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"Je ne l’aurais jamais fait s'il n’y avait pas l’anonymat" : des donneurs de sperme et d'ovocytes témoignent

L'histoire d'Arthur Kermalvezen, qui dit avoir retrouvé son géniteur après une longue enquête, préoccupe une partie des donneurs de sperme et d'ovocytes, en pleins états généraux de la bioéthique.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un médecin présente une cabine prévue pour le don de sperme, le 8 janvier 2009, au Cecos (Centres d'études et de conservation des œufs et du sperme) de Lille (Nord). (MAXPPP)

"Si je vous donne mon numéro, on pourrait me retrouver. La seule solution, c’est d’acheter une carte GSM prépayée pour s'appeler", prévient Charles* dans un mail. Son extrême prudence est révélatrice de l'inquiétude qui guette une partie des donneurs de sperme et d'ovocytes. En France, le don de gamètes reste anonyme. Un donneur ne s'attend donc pas à voir débarquer sur le pas de sa porte une progéniture qu'il ne connaît pas.

C'est pourtant l'histoire racontée récemment par Arthur Kermalvezen. Cet homme de 34 ans a retrouvé son géniteur à l'aide d'un test génétique réalisé via un site américain (et avec beaucoup de chance). "Ce que je vis est absolument magique", assure ce militant pour le droit d'accès aux origines des enfants nés d'un don. Loin de ce conte de fées, plusieurs donneurs sont pourtant préoccupés par cette découverte. Ils surveillent donc avec méfiance les états généraux de la bioéthique, lancés par le gouvernement le 18 janvier, car l'élargissement de la PMA à toutes les femmes pourrait relancer le débat sur la levée de l'anonymat. Franceinfo a choisi de raconter les histoires, les doutes et les craintes de ces généreux anonymes.

"Permettre à d'autres couples d'avoir des enfants"

Le don de sperme ou d'ovocytes ne donne droit en France à aucune compensation financière, à l'inverse des exemples espagnol, britannique ou encore américain. Il s'agit donc d'un geste altruiste et désintéressé. "Je trouvais ça sympathique de permettre à d'autres couples de pouvoir avoir également des enfants", confirme Didier, un père de famille de 72 ans, qui a offert des gamètes il y a quarante ans. "Ne voulant pas d'enfants moi-même, je voulais faire profiter aux personnes infertiles de ce qui fonctionne chez moi et dont je ne me sers pas", ajoute Amandine, 32 ans, qui a donné ses ovocytes l'an dernier.

"Je suis homosexuel", attaque d'emblée Pierre-Louis, un jeune homme de 25 ans qui a récemment franchi la porte d'une banque de sperme. "Je me suis dit 'pourquoi ne pas aider d'autres personnes à avoir des enfants ?' D'autant que pour moi ce sera difficile." Les donneurs sont par ailleurs souvent des habitués du don du sang, comme Jacques, un fonctionnaire d'une soixantaine d'années qui a réalisé son premier don en 1976. "Avec ma femme, nous avons lu dans une revue l'appel à l'aide d'un couple et nous avons pris la décision de nous mobiliser", raconte Jacques.

Le don de sperme, c'était un peu le prolongement du don du sang.

Jacques

à franceinfo

La sensibilisation pour le don peut venir des médias, comme pour Marc, qui a "répondu à un appel" lancé par Bruno Masure en 1996 à la fin de son journal télévisé. Parfois, ce sont les proches, la famille qui jouent ce rôle. "J'ai donné mon sperme il y a 15 ans. Mon frère est stérile, alors que de mon côté, j'ai trois garçons en bonne santé", témoigne Charles. L'actualité peut également déclencher cette volonté d'aider les autres, comme dans le cas de Carole, une étudiante de 21 ans. "Après les attentats du Bataclan, j'ai voulu donner mon sang, mais il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Je suis alors tombée sur le don d'ovocytes et le don de moelle osseuse, et bon, j'ai compris que le don d'ovocytes ferait moins mal", sourit-elle.

"A l'époque, on ne se posait pas ces questions"

Le don d'ovocytes nécessite un processus assez lourd, avec un traitement hormonal et des injections pendant plusieurs jours. Carole se souvient encore des piqûres : "On serre un peu les dents au début, et après on y va en pensant aux familles que l'on va pouvoir aider. C'est sûr qu'il y a quelques contraintes d'emploi du temps au niveau des tests, des contrôles, des passages à l'hôpital, mais on est bien accompagnée." L'ensemble des étapes s'étale sur un mois, ajoute la jeune femme : "Le jour de l'intervention, je suis rentrée à 7 ou 8 heures à l'hôpital et j'en suis sortie à 15 heures. Le prélèvement dure un quart d'heure et je n'ai eu aucune sensation de douleur grâce à l'anesthésie."

Le don de sperme nécessite des tests médicaux et des entretiens notamment avec un psychologue, mais le parcours est plus rapide. "A l'époque, on nous donnait une petite éprouvette et des revues érotiques pour éventuellement nous exciter. On faisait notre don, et puis voilà. Mais on ne se posait pas toutes ces questions sur l'anonymat et tout", se souvient Didier, qui a donné sa semence à la fin des années 1970.

On est quand même dans un contexte très particulier, on sait qu'on nous attend derrière la porte et qu'on ne peut pas y rester trois heures.

Pierre-Louis

à franceinfo

Les choses ont un peu changé, décrit Pierre-Louis : "On a accès à une télé, mais bon les pornos sont restés très hétéros. Ensuite, on laisse l'échantillon sur la table et on s'en va." Petit moment de solitude où quelques questions peuvent faire surface, notamment sur l'accès aux origines des enfants qui pourraient naître de ce don. "Je ne suis pas contre le fait de faire sauter l'anonymat, explique Pierre-Louis. Je serai le père biologique, mais le père de l'enfant sera celui qui l'aura élevé." 

"On passerait du père inconnu au père étranger"

Généralement, les questions apparaissent plus tard, au moment où les donneurs réalisent des années après qu'ils ont sans doute des enfants adultes dans la nature. Face à un visage dans une salle d'attente, certains s'interrogent. "Un jour, dans un journal municipal, je suis tombé sur la photo d'un monsieur et j'ai dit à ma femme : 'Regarde, il me ressemble !' Je me suis dit que ce monsieur était peut-être l'un de mes enfants", raconte Didier. La plupart des donneurs ne sont pas pour autant hantés par l'image d'une descendance cachée. "J'espère qu'ils sont heureux, mais après je n'y pense pas plus que ça. Un parcours de PMA avec donneur, ce sont généralement des gens bien, qui aiment leurs enfants", avoue Olivier, un père de famille qui a donné son sperme en 2010.

La récente histoire d'Arthur Kermalvezen retrouvant son géniteur a malgré tout secoué certains donneurs. "Moi, j'aurais été franchement très surpris, j'aurais cru à une blague, je pense que j'aurais été plutôt furieux. L'héritage, comment ça se passe ? Quelle va être la réaction de mes autres enfants ?" s'interroge Didier. "Imaginez si quelqu'un issu de mon sperme débarque, s'inquiète aussi Jonathan, un homme de 44 ans, qui a fait un don au début des années 2000. Notre société a tendance à aller en justice facilement." 

Beaucoup de donneurs se soucient avant tout des conséquences sur leur famille, comme Jean-Marc : "Je ne souhaite pas connaître mon éventuelle descendance, ce qui est susceptible de créer des liens qui pourraient être mal perçus par mes propres enfants." Si le consentement du conjoint est une condition du don, plusieurs donneurs avouent en revanche n'avoir jamais évoqué ce passé avec leurs enfants. "Cela reste des dons assez glauques, on n'a pas forcément envie de le raconter...", remarque Jonathan. 

Je peux tout à fait comprendre la souffrance de ces enfants, mais en tant que donneur, je ne peux pas être un père de substitution.

Jonathan

à franceinfo

Joint par franceinfo, Arthur Kermalvezen estime que c'est avant tout l'ignorance qui crée ces peurs : "Les donneurs qui ont peur d'être retrouvés ne sont pas très au clair avec leur don. Quand c'est clair dans la tête d'un donneur, il n'y a pas de crainte, de question sur l'héritage ou sur les attentes des enfants." En effet, selon les dispositions du Code civil, le donneur ne peut pas se voir reprocher sa paternité en justice. "Notre but n'est pas de changer de filiation", martèle Arthur Kermalvezen.

L'argument ne suffit pas à convaincre les donneurs qui anticipent les pires scénarios"Je ne l’aurais jamais fait s'il n’y avait pas l’anonymat, assure Charles. Si un des enfants issus de mon sperme est en danger de mort sans le don d'un rein et qu'il m'en réclame un, eh bien je préfère garder cette possibilité pour mes propres enfants." Certains donneurs pensent en plus que le fait de retrouver son géniteur n'apporterait rien de bon. "L'idée d'une levée de l'anonymat du donneur qui serait la réponse au manque d'un père est d'une naïveté désolante : on passerait du père inconnu au père étranger", s'agace Marc.

Je ne vois pas l'intérêt de retrouver son donneur car les liens du sang n'ont aucune importance, seuls les liens du cœur comptent.

Amandine

à franceinfo

La majorité des anonymes interrogés se montrent ainsi réticents à toute évolution législative. Mais sans aller jusqu'à dévoiler l'identité complète, certains donneurs acceptent l'idée d'une transmission de certaines données. "Je considère que le couple receveur devrait avoir la possibilité, s'il le désire, d'obtenir des informations médicales sur le donneur, pour le bien de l'enfant", estime ainsi Olivier.

"Sans anonymat, 60% des donneurs renonceraient"

Un premier pas qui reste insuffisant pour Arthur Kermalvezen. Aidé par des associations comme PMA (Procréation médicalement anonyme), il souhaite que les enfants des dons à venir puissent avoir accès à leur majorité à l'identité de leur donneur. Et pour les enfants déjà conçus par don, il demande la création d'un médiateur et la constitution d'un fichier qui recenserait les donneurs sur la base du volontariat.

Aujourd'hui, c'est techniquement possible de retrouver son géniteur. La question que doit se poser le gouvernement, c'est comment organiser l'accès à ce droit.

Arthur Kermalvezen

à franceinfo

En face de ces revendications, les Centres d'études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos), chargés d'organiser les dons et la procréation médicalement assistée, alertent sur les risques. "Selon l'étude que nous avons menée, 60% des donneurs renonceraient au don en cas de levée de l'anonymat", affirme Nathalie Rives, présidente de la Fédération française des Cecos. En s'appuyant sur des études sociologiques, elle craint également que la fin de l'anonymat renforce la culture du secret avec des parents qui ne mettent plus au courant l'enfant de sa conception. Elle souligne enfin que cette revendication est portée par très peu d'enfants issus d'un don de gamètes.

"La question, ce n'est pas de savoir si on est nombreux ou pas", s'agace Arthur Kermalvezen. S'appuyant sur des études américaines ou sur des exemples à l'étranger, il conteste les arguments des Cecos. Il demande surtout à la France de se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui affirme que "les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital (…) à obtenir les informations" (selon une affaire datant de juin 2011). La CEDH n'a pas encore tranché sur le cas précis des Français conçus par don, mais elle devrait être amenée à le faire dans les prochains mois.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

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