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Le mox d'Areva est prêt à prendre la mer, mais il fait tempêter les antinucléaires

Le groupe Areva a convoyé ce combustible nucléaire de la Hague au port de Cherbourg, où il sera chargé sur des bateaux à destination d'une centrale japonaise. Une poignée de militants écologistes a exprimé son mécontentement et dénoncé la dangerosité supposée de ces transports avec, en cause, le plutonium est présent dans le mox. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des militants écologistes manifestent contre le transport de combustible nucléaire mox, mercredi 5 juillet 2017, au port de Cherbourg (Manche). (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Mission accomplie. Une cargaison de mox, un combustible nucléaire, est arrivée sans encombre sur le port de Cherbourg (Manche), mercredi 5 juillet vers 4h45, à bord de deux poids lourds. En leur sein, des emballages TN 12/2 lourds chacun de 100 tonnes, pour une taille de six mètres par deux. Le convoi a mis un peu moins de deux heures pour accomplir son périple d'une quarantaine de kilomètres depuis l'usine de la Hague, suivant un itinéraire taillé sur mesure, doublant la distance entre les deux sites. Depuis 1999, c'est la sixième fois que le groupe Areva expédie du mox au Japon. Ce combustible sera expédié mercredi après-midi par la mer vers la centrale de Takahama, pour alimenter le réacteur 4.

Peu avant 9 heures, un premier emballage est déposé en cale du Pacific Egret, l'un des deux navires prévus pour le voyage. Ils navigueront de conserve, pour s'assurer une escorte mutuelle. Lourd de 105 tonnes, l'emballage peut contenir huit assemblages de mox. Des policiers britanniques en armes arpentent déjà le pont, avant le départ. Double coque, compartiments étanches... Avec cette opération portes ouvertes, le groupe Areva veut convaincre l'opinion que le convoi est sûr.

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Air, mer, terre... Un impressionnant dispositif de sécurité

"C'est comme le Tour de France : on attend cinq heures et ça dure quelques secondes." A l'arrivée au port, une vingtaine de militants écologistes ont bravé la nuit pour accueillir le convoi avec des fumigènes et des drapeaux réclamant la fin du plutonium. Sans incident. Hélicoptères, canots militaires, équipes cynophiles, camion anti-émeute... Le préfet de la Manche, Jean-Marc Sabathé, évoque "un dispositif signicatif", dans Ouest-France, sans entrer dans les détails. Toute la nuit, d'innombrables véhicules de gendarmerie, de CRS et de police ont sillonné le secteur, pour assurer la sécurité d'un convoi hautement sensible. Le mox est en effet composé d’un mélange d’oxyde d’uranium appauvri et d’oxyde de plutonium (3 à 12%, selon Areva), un puissant radiotoxique, isolé par une réaction chimique dans des combustibles déjà irradiés.

Deux bateaux britanniques lourdement armés assurent le transport. Membre du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), Yannick Rousselet a pu les visiter. Ce chargé de mission à Greenpeace évoque "deux canons automatiques de calibre 30mm" dans les cales arrières et un autre armement à l’avant, dont l’accès lui est resté interdit. A bord, une escorte armée doit assurer la sécurité durant tout le voyage. Le groupe Areva assure être au-delà des directives pour le transport des matières fissiles établies par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Vers 5 heures, ce bateau a accosté dans un bassin du port de Cherbourg pour être chargé avec une cargaison de combustible mox. (F. MAGNENOU / FRANCEINFO)

Pour l'occasion, un arrêté du conseil départemental avait interdit la circulation sur la route du convoi "pendant le déplacement d’un convoi de colis lourds" - une pudique expression pour désigner ce convoi hautement sensible. Dès l’après-midi, des fourgons de gendarmes effectuaient des rondes devant l’entrée du site, sous le regard nonchalant des salariés. Interrogée, une salariée fait mine de s'étonner, un sourire en coin : "Ah bon, il va y avoir un convoi ?" Plus sérieusement, elle assure n’avoir jamais été informée en interne. Les annonces sont cloisonnées entre les services. Le groupe Areva préfère rester discret sur ce type d'opération.

Le drapeau japonais flotte devant l'usine de retraitement de la Hague (Manche). (F. MAGNENOU / FRANCEINFO)

Des militants contre les "nucléocrates"

L'ONG Greenpeace assure que huit tonnes de combustible ont été chargées sur poids lourds. Une trentaine de militants écologistes s’étaient donné rendez-vous dès 18 heures, sur le rond-point de la Pyrotechnie, pour manifester leur mécontentement. Toute la nuit, des militants antinucléaires ont attendu le convoi. Pas de coup d’éclat, juste une question de principe. Leur mot d’ordre ? "Stop plutonium", décliné en japonais et en français sur les tee-shirts. Particulièrement remontée, Aliette accuse le groupe Areva de "forcer la main au Japon" après l'accident de Fukushima et dénonce, "une fois de plus, l’entêtement insensé des nucléocrates".

Yannick Rousselet, chargé de mission nucléaire pour Greenpeace, estime que ce combustible est dangereux car, selon lui, le plutonium peut être utilisé "à des fins mlilitaires". (F. MAGNENOU / FRANCEINFO)

Selon les opposants, le mox présente des enjeux bien spécifiques. Pour Yannick Rousselet, son transport est doublement dangereux. "ll y a d’abord un danger environnemental, si le bateau coule, car le plutonium est l’un des plus grands radiologiques du monde. Personne n’ira chercher les conteneurs." Mais sa plus grande inquiétude vient du risque de prolifération. "Le mox neuf est peu irradiant. Avec de l’acide nitrique et une centrifugeuse, il est possible de récupérer le plutonium à des fins militaires." Didier Anger, président du Crilan, une association locale, cite les risques d’attentat et de prise d’otages, alors que les bateaux vont voguer pendant plus de deux mois.

Une version contestée par Areva, qui estime la fabrication de bombes à partir de ce plutonium "quasi-impossible", sur son site : "Cela revient à comparer de l’essence sans plomb et du kérosène, ou essayer de faire voler un avion avec du sans plomb", estime le groupe français, sur son site.

Un thème polémique car Areva est un gros employeur

Parfois, sur le rond-point, un automobiliste défie les manifestants : "Vive l’EPR !", "Vive le nucléaire !" Simple provocation ou réelle conviction ? Areva est un employeur important pour la région : le site de la Hague emploie plus de 5 000 personnes, selon les chiffres du groupe. Converti à la cause écologique depuis la candidature de René Dumont en 1974, Jean-Noël préfère hausser les épaules. Pour Evelyne, les repas de famille tournent même à la foire d’empoigne avec son neveu, salarié du groupe. "J’avais un conjoint qui me donnait des coups de pied sous la table, se souvient la militante. Pour beaucoup, on devrait être fiers de cette industrie, mais on aurait pu investir dans tout autre chose, pour dynamiser le port par exemple."

Une trentaine de manifestants s'étaient donné rendez-vous près du port de Cherbourg, mardi 4 juillet 2017, afin de protester contre le transfert de combustible mox au Japon. (F. MAGNENOU / FRANCEINFO)

Pendant la nuit, un groupe de jeunes s’arrête pour discuter. Un sweat de l’OL sur le dos, l’un d’eux travaille justement en alternance chez Areva Temis. Un débat s’improvise donc près d'un feu de palettes - à chacun son combustible. "Moi je suis pour le nucléaire. Pour fournir tout le pays, comment on ferait pour construire toutes les hydroliennes et éoliennes nécessaires ?" Didier Anger tente de le convaincre, et lui rappelle que le nucléaire ne fournit que 5% de l’électricité mondiale. "On vous bourre la tête", ajoute André Jacques, autre membre du Crilan. Et quand ils évoquent les déchets, le jeune homme se reprend. "J’ai pas le droit de dire déchets, ce sont des produits de fission. Une fois j’ai dit déchets avec des mecs des RH, j’ai été très mal regardé."

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