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Hongrie : des citoyens LGBT nous racontent comment le régime de Viktor Orbán les traite en "ennemis"

Article rédigé par Mathilde Goupil - Envoyée spéciale à Budapest
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Huit Hongrois ont raconté à franceinfo à quoi ressemblait leur vie de personnes LGBT+ depuis l'arrivée au pouvoir de Viktor Orbán. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Des citoyens hongrois, exilés en Europe ou restés dans leur pays natal, racontent comment les lois discriminatoires du pouvoir conservateur envers les personnes LGBT changent leur quotidien.

Le texte controversé doit entrer en vigueur jeudi 8 juillet. En Hongrie, une loi LGBTphobe entend interdire d'exposer les mineurs à tout contenu faisant la "promotion" de l'homosexualité ou de la transidentité. Les condamnations internationales et le risque de sanctions européennes n'y changent rien. Cette mesure, prise à un an de l'élection présidentielle hongroise, est d'ailleurs loin d'être une première pour le gouvernement de Viktor Orbán.

Depuis son retour à la tête du pays en 2010 et surtout depuis deux ans, le dirigeant conservateur multiplie les mesures discriminant la communauté LGBT+. Définition de la famille dans la Constitution comme le "mariage entre un homme et une femme", interdiction du changement de genre à l'état civil pour les personnes trans, limitation de l'adoption pour les couples gays… Comment réagissent les Hongrois et Hongroises visés par ces lois ? A quoi ressemble leur quotidien sous ce pouvoir hostile ? Huit citoyens rencontrés à Budapest témoignent.

Angelika, 40 ans, maquilleuse : "Je commence même à avoir peur qu'on me retire ma carte d'identité"

Angelika, le 6 juillet 2021 à Budapest. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"En 2002, j'ai été la troisième femme en Hongrie à pouvoir bénéficier d'une opération de réassignation sexuelle [qui permet de modifier les caractéristiques sexuelles initiales afin qu'elles correspondent à l'identité de genre]. Comme c'était très rare à l'époque, je suis devenue célèbre : j'ai fait la couverture de magazines, j'ai été invitée par des émissions de télévision à débattre ou à chanter, j'ai participé à des programmes de télé-réalité…

Ces dernières années, je sens que les opportunités se sont raréfiées. A cause des opinions propagées par le gouvernement, je suis sur liste noire. Je ne peux plus vivre de ma notoriété. Il y a deux ans, je suis devenue maquilleuse-coiffeuse, même si je continue de temps à autre à être invitée par une émission. Je commence même à avoir peur que le gouvernement me retire ma carte d'identité de femme. Si c'est le cas, je partirai vivre à l'étranger, même si ce n'est pas ce que je souhaite.

"Le climat transphobe a affecté ma vie personnelle. Quel homme en Hongrie voudra m'épouser et construire une famille avec moi ?"

Angelika

à franceinfo

Cette fixation du gouvernement sur les personnes trans est incompréhensible : nous sommes un très petit nombre en Hongrie et nous ne bénéficions d'aucune visibilité. Un Hongrois moyen ne croisera probablement jamais une personne trans de toute sa vie ! En s'acharnant sur les personnes LGBT, en les excluant, en les forçant à opprimer leurs pairs pour être socialement acceptées, Orbán crée une société traumatisée."

Klára, 63 ans, ancienne députée : "Sa stratégie est de désigner un ennemi, aujourd'hui ce sont les LGBT"

Klára, le 6 juillet 2021, dans son bureau à Budapest. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"En 2005, j'ai été la première responsable politique en Hongrie à faire mon coming-out en tant que lesbienne, durant une émission de télévision. Au sein de ma famille et de la classe politique, ce n'était un secret pour personne. Quand le journaliste m'a demandé si j'étais effectivement lesbienne, j'ai répondu : 'Oui'. Mentir m'aurait fait honte.

Pourtant, je n'avais pas envie de devenir un symbole. Je n'étais pas du tout active dans la communauté LGBT et je voulais être reconnue pour mes compétences sur les réformes économiques et sociales. Mais évidemment, je le suis devenue. J'ai reçu des centaines de lettres d'électeurs ! Après ça, je n'ai plus occupé de fonctions au sein du bureau national de mon parti et je n'ai plus jamais été élue députée, sans que je sache si c'était directement lié à mon coming-out. J'ai arrêté la politique et désormais, je dirige une clinique à Budapest.

J'ai bien connu Viktor Orbán, avec qui j'ai cofondé le Fidesz [à la fin des années 1980, il s'agissait d'un parti de jeunes démocrates de centre-gauche anti-communistes]. Je ne crois pas qu'il soit sincèrement homophobe, il n'en a rien à faire au fond des personnes LGBT.

"Chacune de ses actions est une tactique politique afin de conserver le pouvoir."

Klára

à franceinfo

Sa stratégie est systématiquement de désigner un ennemi : aujourd'hui ce sont les LGBT, mais avant, c'était les chômeurs, les sans-abri, les migrants, l'Union européenne… L'objectif avec cette loi est aussi de diviser l'opposition, entre le Jobbik (droite) qui a voté pour le texte et les autres partis plus progressistes, qui ont voté contre ou se sont abstenus."

Dóra*, 40 ans, employée d'une usine : "Cette nouvelle loi va forcer les personnes LGBT à se cacher davantage"

Dóra, le 4 juillet 2021 à Budapest. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Depuis que je suis petite, je sais que je suis attirée par les femmes. Mais parce que je suis issue d'une famille de la classe moyenne rurale de l'ouest de la Hongrie, où la norme sociale hétérosexuelle est très forte. Dans ma ville natale, personne n'est au courant de mon homosexualité. Mes deux parents sont morts sans le savoir. Ni mes frères et sœurs, ni mes collègues ne savent que je suis lesbienne. Ils ne le supporteraient pas. Ce sont des partisans d'Orbán, qui tiennent des propos homophobes. J'ai accepté le fait qu'ils ne connaîtraient jamais cette partie de moi. En Hongrie, être une femme célibataire de 40 ans est déjà très mal vu, même sans être homosexuelle.

"Quand on me demande si je suis lesbienne, je réponds par une blague, ou j'invente le fait que je fréquente un homme."

Dóra

à franceinfo

Cela fait dix ans que j'ai déménagé à Budapest et cinq ans seulement que je vis en tant que lesbienne. C'est ça qui est terrible avec cette nouvelle loi, c'est qu'elle va empêcher des jeunes de comprendre qui ils sont, elle va forcer les personnes LGBT à se cacher davantage.

J'aimerais simplement pouvoir rencontrer quelqu'un, prendre la main d'une femme dans la rue, pouvoir louer un appartement à deux… Mais je m'interdis tout ça par peur d'être insultée ou frappée. J'ai envie de fonder une famille, mais c'est très difficile ici, donc je songe à déménager aux Etats-Unis."

*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.

Marton, 37 ans, directeur des ventes : "Un couple hétérosexuel passera toujours avant nous"

Marton, son mari Adam et leur fils Andréas, en juillet 2021 à Balatonszemes, en Hongrie. (MARTON BAL)

"J'ai rencontré mon mari [le mariage pour les gays et les lesbiennes n'existe pas en Hongrie, mais il est possible de se pacser depuis 2009], Adam, il y a dix ans lors d'une fête. Ça a été le coup de foudre. J'ai toujours su que je voulais avoir un enfant et lui aussi. En Hongrie, les couples gays ne sont pas autorisés à adopter, mais les personnes célibataires oui. En 2015, on a donc lancé la procédure pour que j'adopte en tant que personne seule.

Nous n'avons jamais caché à l'agence d'adoption et au psychologue chargé de m'évaluer que nous étions un couple d'hommes. Ça n'a pas posé de problème, et j'ai été déclaré apte à adopter. L'agence nous a néanmoins prévenu qu'un couple hétérosexuel nous passerait toujours devant et qu'il faudrait être patient. Nous avons attendu trois ans.

"En janvier 2018, on nous a proposé un garçon de 18 mois qui avait été refusé par 12 couples hétérosexuels. C'est comme ça que j'ai pu adopter Andréas."

Marton

à franceinfo

Comme nous aimerions avoir trois enfants, Adam a à son tour entamé la procédure d'adoption, en 2018. Mais en novembre 2020, le gouvernement hongrois a changé la législation : désormais, toutes les demandes d'adoption de personnes seules doivent passer par le ministère de la Famille pour être validées, même si elles ont déjà été approuvées par l'agence d'adoption. Ça n'est pas dit clairement, mais évidemment cette mesure permet de discriminer plus facilement les personnes LGBT. Comme mon mari et moi avons publiquement dénoncé cette loi, je crains que le gouvernement n'accède jamais à notre deuxième demande d'adoption."

Ivett, 40 ans, ingénieure en informatique : "J'ai dû fuir mon propre pays"

Ivett, chez elle à Budapest, le 6 août 2020. (ISTVAN BIELIK)

"Petite, je sentais que ça n'était pas normal que je sois un garçon. Quand j'étais seule, je m'habillais avec des vêtements de fille, mais à 28 ans, je suis tombée amoureuse d'une femme et je me suis mariée. Les années suivantes, j'ai connu de longues périodes de dépression. En 2019, j'ai compris que j'étais trans [une personne dont le genre assigné à la naissance ne correspond pas à l'identité de genre ressentie]. Ma femme m'a dit qu'elle ne pourrait pas rester avec moi, car elle n'était pas lesbienne.

J'ai commencé un traitement hormonal et en quelques mois, j'étais perçue comme femme. Mais comme mes papiers indiquaient que j'étais un homme, les gens pensaient que j'usurpais l'identité de quelqu'un d'autre. Au travail, une minorité de mes collègues m'a rendu la vie impossible, mais les Ressources humaines n'ont pas su réagir.

J'ai déposé une demande officielle pour que mon genre soit reconnu à l'état civil en 2018, quand c'était encore théoriquement possible. Mais la procédure a traîné et en mai 2020, le Parlement a adopté une loi l'interdisant. Alors j'ai fait mes valises et je suis partie vivre à Berlin avec mon petit ami, lui aussi trans.

"Même si je ne suis pas officiellement une réfugiée, c'est comme ça que je me sens. J'ai dû fuir mon propre pays à cause de la violation des droits humains."

Ivett

à franceinfo

J'ai intenté un procès à l'Etat, qui est toujours en cours. Je ne rentrerai pas vivre en Hongrie : je ne veux pas avoir à regarder par-dessus mon épaule pour vérifier que je suis en sécurité, ni vivre dans un pays qui ne veut pas de moi. S'il y a une chose que mon pays m'a apprise, c'est que l'Etat de droit peut être renversé du jour au lendemain."

Csaba, 52 ans, concierge : "Quand j'ai compris que j'étais gay, je ne l'ai dit à personne"

Csaba, chez lui à Cologne (Allemagne), le 6 juillet 2021, avec une image où il est écrit "Cologne est gay". (CSABA)

"Je suis né en 1969 dans une petite ville dans l'ouest de la Hongrie. A l'époque, la télévision nationale hongroise était notre seul lien avec le reste du monde. Elle n'évoquait jamais l'homosexualité et mes parents, un réparateur et une femme de ménage, n'ont jamais abordé avec moi les questions de sexualité. Je ne savais même pas ce que voulait dire être gay. Pourtant, j'ai su très jeune que j'étais différent. Mais toute la journée, j'entendais des gens parler des 'putains d'homos', etc. Quand j'ai compris que j'étais gay, je ne l'ai dit à personne.

"Peut-être que si j'avais pu en parler à l'époque, ma vie aurait été différente."

Csaba

à franceinfo

J'ai déménagé à Budapest à 23 ans en pensant que ça serait plus simple de se cacher dans une grande ville. Là-bas, j'ai finalement fait mon coming-out auprès de tout le monde, même mes collègues, et je n'ai jamais eu de souci. Mettre dans la même loi la pédophilie, qui est une mauvaise chose, et l'homosexualité, qui ne l'est pas, entraîne forcément une connexion entre les deux dans l'esprit des gens. Le pays est si divisé sur ce sujet et sur la politique en général, entre les partisans d'Orbán et les autres, que j'ai préféré déménager l'hiver dernier à Cologne, en Allemagne."

Matteo, 21 ans, étudiant : "La loi interdit de parler d'homosexualité à l'école, mais ça n'était déjà pas le cas"

Matteo, le 3 juillet 2021 à Budapest. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"C'est compliqué de tenir la main de mon copain dans la rue, on ne peut jamais être à 100% nous-mêmes. En septembre, on se baladait dans le centre-ville de Budapest quand trois hommes d'une quarantaine d'années nous ont vus au loin et ont couru vers nous en nous insultant.

"J'ai dû attendre de déménager en Angleterre, en 2018, pour comprendre que j'étais gay et réaliser que c'était une option possible dans la vie."

Matteo

à franceinfo

A Londres, où je suis parti faire mes études d'informatique, je n'ai pas l'impression de devoir faire attention à ce que je fais comme ici. Là-bas, tous mes amis savent que je suis gay. En Hongrie, je l'ai dit à ma famille qui l'a très bien pris, mais pas à tous mes amis d'enfance. Je ne suis pas certain de la réaction de certains d'entre eux, alors je préfère attendre.

La loi qui vient de passer interdit de discuter de l'homosexualité à l'école, mais ça n'était déjà pas le cas ! C'est un véritable tabou. Mes amis gays qui vivent ici sont obligés de le cacher à leurs collègues, sinon ils savent qu'ils ne pourront jamais être promus. C'est pour ça que je ne me vois pas vivre en Hongrie plus tard."

Anna, 37 ans, chercheuse et activiste : "Je ne me laisserai pas intimider"

Anna, le 2 juillet 2021 à Budapest. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"La loi qui dit 'protéger les mineurs' est tellement vague qu'elle n'est pas faite pour être appliquée, mais pour provoquer l'autocensure. Mais je ne crois pas au fait qu'elle entraîne beaucoup de changements. Les professeurs qui veulent aborder le sujet de l'homosexualité pourront le faire en montrant Friends ou Modern Family [deux séries américaines dont certains personnages sont LGBT+] par exemple, en prétextant qu'il s'agit de progresser en anglais. Moi-même, en tant qu'enseignante, je ne me laisserai pas intimider et je continuerai d'aider mes élèves à découvrir qui ils sont.

"J'ai confiance en l'Union européenne pour forcer Orbán à reculer."

Anna

à franceinfo

En revanche, je crains qu'il utilise les sanctions européennes pour faire monter le sentiment anti-européen au point que la question de la sortie de l'UE se pose un jour. C'est quelque chose qui me fait très peur, car les femmes, la communauté LGBT et les minorités en Hongrie seraient abandonnées. Je pense que si ça arrive, nous serons très nombreux à partir vivre à l'étranger."

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