Récit Canicule de 2003 : comment, face à une vague de chaleur meurtrière, un gouvernement en vacances "a perdu pied"

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
La canicule de 2003 a été à l'origine d'une surmortalité de près de 15 000 décès. (MARC MENOU / DELPHINE GOLDSZTEJN / FRANCK DUBRAY / K. SIARI / PHILIPPE DE POULPIQUET / B. TESSIER / MARC OLLIVIER / LIONEL LE SAUX / M. PIRA / MAXPPP et JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
La canicule de l'été 2003, lors de laquelle 15 000 personnes sont mortes en France, a été marquée par l'absence, les errements et les dénis du pouvoir politique et des autorités.

Lundi 11 août 2003. La France connaît une canicule sans précédent quand Jean-François Mattei prend la parole au "20 Heures" de TF1, en duplex depuis sa maison de vacances du Var. Le ministre de la Santé est dans le jardin, porte un polo noir et tient des propos rassurants. A l'époque, les chiffres de la canicule, qui sera finalement à l'origine d'une surmortalité de près de 15 000 décès selon l'Inserm (PDF), sont encore vagues. "J'entends des estimations, 50 par ci, 300 par là", explique ce soir-là Jean-François Mattei, qui n'a aucune idée de l'ampleur des dégâts mais assure qu'il n'y a pas de raison de s'inquiéter.

La réalité, pourtant, est dramatique. Alors que les températures dépassent les 36°C depuis le 4 août à Paris, et que le mercure a atteint localement les 44°C dans le Gard, l'urgentiste Patrick Pelloux parle dans les médias d'une "hécatombe" dans les hôpitaux. Deux jours avant l'interview de Mattei, Le Parisien alerte de son côté sur un épisode de forte chaleur inédit et titre "Quatorze morts de la canicule".

"Tout est parti d'une discussion à la machine à café, se remémore le journaliste Charles de Saint Sauveur, qui a couvert la crise sanitaire pour Le Parisien. Une collègue qui habitait près de l'hôpital Saint-Antoine raconte qu'elle a entendu des ambulances toute la nuit. Et là, ça fait tilt." Son collègue appelle les pompiers et les médecins, qui lui confirment qu'une crise couve. Les secours sont débordés, les premières victimes meurent mais les autorités sont étrangement absentes.

Le gouvernement Raffarin, qui sort d'une longue séquence de manifestations contre la réforme des retraites, est en vacances. Le président Jacques Chirac s'est envolé pour le Canada, François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, pour la Toscane et les administrations tournent au ralenti. "A l'époque, les vacances, c'était une sorte de trêve des confiseurs et on comprenait que les ministres coupent", explique Charles de Saint Sauveur. De son côté, la préfecture de police de Paris passe sous silence l'ampleur de la catastrophe en cours.

"La consigne de la préfecture de police était de ne pas diffuser de message alarmiste et de ne pas donner les morts."

Jacques Kerdoncuff, officier de presse des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) pendant la crise de 2003

lors de la commission d'enquête parlementaire

"Les pompiers sont les premiers à avoir vu qu'on était en train de basculer, mais les informations n'ont pas été transmises au ministère de la Santé", rembobine l'épidémiologiste William Dab, alors conseiller de Jean-François Mattei au ministère. Il part en vacances à l'étranger le 9 août 2003, deux jours avant l'intervention catastrophique du ministre sur TF1. "A ce moment-là, la direction générale de la santé (DGS) alerte sur un épisode de chaleur, mais il n'est nullement mention d'un risque sanitaire, explique-t-il. On s'est plantés, on n'était pas prêts, et il a fallu que le vase commence à déborder et que les services funéraires commencent à saturer pour que la DGS réalise qu'il se passait quelque chose de majeur." 

"Trois jours de loupé majeur"

William Dab reconnaîtra plus tard, devant la commission d'enquête parlementaire, "une sous-représentation du risque". "Il y avait une forme de duel entre les politiques qui voulaient faire croire qu'il ne se passait rien et les médecins de terrain qui disaient qu'il y avait un problème", avance de son côté Patrick Pelloux.

Le réveil du gouvernement intervient au milieu de la crise. Patrick Pelloux, alors président de l'Association des médecins urgentistes de France, profite d'un reportage de France 3 sur la canicule pour évoquer la situation catastrophique dans son hôpital et interpeller les autorités. Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, téléphone dans la foulée à son ministre de la Santé et lui demande d'intervenir. Les équipes de Jean-François Mattei calent alors un duplex au "20 Heures" de TF1, dont les conséquences seront finalement désastreuses. Le généticien conviendra d'une "erreur" sur le fond comme sur la forme au micro du podcast "Mécaniques de la politique" sur France Culture, en février 2022. "Le déni a duré le temps d'un week-end, analyse le journaliste Charles Saint Sauveur. Il y a eu trois jours de loupé majeur, où au fond l'Etat a perdu pied."

Le 12 août, au lendemain de la prise de parole du ministre, le ton change au sein de l'exécutif. Jean-François Mattei propose sa démission au Premier ministre, qui la refuse, puis rentre en urgence à Paris. "Je vois bien la réalité de la situation qui m'a échappé", se remémorait a posteriori Jean-François Mattei. Le ministre est alors contraint de jouer le pompier de service. Il occupe le terrain dans les hôpitaux, à Paris et en région, et multiplie les interviews, sans jamais donner de chiffres.

Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, le 14 août 2003 à l'hôpital Tenon à Paris. (JEAN AYISSI / AFP)

Pendant ce temps-là, Jean-Pierre Raffarin déclenche le plan blanc dans les hôpitaux et convoque une cellule de crise. Les médias évoquent alors des hôpitaux débordés, un manque de places dans les funérariums et des personnes âgées qui meurent seules chez elles. Le 13 août, les premiers chiffres fournis par les pompes funèbres font état de 3 000 morts – on en comptait en réalité déjà près de 12 000. Et les premières têtes commencent à tomber.

Décrédibilisé par son duplex en polo, Jean-François Mattei est prié de faire profil bas. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, récupère la communication de crise – le président Chirac ne s'exprimera que le 21 août, à son retour de vacances – alors que le directeur de la DGS, Lucien Abenhaïm, démissionne après avoir été désavoué par son ministre de la Santé dans les médias. Le médecin, qui sera remplacé par William Dab à la DGS, part en silence, avant de régler ses comptes dans un ouvrage à l'automne 2003. Le professeur Abenhaïm y dénonce les erreurs de communication et d'appréciation du ministre de la Santé dans la gestion de la crise. Et ouvre la période post-canicule, qui se terminera devant la commission d'enquête parlementaire.

La commission d'enquête parlementaire charge le gouvernement

Après plusieurs mois d'auditions, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale livre ses conclusions. Claude Evin, ancien ministre (PS) de la Santé et président de la commission, écrit que "le politique a été dramatiquement absent". "Il y a eu une carence dans la gestion politique de cette crise", jugent les députés, qui concluent à d'importants manques dans le fonctionnement du ministère de la Santé mais ménagent Jean-François Mattei. La gestion de la crise estivale par le gouvernement concentre en revanche l'essentiel des critiques. Nicolas Sarkozy et François Fillon, respectivement à l'époque ministres de l'Intérieur et des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, admettent ne pas avoir été "à la hauteur".

"Il y a eu une fuite des responsabilités", lance vingt ans plus tard Jacques Kerdoncuff, pour qui le souvenir de la crise qu'il a "très mal vécue" est encore vif. "Il n'y a pas eu beaucoup de remises en cause, chacun essayait de défendre son bout de gras", estime de son côté Marc Payet, qui a couvert la crise pour Le Parisien. Et d'ajouter : "Au fond, la canicule 2003, ce n'est pas l'affaire Mattei, qui était au mauvais endroit au mauvais moment. C'est la première crise climatique d'envergure, elle est annonciatrice et prémonitoire de ce qui se passe vingt ans plus tard."

La France a-t-elle retenu les leçons de ce fiasco ? "Oui et non. Après la canicule, le Premier ministre Raffarin a compris que la France n'était pas armée en santé publique", complète William Dab, chargé par le gouvernement de tirer les leçons de la crise sanitaire en 2003 et de proposer des mesures concrètes. Parmi elles, la mise en place du plan canicule, d'une vigilance météorologique mais aussi d'un numéro vert, toujours en vigueur aujourd'hui. "Mais regardez le nombre de morts l'an dernier, on a encore eu une vague de chaleur avec une forte surmortalité [un excès de plus de 10 000 décès selon Santé publique France], et cela montre qu'on n'est pas dans une logique d'amélioration continue."

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