer, et que bien des Français·es ont snobée jusqu'à la fin du XIXe siècle (jusqu'à l'école primaire obligatoire) est inutile linguistiquement et particulièrement nocive socialement, vu les messages fort peu grammaticaux qu'elle installe dans les crânes.

La vieille règle dite de proximité est l'une des solutions : "Les facteurs et les factrices sont parfois fatiguées de pédaler" n'est pas plus choquant que "Les filles et les garçons sont contents d'être applaudis". Mais la règle de majorité semble parfois plus judicieuse : "Les trente jeunes filles, leur institutrice et son chat sont arrivées à bon port" tombe sous le sens.

En bref, les partisan·es de la domination masculine devraient seul·es s'étouffer. Qui d'autre souffrira de nouveautés aussi anciennes, ou, pour la seule vraiment nouvelle, bien moins dérangeante que l'introduction de la cédille ou des accents en leur temps ? Et qui a eu du mal à lire cette tribune ?

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