Cet article date de plus de huit ans.

L'article à lire pour comprendre le scandale de pédophilie dans le diocèse de Lyon

Le prêtre Bernard Preynat a été mis en examen pour avoir agressé sexuellement de jeunes scouts. Ses victimes accusent l'Eglise catholique et notamment le cardinal Barbarin de ne pas avoir dénoncé ces faits.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Philippe Barbarin, l'archevêque de Lyon, à Erbil (Irak), le 6 décembre 2014. (SAFIN HAMED / AFP)

L'affaire est désormais portée devant le Vatican. Victimes présumées d'actes pédophiles commis par un prêtre dans les années 1980, plusieurs anciens scouts lyonnais demandent une audience privée au pape François, dans une lettre rendue publique lundi 14 mars. Ils accusent la hiérarchie catholique, et en particulier le cardinal Barbarin, de n'avoir pas mis "hors d'état de nuire" le père Bernard Preynat.

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Celui-ci a été mis en examen fin janvier 2016 pour des agressions sexuelles sur des mineurs de moins de 15 ans perpétrées entre 1986 et 1991. Si vous n'avez pas suivi ce dossier, francetv info récapitule cette histoire douloureuse :

C'est quoi cette affaire ? Elle a plus de vingt ans, non ?

Oui et même davantage ! Il est reproché au prêtre Bernard Preynat, aujourd'hui septuagénaire, d'avoir abusé de "nombreux enfants" alors qu'il encadrait le groupe de jeunes scouts de Saint-Luc, à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), de 1970 à 1991. Sur son site, l'association La parole libérée publie une quinzaine de témoignages d'anciens scouts.

Tous racontent comment Bernard Preynat se servait de son autorité pour les isoler avant de les agresser. Car le prêtre, à la tête du groupe des années 1970 à 1991, était "un homme charismatique, admiré de tous", se souvient François Devaux, une des victimes, contacté par francetv info.

Au total, nous avons recensé 60 victimes. Quand on dit 60, c'est soixante vérifiées, qui nous donnent des détails sur les camps de scouts, l'organisation, les gens qui s'y trouvaient.

Bertrand Virieux, membre de l'association La parole libérée

à francetv info

Groupe de scouts Saint-Luc à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans les années 1980-1990. (ASSOCIATION "LA PAROLE LIBEREE")

L'association estime que les agressions les plus anciennes ont été commises dans les années 1970, mais il y a désormais prescription, les victimes ayant vingt ans pour porter plainte, à partir de leur majorité. Les enfants agressés par le prêtre se sont longtemps tus, jusqu'à ce que l'un d'eux, voyant son couple voler en éclats, décide de porter plainte pour mettre fin à cette blessure enfouie.

D'autres ont suivi et quatre plaintes pour "agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans" ont été déposées l'an dernier, portant sur la période comprise entre 1986 et 1991. Dans ce reportage, France 3 Rhône-Alpes explique comment les victimes ont décidé de "briser le silence".

Le prêtre reconnaît-il les faits qui lui sont reprochés ?

Oui. Il les a même reconnus depuis plus de vingt ans. En mai 1990, un des enfants a raconté à ses parents comment le prêtre l'avait violenté. Ces derniers ont immédiatement écrit au cardinal Albert Decourtray. Alors archevêque de Lyon, il confronte Bernard Preynat à cette lettre. Ce dernier reconnaît "s'être mal conduit""Vous savez que je n'ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon cœur de prêtre", écrit-il dans un courrier envoyé au père de la victime et reproduit sur le site de La parole libérée.

Et le prêtre de s'étonner dans ce courrier : "On me demande de quitter la paroisse dans les plus brefs délais. Comment pourrais-je quitter la paroisse du jour au lendemain comme un voleur après 20 ans de présence où je n'ai tout de même pas fait que du mal ? En me voyant partir ainsi, que vont penser les gens du quartier, ma famille, mes amis ? Ils ne tarderont pas à connaitre la raison, la rumeur va se répandre partout !"

Mais il y a une seconde affaire à Lyon, n'est-ce pas ?

Précisément. Le Figaro a publié, lundi 14 mars, le témoignage de Pierre, 42 ans, accusant d'attouchement un autre prêtre lyonnais, Jérôme Billioud. Les faits se seraient produits pendant des vacances à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) au début des années 1990, lorsque Pierre était adolescent. Un soir, dans une chambre d'hôtel, "le père Billioud a commencé à se frotter et à se masturber contre moi", raconte Pierre au journal. 

Le jeune homme porte plainte des années plus tard, en 2009. La plainte est finalement classée parce que les faits sont prescrits. La victime rencontre tout de même à cette occasion le cardinal Philippe Barbarin, qui "s'abrite derrière la prescription pénale". "Il n'a rien fait pour protéger les autres enfants, il l'a laissé en place, au même endroit", accuse-t-il.

Ces agressions étaient donc connues de l'Eglise ? 

C'est avéré dans l'affaire Preynat, puisque les parents d'un des jeunes avaient pris contact non seulement avec l'archevêché, mais aussi avec la hiérarchie immédiate du père Preynat. L'Eglise en a pris acte puisque le prêtre est muté à plusieurs reprises. En 1991, il quitte ainsi Sainte-Foy-lès-Lyon pour Neulise (Loire). En 1999, il est envoyé à Cours-la-Ville (Rhône), puis au Coteau (Loire) deux ans plus tard. Nommé doyen en 2003, il devient responsable de six paroisses.

Lors d'une conférence de presse, mardi 15 mars, l'archevêque de Lyon a aussi reconnu s'être entretenu avec Pierre et avoir entendu le prêtre Jérôme Billioud, accusé d'attouchements. 

Pourquoi Philippe Barbarin est-il pointé du doigt dans cette affaire ?

Dans l'affaire du père Billioud, une plainte a été déposée contre le cardinal Barbarin pour des faits de "mise en danger de la vie d'autrui et provocation au suicide"Plusieurs plaintes ont aussi été déposées contre lui dans le cadre de l'affaire Preynat, pour "non-dénonciation de faits de pédophilie"

Les victimes reprochent au cardinal Barbarin d'avoir tardé à agir. Sidéré de découvrir Bernard Preynat au contact d'enfants lors du catéchisme, Alexandre, l'une des anciennes victimes du prête, prévient le cardinal en juillet 2014, raconte Le Monde (article payant). Mais le cardinal met une dizaine de mois à relever Bernard Preynat de ses fonctions, après avoir diligenté une enquête.

Si le diocèse affirme que "toute forme de ministère" a été retirée au prêtre en mai 2015, dans les faits, celui-ci n'a quitté ses paroisses du Roannais qu'à la fin du mois d'août. Il est alors relevé de toute "responsabilité pastorale" et de "tout contact avec les mineurs". Aujourd'hui, les victimes veulent "comprendre comment un homme a pu perpétrer ces actes abominables sur des enfants sans que sa hiérarchie ne juge bon de le mettre hors d'état de nuire, ni d'en référer à la justice".

Que dit le cardinal pour sa défense ?

Au cœur de la polémique, le cardinal Barbarin a tenu une conférence de presse, mardi 15 mars. "Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n'ai couvert le moindre acte de pédophilie", a martelé l'archevêque de Lyon. Il reconnaît cependant qu'il a pu se tromper lorsqu'il a cru le prêtre Bernard Preynat qui lui assurait qu'il n'avait pas commis d'acte pédophile.

Et pourquoi faire remonter l'affaire jusqu'au Vatican ?

Les propos de Philippe Barbarin ont mis les victimes hors d'elles. "Je trouve que là, on touche au pathétique", a estimé Bertrand Virieux, le secrétaire de l'association La parole libérée. Les victimes de l'association ont d'ailleurs écrit le au pape François, la veille, pour lui demander une audience privée et des explications sur la gestion du dossier par la hiérarchie du père Preynat. "On n'a plus confiance dans notre diocèse qui est juge et partie dans ce dossier", explique Bertrand Virieux. De son côté, le Vatican a estimé qu'il était "opportun d'attendre le résultat" de l'enquête menée par la justice française.

Quelles vont être les suites de cette affaire ?

Sur le plan judiciaire, Bernard Preynat a été mis en examen fin janvier pour des agressions sexuelles commises entre 1986 et 1991. Il a également été placé sous le statut de témoin assisté pour des faits de viol, dont la justice devra déterminer s'ils sont prescrits ou non.

Début mars, la justice a également ouvert une enquête concernant des accusations de "non-dénonciation" d'atteintes sexuelles, après des plaintes de victimes qui dénoncent l'omerta de l'Eglise pendant 25 ans. Un volet qui met en cause Philippe Barbarin et deux autres responsables du diocèse de Lyon. 

Bon, ça a l'air complexe... Vous me faites un résumé ?

Une affaire de pédophilie secoue l'Eglise catholique lyonnaise. Le père Preynat, 71 ans, qui a encadré un groupe de scouts dans la région lyonnaise de 1970 à 1991, a été mis en examen en janvier 2016 pour agressions sexuelles. Il est également placé sous le statut de témoin assisté pour des viols plus anciens et la justice devra examiner si ces crimes sont ou non prescrits.

Mais les victimes rassemblées dans l'association La parole libérée veulent aller plus loin : elles entendent briser l'omerta de l'Eglise catholique, qu'elles accusent de s'être contentée d'éloigner le prêtre sans le dénoncer, ni prendre aucune mesure pour empêcher de nouvelles agressions. Elles en appellent aujourd'hui au Vatican et souhaitent que "le message de tolérance zéro du pape François vis-a-vis de la pédophilie se traduise en actes".

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