"Face à une voiture lancée à 130 km/h, je ne suis rien..." La vie à toute vitesse des patrouilleurs autoroutiers sur la route des vacances
Ils sont les yeux, les oreilles mais aussi les petites mains des autoroutes. De jour comme de nuit, les hommes en jaune veillent sur les automobilistes. A l'occasion de ce week-end de chassé-croisé, franceinfo est allé à leur rencontre.
Ils sont prêts à traverser l'autoroute à pied, juste pour récupérer un doudou. Ils peuvent même bloquer une voie de circulation pour ramasser une chaussette. Les patrouilleurs autoroutiers ressemblent aux anges gardiens d'une vie qui défile à 130 km/h.
Avec leur chasuble jaune sur le dos, ils ramassent, sécurisent, guettent, nettoient, réparent pour que le vacancier ou le routier circule en toute sécurité. A l'occasion de ce week-end de chassé-croisé entre juillettistes et aoûtiens, franceinfo est allé à leur rencontre.
"On ne court pas sur l'autoroute"
Quelque chose de "bizarre" vous traverse le corps rien qu'en y pensant. Comme une sorte de haut-le-cœur. A moins que ce soient des sueurs froides. Traverser une autoroute au milieu d'un flot de véhicules filant à 130 km/h, et puis quoi encore ? "Ce n'est pas de la folie, rigole Valérie Tison. C'est juste mon métier." Et d'ailleurs, "pas la peine d'avoir fait dix ans d'athlétisme", "on ne court jamais sur l'autoroute". Jamais, jamais, jamais. "Si vous courez, le champ de vision rétrécit, on est moins attentif, et puis imaginez le drame si vous trébuchez sur quelque chose..." La technique, c'est donc de marcher, et d'avoir toujours en vision les voitures qui arrivent sur vous.
On attend qu'il y ait un trou, un espace. On se fie au bruit des moteurs, aux frottements des pneus pour évaluer la vitesse. Et hop, on y va. Franchement. Sans se poser de question.
Valérie Tison, patrouilleuseà franceinfo
Huit ans que Valérie Tison fait des rondes sur une partie de l'A10 et de l'A28 pour le compte de Vinci Autoroutes. Les environs de Tours (Indre-et-Loire), c'est son "district", comme ils disent en interne. Au volant de son fourgon jaune, le numéro 126, madame avale 380 bornes par jour. A force, évidemment, elle en connaît chaque recoin. Franceinfo, qui est monté à bord, a fait le test. Elle est capable de se repérer sans GPS. De vous affirmer que le point kilométrique 217 est là, entre les deux sapins. Que le champ où le maïs a le plus poussé ces temps-ci est ici et pas ailleurs.
Un coup d'œil aux bas-côtés, un autre sur la chaussée, Valérie Tison balaie des yeux l'ensemble des voies. A l'affût du moindre problème. Une peluche par terre, et elle descend de son camion. Avec nous, la "récolte" a été "moyenne". Bilan des courses : un panier bleu, un morceau de pneu et un joint de porte. Bref, à 51 ans, elle a déjà connu mieux.
Une alliance, une planche à voile, des petites culottes, une table de jardin, un sac de chaussures... J'ai eu de tout.
Valérie Tisonà franceinfo
Il y a aussi des moments moins drôles, des "petites frayeurs", comme lorsqu'on l'a frôlé "d'un peu trop près." Elle peste encore : "Face à une voiture à 130 km/h, je ne suis rien." Elle tient donc à préciser (pour ceux qui l'auraient oublié) que la chasuble jaune n’est pas un gilet par balles, encore moins un bouclier. Pour se calmer, elle branche le 107.7 et fredonne du Soprano ou du Maître Gims, entre deux flashs info trafic : "C'est mon fils de 18 ans qui m'a fait découvrir, franchement j'aime bien."
"Le camion était enfoncé sur 50 centimètres"
Et puis, tout à coup, il y a eu un gros boum. Olivier Hoff a vu son fourgon traîner sur près de 70 mètres. Et finir sa course sur le terre-plein central. "J'étais stationné sur la bande d'arrêt d'urgence pour sécuriser un accident quand un 44 tonnes a percuté mon camion." Heureusement, lui se trouve 200 mètres plus loin et s'en sort donc sans la moindre égratignure. C'était il y a deux mois, près du péage d'Ancenis (Loire-Atlantique), mais le patrouilleur n'a rien oublié. Le bruit, le choc et les dégâts. "Le camion était enfoncé sur 50 centimètres."
Entre collègues, on se parle. Ça soulage, on se dit qu'on n'est pas seul.
Olivier Hoffà franceinfo
Après un débriefing obligatoire avec la hiérarchie, Olivier Hoff a pu reprendre le travail dans la foulée. Mais d'autres n'en ont pas toujours la force. C'est le cas d'un de ses collègues qui "a assisté au décès" d'un camarade en 2011.
Sur l'autoroute, les "hommes en jaune" se sentent de plus en plus vulnérables. Il faut dire que les accidents sont fréquents. En 2016, il y en a eu 124, soit plus de deux par semaine, selon l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (Asfa). Et la tendance s'aggrave : sur les six premiers mois de 2017, pas moins de 94 accidents ont déjà eu lieu, soit près du double du premier semestre de l'an dernier. Alors, pour sensibiliser toujours plus ses clients, Vinci Autoroutes leur a demandés de créer eux-mêmes les messages de prévention affichés sur les panneaux lumineux. Parmi ceux qui ont été sélectionnés, on trouve : "En jaune, c'est mon père, je l'aime", "En jaune, je suis visible, pas invincible" et "Arrête de ronfler, tu roules".
"Il y avait des vêtements partout"
Rien n'échappe à Bruno Lecomte, pas même une chaussette. Le patrouilleur en rigole aujourd'hui, mais sur le coup, il a fallu se dépêcher. Récemment, un coffre de toit s'est fait la belle à 130 km/h, et tous les vêtements de monsieur et madame se sont envolés. "Le coffre s’est ouvert avec la vitesse et le vent. Il y en avait partout, sur toutes les voies". Un jean ici, un pull là-bas...
S'il faut aller vite, c'est qu'un objet peut vite devenir un obstacle. De loin, impossible de distinguer quelque chose de dur ou de mou. Patrouilleur depuis 1986 chez Cofiroute, il a ramassé de tout : "des vélos", "des frigos", "des armoires"... Mais aussi des glacières, des matelas. Récemment, il a récupéré la portière d’un fourgon sur la plateforme de Saint-Arnoult-en-Yvelines (Yvelines). D'ailleurs, Bruno ne comprend toujours pas comment le conducteur ne s'en est pas aperçu...
Il arrive que le client ou le propriétaire attende plus loin pour récupérer son objet perdu.
Bruno Lecomteà franceinfo
Pour les autres, Bruno met un mot dessus : "Trouvé tel jour à tel endroit." On ne sait jamais... Quand il s'agit de doudous, alors l'entreprise diffuse "des avis de recherche" sur les réseaux sociaux. "Cas de force majeure", nous dit-on.
"Il faisait pipi sur la bande d'arrêt d'urgence"
Yannick Moné n'en revient toujours pas. Au volant de son camion jaune, il a dû s'approcher à quelques mètres pour constater qu'il n'avait pas rêvé. Oui, monsieur était bien en train de "faire pipi sur la bande d'arrêt d'urgence". Le pire, se souvient le patrouilleur de la Sanef, c'est que "le gars n'avait pas l'air de comprendre ce qu'il faisait de mal !" Il lui aurait pourtant suffi de lever les yeux pour voir le panneau indiquant une aire de repos à deux kilomètres...
Ce genre d'histoires, c'est ce que le patrouilleur de 45 ans appelle des "rencontres insolites". Son métier lui en assure quasiment tous les jours. Il y a celui qui vérifie son attelage "dans un virage, juste avant une sortie, et sans les warning". Celui qui change son pneu, "accroupi sur la voie et qui semble ne pas entendre les coups de klaxon des automobilistes". Il raconte aussi que les aires de repos sont "de très bons points de rencontres amoureuses".
On a déjà vu des actes en pleine nuit. Du moment que ça ne se fait pas aux yeux de tout le monde, bon... Mais s'il y a des gosses, on leur dit de faire ça ailleurs.
Yannick Monéà franceinfo
Sur la langue de bitume dont il s'occupe sur l'A16, entre Paris et Calais, Yannick Moné se fait aussi parfois "engueuler", notamment par des conducteurs qui trouvent l'autoroute trop chère. "Comme si j'avais le pouvoir de faire quelque chose..." A l'inverse, il a déjà croisé la route du chanteur Richard Gotainer, du présentateur Jean-Pierre Pernaut et de l'animateur Vincent Lagaf'. Il se souvient aussi "de ces bonnes sœurs qui semblaient complètement perdues". Un coup de main, c'est une tasse de café assurée. Voire plus : "J'ai déjà reçu des courriers de gens qui me remerciaient de les avoir aidés. Je peux vous dire que ça fait chaud au cœur."
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