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Pénalisation des clients de la prostitution : "Il faut arrêter de faire passer les prostituées pour des victimes"

Les députés ont définitivement adopté un texte pénalisant l'achat de rapports sexuels. Pendant ce temps, une centaine de prostitué(e)s se sont rassemblés pour dire leur mécontentement. A cette occasion, francetv info a rencontré trois d'entre eux.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une centaine de travailleurs du sexe se sont rassemblés sur l'esplanade des Invalides à Paris, le 6 avril 2016, pour manifester contre la loi pénalisant les clients de la prostitution.  (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

"Non, non, non à la pénalisation. Oui, oui, oui à la pénétration." A coup de slogans provocateurs, une centaine de prostitués se sont rassemblés, mercredi 6 avril, pour protester contre la loi sanctionnant les clients de la prostitution. Le texte a été définitivement adopté par les députés dans la journée. Il prévoit une contravention de 1.500 euros (jusqu'à 3.750 euros en cas de récidive) et un stage de sensibilisation aux conditions de la prostitution, pour les personnes achetant un acte sexuel.

Des collectifs abolitionnistes ont salué "une étape historique" dans "la conquête des droits des femmes", tandis que Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes affirmait dans l'hémicycle que "la France affirme avec force que l'achat d'actes sexuels est une exploitation du corps et une violence faite aux femmes"

Quelques dizaines de mètres plus loin, sur l'esplanade des Invalides, francetv info a rencontré trois prostitués lors de cette manifestation. Tous racontent leur ras-le-bol d'être constamment pris pour des victimes. 

"Nous avons souvent plus peur de la police que des clients"

Pamela vend ses services depuis 17 ans. Elle a commencé à se prostituer à l'âge de 19 ans en Argentine, son pays d'origine, et a continué ses activités en France où elle réside depuis 10 ans. "Les élus disent qu'ils veulent pénaliser les clients pour nous protéger, mais en fait, ils veulent nous enlever notre travail, s'indigne-t-elle, sans pour autant perdre son sourire. Il faut arrêter de faire passer les prostituées pour des victimes. C'est notre choix de faire ce métier."

A 36 ans, Pamela a "toujours fait ce métier". "Je ne sais faire que ça", explique cette grande blonde, avec son accent hispanique chantant. Elle exerce principalement dans le bois de Boulogne. "Les clients vont avoir peur d'être arrêtés, ils ne vont plus venir. Et sans client, on ne peut plus gagner notre vie."

Si les clients ne fréquentent plus le bois, elle ira les chercher sur internet. "C'est bien internet, on est toute seule mais il y a beaucoup de concurrence." Pamela, qui vit seule, confesse être de nature assez solitaire."Je n'ai pas de famille ici, mais j'ai mes copines et c'est comme ma famille." Des copines, qu'elle appelle à la rescousse dès qu'on souhaite la prendre en photo. Cachée derrière ses imposantes lunettes de soleil, Pamela se fait timide devant un appareil.

Pamela (au centre) manifeste contre la pénalisation des clients de la prostitution, le 6 avril 2016.  (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

"Je connais mon corps, je me paye un orgasme et je me fais payer pour ça" 

"Moi, j'adore quand on me tire le portrait", ironise Alice, 27 ans. Cette travailleuse du sexe, à la chevelure rouge éclatante, est venue sur la place des Invalides pour réclamer le droit de disposer librement de son corps. Surtout, elle est venue pour combattre les clichés qui pèsent sur sa profession.

"Pour les féministes abolitionnistes, les clients sont tous des psychopathes. Et nous, nous sommes toutes des pauvres filles qui avons vécu des traumatismes et qui avons une piètre image de nous-mêmes, s'indigne la jeune femme. Au contraire, je pense avoir beaucoup de respect pour ma personne. Je connais mon corps, je me paye un orgasme et je me fais payer pour ça. Si ce n'est pas ça être féministe, je me demande ce que c'est."

Alice, travailleuse du sexe, sur l'esplanade des Invalides, le 6 avril 2016. (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

Ses clients, souvent réguliers, elle les trouve sur des sites internet spécialisés. "Je passe en moyenne 7 heures par jour à faire le tri des demandes que je reçois, c'est parfois pesant", explique-t-elle. Mais la jeune femme apprécie la liberté que lui procure son activité. "J'organise mes journées comme je veux, si je ne souhaite pas travailler un matin, je peux me permettre de ne pas le faire."

Alice se prostitue depuis quatre ans. Drapée dans un long manteau rouge, elle raconte son premier rapport tarifé : "Je travaillais dans une agence de massage et pour une énième fois, un homme m'a proposé de l'argent pour du sexe. Il ne m'attirait pas du tout, mais j'ai accepté". Pendant quelques secondes, la jeune femme est envahie par ses angoisses . "En sortant le préservatif, je me suis dit : 'oh mon dieu, je ne pourrai jamais revenir en arrière, ça va être terrible'. La réalité, c'est que c'était très excitant. La prise de pouvoir absolu. Pas contre l'autre, mais vis-à-vis de moi."

"Pour moi c'est un travail comme un autre"

La première fois de Valentin s'est aussi passée sans heurts. "J'ai toujours été assez libéré sur ma sexualité, explique-t-il. J'ai eu beaucoup de partenaires et me prostituer c'était juste une étape supplémentaire." A 24 ans, ce chercheur en histoire de l'art s'est lancé dans cette activité pour payer ses études. "C'est très dur de vivre de la recherche en France, alors ça me permet de gagner ma vie."

Pour autant, le jeune homme refuse de dire qu'il est contraint. "C'est mon choix. Pour moi c'était un travail comme un autre, parce que je n'avais aucun présupposé sur cette profession." Valentin trouve ses clients via un portail de rencontres gays. Le site est hébergé à l'étranger. Il est donc impossible à fermer pour les autorités françaises. 

"Cette loi est assez hypocrite, car elle n'empêchera en rien les clients de payer pour des rapports. La réalité, c'est qu'ils se tourneront de plus en plus vers internet, estime le jeune homme. Au final, ceux qui vont être pénalisés, ce sont ceux et celles qui font le trottoir. C'est-à-dire les plus précaires."  

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