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"Séparatisme islamiste" : à Maubeuge, les propos de Jean-Michel Blanquer ont du mal à passer auprès des habitants

Le communautarisme est en pleine expansion dans plusieurs villes dont Maubeuge, selon Jean-Michel Blanquer. D'après le ministre, "il suffit d’y aller" pour s’en rendre compte. franceinfo s'y est rendu.

Article rédigé par Matthieu Mondoloni - Édité par Pauline Pennanec'h
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, le 18 décembre 2019 à l'Elysée. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Interrogé au lendemain d'un déplacement d'Emmanuel Macron consacré à la lutte contre le "séparatisme islamiste", Jean-Michel Blanquer a estimé mercredi 19 février sur franceinfo qu'il était "normal aujourd'hui d'avoir du travail pour remonter cette pente-là". Selon lui, ce "séparatisme" s'est "fortement accentué dans certains quartiers" ou "certaines villes", comme Roubaix, Maubeuge ou encore Garges-lès-Gonesse. "Ce sont des endroits où certains ont, en quelque sorte, pris le pouvoir dans la rue, et ça se voit", a assuré le ministre de l'Éducation nationale.

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Des propos qui ont du mal à passer auprès des habitants, plus précisément ceux du quartier de l’Épinette, souvent pointé du doigt comme étant un quartier "communautariste". On y voit surtout un quartier pauvre et populaire, avec un taux de chômage à 32%, ses cités, ses barres d’immeubles enclavées et quelques tags sur les murs. Quelques commerces et un terrain de sport, seul lieu de loisirs du coin, mais pas de signes apparents de "séparatisme".

"C'est n'importe quoi"

Il y a des femmes voilées comme Oria, d’autres non comme Jamila. Et des non musulmans comme Vanessa. Lorsqu'on demande à ces habitantes s’il existe un communautarisme dans le quartier, la réponse est sans détours. "C'est n'importe quoi", disent-elles. "La tolérance, le savoir-vivre ensemble, le partage, la solidarité, tout ça on essaie de le partager au quotidien, que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle, et il y a des personnes qui ne comprennent pas ça", affirme Jamila. Oria non plus ne reconnaît pas son quartier dans les déclarations du ministre : "Emmanuel Macron, s'il fait des débats comme ça, je pense que c'est par rapport aux prochaines élections municipales."

Pas un "séparatisme cultuel" mais "de fait"

Au volant de sa voiture, Abdoullah Boughazi, 30 ans, nous le dit, "il fait très bon vivre à Maubeuge". Il nous fait visiter la cité des écrivains, dont on a beaucoup parlé il y a un an, lors des élections européennes. C’est dans ce bureau de vote que la liste communautaire de l’Union des démocrates musulmans français -l’UDMF- a recueilli 40% des suffrages. Un chiffre mis en avant notamment par l’extrême-droite et le Rassemblement national, preuve, selon eux, d’un communautarisme musulman en pleine expansion, ce que réfute le jeune homme : "40% c'est vrai que ça peut paraître impressionnant, mais c'était sur un bureau de vote à 170 votants, et sur ces 170 personnes, 70 ont voté pour l'UDMF. On a donné à un micro-parti une audience médiatique qu'il n'aurait jamais pu espérer sinon."

Clairement, c'est une méconnaissance du terrain. On n'a pas ce fantasme ici du mouton égorgé dans la baignoire.

Abdoullah Boughazi

à franceinfo

Selon lui, le problème "n'est pas théologique" : "Il y a une situation qui est plutôt économique, sociale, d'éducation. C'est là le problème. Il n'est pas dans un séparatisme cultuel, il est dans un séparatisme de fait vécu, subi par toutes les institutions de la République."

Le maire ne décolère pas

Fonctionnaire territorial, Abdoullah Boughazi s’est mis en disponibilité pour participer à la campagne des municipales, en rejoignant la liste "Maubeuge d’abord", une liste concurrente de celle du maire UDI de la ville, Arnaud Decagny. Ce dernier, candidat à sa propre succession, ne décolère pas d'ailleurs depuis mercredi matin. Il a même appelé le cabinet du ministre pour s’en plaindre. "Je pense que les propos de Monsieur Blanquer sont relatifs à sa venue à Maubeuge, où il est venu devant un collège, il est entré à l'intérieur et n'a pas fait plus de rues", lâche-t-il.

Aujourd'hui, il n'y a pas de zones de non-droit à Maubeuge, je l'invite à venir sans escorte policière pour voir ce qu'est la réalité de Maubeuge, et voir que l'image qu'il peut en avoir n'est pas la réalité.

Arnaud Decagny

à franceinfo

Arnaud Decagny craint que ces effets d’annonce ne fassent le jeu du Rassemblement national, dont le candidat à Maubeuge est actuellement à 18% dans les sondages. "On voudrait le faire monter qu’on ne s’y prendrait pas autrement", aujoute le maire, hors micro, avant de rappeler qu’il n’a pas attendu les annonces d’Emmanuel Macron pour lutter contre le communautarisme dans sa ville, notamment pour prévenir l’évitement scolaire.

Rester vigilant et "ne pas banaliser"

Effectivement, "ça va mieux", concède la directrice de l’école du quartier, Laetitia Lerat. Elle se souvient qu’à son arrivée en 2016, c’était beaucoup plus compliqué.

Il y avait des enfants qui refusaient les cours d'histoire parce que la datation se fait par rapport à Jésus Christ.

Laetitia Lerat, directrice d'école

à franceinfo

"On avait également des enfants qui refusaient de chanter en chorale parce que ce n'est pas bien, se rappelle-t-elle. J'avais beaucoup de certificats médicaux pour la piscine, et quand on interrogeait les enfants, ils étaient allergiques à l'eau. C'est vraiment depuis cette année qu'il y a beaucoup moins de problèmes", ajoute la directrice.

Aujourd’hui, il y a toujours environ 40 enfants qui ne sont pas inscrits à l’école pour des raisons religieuses. Une douzaine, scolarisés, posent encore de sérieux problèmes, ajoute la directrice. Preuve que, si ça va mieux, tout n’est pas gagné dans cette lutte contre le communautarisme. C’est que rappelle Patrice Gaspard, inspecteur académique à Maubeuge : "Il faut rester vigilant, ne pas banaliser toutes ces remises en cause des valeurs de la laïcité parce que ça reste prégnant dans certaines familles, ça reste prégnant autour de certaines écoles. La meilleure réponse, c'est effectivement de continuer le travail qui est engagé, un travail de fond et de confiance."

Une confiance qu’il ne faut pas rompre, par exemple en tombant dans le piège de la stigmatisation. Un entre-deux sans doute compliqué, mais tous s’accordent à dire ici que c’est la seule solution pour éviter de faire le jeu des extrêmes, quels qu’ils soient.

Y'a-t-il un "séparatisme islamiste" à Maubeuge ? - Reportage de Matthieu Mondoloni

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