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"Comment appeler 'mon père' un homme qui nous a agressé ?" A Orléans, l'Eglise écoute les victimes de prêtres pédophiles

L'évêque du diocèse a constitué une équipe de six bénévoles qui travaillent depuis un an et demi pour venir en aide aux paroissiens abusés sexuellement par des hommes d'Eglise.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La cathédrale d'Orléans le 29 novembre 2004. (MAXPPP)

Il y a quelques semaines, l'évêque d'Orléans, Jacques Blaquart, est allé voir Spotlight au cinéma. Le film relate comment des journalistes ont révélé un gigantesque scandale de pédophilie au sein de l’Eglise catholique américaine au début des années 2000. L’abbé était accompangé d’une dizaine de personnes. Parmi elles, des victimes de prêtres pédophiles.

"C’était un moment important", confie Jacques Blaquart. "On savait qu’on pouvait y aller ensemble. C’était significatif du chemin que nous avions parcouru." En sortant de la salle, tous ont éprouvé le besoin de parler. Chez les victimes, le film a réveillé des douleurs enfouies. Quant à l’évêque, il lui a fait l’effet d’un "coup de poing dans l’estomac".

"Dans le film, les victimes s’appellent les 'survivants' : c’est un mot très juste", relève-t-il. "Elles viennent de loin, d’un endroit où quelque chose en elles est mort. Et en même temps, elles ont la volonté de vivre. Mais nous, que faisons-nous pour les aider ?"

Des affiches dans toutes les églises du diocèse

Il y a un an et demi, Jacques Blaquart a créé une cellule baptisée Ecoute des blessures, destinée aux personnes abusées sexuellement par des hommes de Dieu. Une première en France.

Depuis le début de la semaine, une affichette a fait son apparition sur les panneaux d’information à l’entrée des églises du diocèse, alors que le diocèse de Lyon et son archevêque, le cardinal Barbarin, sont ébranlés par des affaires d'agressions sexuelles"Si vous êtes concerné(e) directement ou si vous rencontrez une personne pouvant l’être, contactez l’équipe." Un numéro de téléphone ainsi qu'une adresse mail sont inscrits sous le message.

Une affichette signalant l'existence d'une cellule d'écoute des victimes de prêtres pédophiles dans le diocèse d'Orléans, scotchée sur la porte d'entrée d'une église de la ville, le 23 mars 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Cette initiative est née d’une rencontre avec une victime : Valérie*. Cette mère de famille quinquagénaire a été abusée par un prêtre pendant deux ans au début de son adolescence. Près de quarante ans après, elle a réussi à en parler avec un homme d’église. Entre Valérie et Jacques Blaquart, une relation de confiance est née.

"Je lui parlais toujours des autres personnes qui ont vécu la même chose", raconte Valérie. "Au bout d'un moment, nous avons commencé à réfléchir ensemble à ce qu'on pourrait faire pour elles. C'est comme ça qu'est venue l'idée de mettre en place une équipe capable d'accueillir et d'écouter d'autres personnes qui ont aussi été abusées."

"Cette rencontre m'a aidé à prendre conscience de la souffrance des victimes, de leur besoin d’être écoutée et accompagnée par l'Eglise", confesse l’évêque. "J’ai éprouvé la nécessité d’avoir une équipe pour les accueillir et les aider à se reconstruire."

Déjà quatre dossiers en cours de traitement

Jacques Blaquart a fait appel à six bénévoles : un thérapeute, un psychanalyste, un diacre, un prêtre, une infirmière et Valérie. Il n’y a pas de permanence, mais chacun se relaie pour répondre aux messages laissés sur le répondeur ou dans la boîte mail. Marc*, thérapeute et coordinateur de l’équipe, tient à préserver son anonymat ainsi que celui des autres membres de l'équipe. "Orléans est une petite ville", argue-t-il. "Tout le monde se connaît."

On n’est ni une équipe de soin ni une équipe d’accompagnement spirituel. On est là pour accueillir et écouter au nom de l’évêque et de l’Eglise.

Marc*

Francetv info

Depuis sa création, la cellule a été contactée par quatre victimes. "Ce sont des personnes qui résident dans le diocèse mais qui ont été victimes en-dehors. Les faits sont très anciens, ils ont vingt, trente voire quarante ans et sont donc prescrits, car les victimes mettent très longtemps à parler", assure le directeur de la communication de l’évêché, Jean-Pierre Evelin.

Une affichette signalant l'existence d'une cellule d'écoute des victimes de prêtres pédophiles dans le diocèse d'Orléans, placardée dans la cathédrale, le 23 mars 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Quand une victime essaie de s’adresser à l’Eglise et qu’elle sent qu’elle n’est pas crue, qu’elle gêne, qu’on la culpabilise, elle se renferme. Et ce silence la ronge de l’intérieur. C’est un traumatisme aussi grave que celui de l’agression", martèle le thérapeute. 

Une blessure spirituelle à guérir

"Cette demande de reconnaissance par l’Eglise est vraiment importante chez les victimes", pointe Marc. "Avec cette cellule d’écoute, elles ont la possibilité de déposer enfin le lourd fardeau de leur colère, dire ce qu’elles ont sur le cœur, sans avoir face à elles un mur de défense."

Outre la blessure physique et psychique, "il y a une blessure qui n’a jamais été prise en compte, la blessure spirituelle, elle aussi très vive", fait remarquer Marc. Certaines victimes ont coupé le lien avec l’Eglise. D’autres l’ont gardé, mais il est parfois ténu. Pour autant, elles ont un jour eu la foi, et savoir que l’évêque peut les accueillir et les écouter a du sens à leurs yeux.

Cela m’est arrivé de dire, au nom de l’Eglise, 'je vous demande pardon'.

Jacques Blaquart, évêque d'Orléans

Francetv info

L'une des entrées de la cathédrale d'Orléans vue depuis une rue de la ville, le 23 mars 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Certaines victimes continuent d’aller à la messe, mais avec beaucoup de souffrance et de méfiance", glisse Marc. Les chants et prières qui résonnent dans l'église leur rappellent ceux qu’elles entendaient dans leur enfance, quand elles ont été abusées. "Ça en devient insupportable."

"Comment appeler 'mon père' un homme qui nous a agressé ? Comment recevoir la communion des mains d'un prêtre devenu agresseur ?", renchérit l'évêque Jacques Blaquart. "Tout est perverti", tranche l'homme, pour qui "il y a une reconstruction spirituelle importante à entreprendre".

Quand une église a été profanée, il y a un rituel de purification. Mais quand un corps a été profané, que fait-on ?

Marc*

Francetv info

"Chaque cas est particulier, expose Marc. On est dans du sur-mesure." L'une des victimes qui a contacté la cellule a vu son agresseur jugé — mais l’Eglise n’était pas présente au procès. "Il y a quelque chose d’inachevé", souligne le coordinateur.

Une autre, bien que déjà suivi par un psychothérapeute, éprouvait le besoin de parler. La cellule d’écoute l’a mise en relation avec une personne de confiance. D’autres souhaitent écrire à l’évêque du diocèse où elles ont été agressées. L'équipe se propose de les y aider. 

Marc*, thérapeute coordinateur de la cellule d'écoute des victimes de prêtres pédophiles du diocèse d'Orléans, le 23 mars 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Marc envisage de créer un groupe de parole, à l’instar de celui qu'il a mis sur pied avec une association locale pour les auteurs de violences sexuelles. "Dans ce groupe, les victimes vont partager leurs expériences personnelles. Chaque histoire sera différente. Mais au bout du compte, elles se rejoignent et racontent le même traumatisme. Cela les aide à ne plus se sentir seules et leur permet d’avancer", argumente-t-il. 

L’évêque d’Orléans "souhaite que la parole se libère" — comme un clin d'œil au nom de l'association créée par les victimes lyonnaises, La parole libérée — et cite un extrait des Evangiles : "La vérité vous rendra libre." Par le passé, l'évêque a signalé à la justice un prêtre pédophile et en a mis un autre à la retraite.

"L’Eglise a peur d’ouvrir la boîte de Pandore"

"On vient de loin. Toute notre société vient de loin", plaide-t-il. "Etre dans les clous sur le plan judiciaire, c’est déjà un progrès. Mais il faut aller plus loin, faire davantage attention aux victimes et leur offrir une plus grande écoute." Jacques Blaquart espère faire des émules dans les autres diocèses et, pourquoi pas, inciter l'épiscopat français à agir au plan national. L'évêque, également membre de la "cellule de veillle" sur la pédophilie créée par la Conférence des évêques de France, bénéficie déjà de sa bienveillance.

"On est au tout début", reconnaît Marc, qui liste les pays d'Europe où l'Eglise a pris des initiatives plus conséquentes. L'Allemagne et la Suisse, où chaque diocèse à son équipe ; les Pays-Bas, où la justice permet aux victimes et aux bourreaux de se rencontrer s'ils le souhaitent ; l'Irlande, qui prend en charge financièrement des séances de thérapie… "En France, l’Eglise a peur d’ouvrir la boîte de Pandore", déplore Marc, "bien conscient qu’il y a des besoins en dehors du diocèse d’Orléans." Ce matin encore, le téléphone a sonné. Cette fois, l’appel venait du Sud de la France. A plus de 700 km d’Orléans, la victime d'un prêtre pédophile appelait pour demander de l’aide.

* Le prénom a été modifié

Cellule Ecoute des blessures du diocèse d'Orléans : ecoutedesblessures@gmail.com / 06 42 08 26 03

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