Cet article date de plus d'un an.

Près de Saint-Etienne, plongée au cœur de la prison de la Talaudière, "la pire de France"

Publié Mis à jour
Durée de la vidéo : 4 min
Prison insalubre
Prison insalubre Prison insalubre
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Dans la Loire, la prison de la Talaudière est l’une des plus anciennes de France. Ses bâtiments vétustes et insalubres auraient dû être rasés et reconstruits il y a cinq ans, mais le projet n’a jamais vu le jour. "L’œil du 20 heures" a pu la visiter et constater que les conditions de détention des détenus peinent à s’améliorer.

Le diagnostic était posé : "La Talaudière, vous allez voir, c'est la pire prison de France", déploraient tous les responsables syndicaux des agents pénitentiaires que nous avions contactés en amont de notre visite. Nous avons pu entrer quelques jours plus tard avec notre caméra, grâce au droit de visite de la députée LFI de la Loire, Andrée Taurinya. Une visite à l'improviste, sans en informer la direction du centre pénitentiaire, afin de découvrir les locaux "en l'état".

Depuis sa construction en 1968, rien n'a changé, ou presque, dans le bâtiment A, le principal quartier des hommes. Un seul escalier en bois dessert les trois étages. Les murs sont cloqués par l'humidité et les infiltrations d'eau sont de plus en plus nombreuses depuis que la surtoiture s'est envolée lors d'une tempête à l'automne 2022. Elle n'est pas encore remplacée.

"Ça se dégrade d'autant plus vite que la surpopulation est importante", nous confie Lionel*, l'un des surveillants. Ici, la surpopulation carcérale atteint 146,7%, au-dessus de la moyenne nationale. Dans les cellules dimensionnées pour deux personnes, plusieurs détenus dorment au sol. Des pièces sombres de 9 m2 où les fenêtres dysfonctionnent – quand elles n'ont parfois tout simplement plus de vitres – et, bien souvent, en guise de cloison pour les toilettes, un simple morceau de tissu.

Des excréments sur les murs

L'insalubrité s'invite jusque dans les douches collectives. Des câbles électriques pendent, à nu, au-dessus des cabines. Dans l'unité sanitaire de la prison, des excréments constellent les murs. "Nous avions déjà constaté cela au même endroit, quand nous avions visité la prison en novembre dernier, avec l'Observatoire international des prisons (OIP). Force est de déplorer que rien n'a changé depuis quatre mois", commente Andrée Taurinya.

Des conditions que les détenus jugent difficiles, comme nous le confie un prisonnier en quartier disciplinaire. "Pour garder un minimum d'hygiène, c'est le système D." Il nous montre les produits qu'il a lui-même achetés ou troqués avec d'autres détenus, pour entretenir sa cellule. Là encore, des excréments aux murs, des toilettes rongées par la crasse et la rouille. Contrairement à ce qui devrait être la règle, "on ne reçoit jamais de kit d'hygiène hebdomadaire", assène-t-il.

"Quelqu'un qui a mal à la tête, il se suicide, dans une cellule comme ça ! Moi-même, j'ai pensé au suicide dans une cellule comme ça, et à une époque, y avait même pas de fenêtre ! C'est le pire mitard de France !"

Luis*, détenu à la prison de la Talaudière

à "L'œil du 20 heures"

Dans l'enceinte de la prison, des maladies circulent. "Lors de mon premier séjour à la Talaudière, j'avais attrapé la gale, comme d'autres prisonniers… c'est une maladie du Moyen-Age !" raconte Samir*, qui y a purgé trois peines, dont la dernière s'est terminée cet hiver.

"L'hiver, il fait tellement froid et humide dans les cellules qu'on était obligés de dormir tout habillés, avec un bonnet, un peignoir par-dessus… C'est grave. En plus, j'avais des plaques blanches partout sur le corps, c'était des champignons, une maladie de peau que j'ai dû attraper dans les douches ou avec l'humidité."

Samir, ancien détenu à la Talaudière

à "L'œil du 20 heures"

De l'aveu même de certains surveillants, les conditions de détention et la surpopulation dégraderaient les conditions de travail. "Plus on va mettre de détenus avec des matelas au sol, plus l'état des cellules va se dégrader… C'est un phénomène qui accentue les problèmes. On se retrouve dans des situations tendues", souffle Lionel*, qui travaille ici depuis huit ans.

L'Observatoire international des prisons (OIP) a saisi le tribunal administratif de Lyon le mois dernier, pour contraindre l'administration pénitentiaire à effectuer des travaux en urgence. Dans son référé-liberté, l'OIP fait ce constat : "La grande vétusté et la surpopulation importante (...) alliées à de nombreux manquements à l'hygiène et à une situation sanitaire particulièrement dégradée exposent les personnes détenues dans l'établissement à un risque pour leur santé et pour leur vie."

A l'exception de la distribution de kits d'hygiène, les requêtes ont été rejetées par le juge, qui estime que les souhaits de travaux "ne sont pas fondés". Dans son ordonnance, il qualifie même le quartier disciplinaire, ou encore les douches collectives, comme étant "dans un état satisfaisant de propreté". L'OIP conteste cette décision devant le Conseil d'Etat.

Une rénovation à 30 millions d'euros

La fermeture de la prison de la Talaudière faisait pourtant consensus il y a dix ans. Le ministre de la Justice de l'époque, Jean-Jacques Urvoas, avait déclaré qu'une réhabilitation était hors de prix, et annoncé en grande pompe la reconstruction de la prison à Saint-Bonnet-les-Oules, où un terrain avait été trouvé.

Mais, en 2018, le projet a été abandonné face à la contestation des riverains. Faute de mieux, un plan de réhabilitation a été lancé en 2020. A ce jour, moins d'une cellule sur cinq a été rénovée. Dans le quartier des hommes, seules 44 cellules sur 209 sont équipées de douches individuelles. L'enveloppe totale pour ces travaux est de 30 millions d'euros. L'administration pénitentiaire le concède pourtant : "Pour résoudre tous les problèmes techniques et fonctionnels d'un bâtiment de 50 ans, l'enveloppe budgétaire ne sera pas suffisante."

Une sécurité insuffisante

D'autres dénoncent même un gaspillage d'argent public, comme le père Rémi Imbert, aumônier depuis huit ans à la prison de la Talaudière. Pour lui, ces travaux ne seraient que cosmétiques. "Les millions dépensés aujourd'hui ne servent à rien, parce que le bâtiment n'en peut plus, il est même mal conçu puisqu'il n'y a qu'un seul escalier en bois pour tout relier." Il ajoute "c'est un facteur de violence, de déshumanisation… Il faut raser cette prison, mais les politiques n'ont jamais eu le courage d'aller jusqu'au bout. On a fait passer l'intérêt particulier devant l'intérêt général."

Dans son local syndical de l'Ufap-Unsa Justice, situé en face de l'entrée de la prison, Stéphane Perrot partage cet avis. Selon lui, la prison serait si vétuste qu'elle ne permettrait plus d'assurer la sécurité des agents, ni d'empêcher les intrusions d'objets. Une palissade a bien été installée récemment pour surélever une partie des murs d'enceinte, mais il n'y a pas de filet anti-hélicoptère et les miradors sont "trop bas" pour détecter les drones qui viennent régulièrement livrer des colis dans la cour de promenade ou aux fenêtres des détenus.

"Le mirador ici, s'il est à 5 mètres de haut, c'est le bout du monde. Le conducteur du drone, il peut être à 2 km de l'établissement et là, ils ne sont pas assez haut, pour les détecter. On arrive à faire des fouilles, on retrouve des choses, mais on ne sait pas ce qui passe… Il y a quelques jours, on a retrouvé cinq lames de couteau en céramique."

Stéphane Perrot, responsable Ufap-Unsa à la Talaudière

à "L'œil du 20 heures"

L'administration pénitentiaire se défend de toute défaillance, affirmant avoir renforcé la sécurité avec "le déploiement de clôture anti-escalade électrifiée, de projecteurs et de vidéosurveillance". Contacté, le ministère de la Justice assure prendre "très au sérieux" la situation de la prison, et que les travaux engagés jusqu'en 2026 devraient améliorer les conditions de détention des détenus. Le ministère rappelle tout de même que "certaines détériorations sont commises par les prisonniers eux-mêmes".

*Les prénoms ont été modifiés

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.