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Des "boîtes noires" vont-elles bientôt "fliquer" les automobilistes quand ils seront au volant de leur voiture ?

La Ligue de défense des conducteurs alerte contre le risque d'un "flicage permanent" des automobilistes européens. Mais l'eurodéputée qui a porté ces nouveaux dispositifs se veut rassurante. Et la Prévention routière y voit, elle, un moyen efficace d'améliorer la sécurité sur les routes.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Un indicateur de vitesse sur le tableau de bord d'une voiture, le 21 janvier 2019 à Jacobsdorf (Allemagne). (PATRICK PLEUL / DPA ZENTRALBILD / AFP)

Ce serait la "première étape vers le contrôle, la verbalisation et le flicage permanent de l'ensemble des conducteurs d'Europe". Depuis le printemps, la Ligue de défense des conducteurs dénonce l'installation prochaine de "boîtes noires" dans les voitures. Une obligation qui découle d'une nouvelle règle adoptée à la mi-avril par le Parlement européen, afin d'améliorer la Sécurité routière. Selon l'association, ce "dispositif d'enregistrement des données" contrôlerait "en permanence" la vitesse et la position des véhicules. Le limiteur de vitesse deviendrait également "obligatoire" et pourrait "brider automatiquement" la vitesse des voitures à la limite réglementaire.

Dans le live de franceinfo, vous nous avez interrogé sur la véracité des affirmations alarmistes de cette pétition, signée par plus de 211 000 personnes, que vous avez vue circuler sur les réseaux sociaux.

Que contient le texte voté par les eurodéputés ?

La résolution a été adoptée par les députés européens, le 16 avril en session plénière à Strasbourg, à une large majorité (578 voix pour, 30 contre et 25 abstentions). Elle prévoit qu'à partir de mai 2022, tous les nouveaux modèles de véhicules devront disposer d'un "système d'adaptation intelligente de la vitesse". Celui-ci avertira les conducteurs de tout dépassement des limites autorisées, sans réduire automatiquement leur vitesse.

Les nouveaux modèles de voitures particulières et d'utilitaires légers devront également être équipés d'un système d'urgence de maintien de la trajectoire et d'un système de freinage d'urgence. Ce dernier dispositif est capable de détecter une collision imminente et d'activer automatiquement le freinage d'un véhicule. Il est déjà obligatoire dans les camions et les bus.

Il faudra également que les constructeurs équipent leurs véhicules d'un "enregistreur de données d'événements" et d'un "avertisseur de somnolence et de perte d'attention du conducteur" et facilitent l'installation d'un "éthylomètre antidémarrage". Pour les véhicules neufs de modèles déjà existants, ces nouvelles obligations ne s'imposeront qu'à compter de 2024.

Que dénonce la Ligue de défense des conducteurs ?

La Ligue de défense des conducteurs a déjà fait parler d'elle lorsqu'elle a encouragé par e-mail ses membres à contribuer au grand débat national par un simple copier-coller d'un message pour dénoncer massivement le passage de la limitation sur les routes secondaires à 80 km/h. 

Interrogée par franceinfo, Nathalie Troussard, la secrétaire générale de l'association, juge "liberticides" ces nouveaux dispositifs votés par les eurodéputés. Selon elle, "ces équipements risquent d'entraîner un contrôle permanent des conducteurs et un recueil des données privées par des constructeurs et/ou des assureurs pour 'sanctionner' les automobilistes n'adoptant pas une conduite standardisée".

Cette mesure semble porter atteinte au droit au respect de la vie privée.

Nathalie Troussard, secrétaire générale de la Ligue de défense des conducteurs

à franceinfo

Pour la secrétaire générale de la Ligue de défense des conducteurs, l'enregistreur de données routières et le limiteur de vitesse intelligent sont des équipements "intrusifs""L'enregistreur de données, sorte de 'boîte noire', serait capable d'enregistrer diverses informations personnelles sur le véhicule et la conduite (vitesse, position GPS, état d'activation des aides à la conduite,…), estime-t-elleLe limiteur de vitesse intelligent, quant à lui, serait un dispositif qui s'adapterait automatiquement aux limitations de vitesse, sans laisser de latitude au conducteur."

Selon Nathalie Troussard, la résolution adoptée ferait en sorte que ces futurs dispositifs soient "difficiles, voire impossibles à désactiver". La défenseuse des automobilistes redoute la collecte et l'exploitation de données privées. "Une fois ces dispositifs installés dans le véhicule, qu'est-ce qui empêchera les autorités de contrôler les données du conducteur en temps réel ou a posteriori, avec pour conséquence de surveiller le conducteur en permanence pour le sanctionner de toutes les infractions existantes ?", s'interroge-t-elle.

Que répond la rapporteuse de la résolution ?

Joints par franceinfo, les services de l'eurodéputée polonaise Róża Thun, qui a porté le projet, dénoncent des assertions "totalement fausses" et renvoie vers les dispositions précises de la résolution. L'"enregistreur de données d’événement", présenté comme une sorte de "boîte noire", est "un système exclusivement destiné à enregistrer et mémoriser les paramètres et informations critiques en rapport avec l'accident peu avant, pendant et immédiatement après une collision". Ces données susceptibles d'être d'enregistrées sont précisées par le texte. Il s'agit de la vitesse, du freinage, de la position et de l'inclinaison du véhicule sur la route, de l'activation des systèmes de sécurité active et d'évitement des accidents – ABS, contrôle électronique de trajectoire, systèmes anti-collision. Le modèle du véhicule doit aussi pouvoir être identifié. 

S'"il n'est pas possible de désactiver ces dispositifs", ils comportent un certain nombre de garde-fous. D'abord, l'"enregistreur de données d'événement" doit fonctionner "en circuit fermé", c'est-à-dire stocker les informations dans la voiture sans les partager en dehors. De plus, il doit effacer les anciennes données au fur et à mesure qu'il en enregistre de nouvelles. Ensuite, les données collectées doivent être "anonymisées et protégées contre la manipulation et les utilisations malveillantes". Les données peuvent certes "être communiquées aux autorités nationales", mais "sur la base du droit de l'Union ou d'un droit national" et "pour les seuls besoins de l'étude et de l'analyse des accidents". Il n'y a donc qu'en cas d'accident que les autorités judiciaires pourraient demander à consulter les informations stockées dans les "enregistreurs de données d'événement des véhicules impliqués, par exemple.

Surtout, l'enregistreur de données d'événement "n'est pas capable d'enregistrer et de mémoriser les quatre derniers chiffres (...)  du numéro d'identification du véhicule, ni aucune autre information qui pourrait permettre l'identification individuelle du véhicule concerné, de son propriétaire ou de son détenteur".

"Il n'y a aucune mention de limiteur de vitesse dans le règlement", pointent par ailleurs les services de l'eurodéputée. En revanche, il y est question d'un "système d'adaptation intelligente de la vitesse". Celui-ci informe le conducteur quand la vitesse maximale autorisée est dépassée. Il se base sur la lecture des panneaux de signalisation routière, du marquage au sol et des cartes électroniques. Ce système devrait être "systématiquement activé" lors du démarrage du véhicule. Mais il doit être possible de l'éteindre. Par exemple lorsqu'il donne des informations en contradiction avec des marquages routiers temporaires dans une section de route en travaux. Et l'automobiliste peut évidemment dépasser la vitesse suggérée par le système.

Nous n'introduisons pas de limiteur de vitesse, mais un système intelligent qui permettra aux conducteurs de prendre pleinement conscience de la vitesse. Cela ne fera pas que nous apporter à tous plus de sécurité et cela aidera également les conducteurs à éviter les contraventions pour excès de vitesse.

Roza Thun, eurodéputée polonaise

à franceinfo

Ce qu'en pense la Prévention routière

"Il ne fait pas l'ombre d'un doute que les voitures du futur seront connectées et capteront des données. Mais en Europe, on est plutôt bien protégés contre la captation des données", estime Anne Lavaud, déléguée générale de l'association Prévention routière, jointe par franceinfo.

"En cas d'accident, les données récoltées permettront d'avoir des informations indispensables et nécessaires pour indemniser les victimes", plaide Anne Lavaud. Mais la déléguée générale de la Prévention routière avance aussi une autre vertu potentielle. 

Le recueil des données – à condition qu'il soit globalisé et anonymisé – pourra aussi renseigner sur la réalité des comportements routiers en amont des accidents.

Anne Lavaud, déléguée générale de la Prévention routière

à franceinfo

"Aujourd'hui, on mène des actions de prévention en fonction des accidents qui se sont produits, à partir d'une reconstruction des comportements routiers, fait valoir Anne Lavaud. On est aussi renseignés sur les pratiques des conducteurs par des études, mais celles-ci se fondent sur des comportements déclarés et non réels."

Grâce à ces "enregistreurs de données d'événement", "on pourrait avoir des informations sur la vitesse, la trajectoire, la distance de freinage d'un véhicule avant un accident", argue la dirigeante associative. Recueillir des informations et les analyser tout en respectant la protection des données est possible, assure Anne Lavaud, qui en veut pour preuve l'ébauche de "big data" initiée par son association. Un panel d'environ un millier de conducteurs français ont téléchargé une application de la Prévention routière sur smartphone et renseignent ainsi l'association sur leurs pratiques au volant. 

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