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Trois choses à savoir sur Nathalie Roret, première femme non-magistrate proposée pour diriger l'Ecole de la magistrature

Avocate pénaliste, Nathalie Roret exerce depuis 1989. Elle est vice-bâtonnière du  barreau de Paris depuis le début de l'année 2020.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Nathalie Roret, sur une photo non datée communiquée par le ministère de la Justice. (MINISTERE DE LA JUSTICE)

"Une femme d'exception." Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a choisi de proposer l'avocate pénaliste Nathalie Roret, actuelle vice-bâtonnière du barreau de Paris, pour diriger l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). "Pour la première fois dans l'histoire de l'école, ce directeur sera une directrice", a déclaré le ministre de la Justice, lundi 21 septembre, lors d'un discours sur la direction de l'ENM.

C'est aussi la première fois que l'institution ne sera pas dirigée par un magistrat. Une illustration de la volonté de réformer l'ENM. "Je n'aurai pas le temps d'opérer une refonte totale, mais je ne renonce certainement pas à ouvrir davantage cette école", a déclaré Eric Dupond-Moretti. Avant sa nomination officielle, le président de la République doit valider son nom. En attendant, franceinfo liste trois choses à savoir sur Nathalie Roret.

1Elle a mené la contestation contre la réforme des retraites

Nathalie Roret est devenue vice-bâtonnière de l'Ordre du barreau de Paris aux côtés du bâtonnier Olivier Cousi, le 1er janvier 2020, après un mandat au Conseil de l'Ordre (2010-2012), puis au bureau du Conseil national des barreaux (2015-2017). Elle entre en fonction au moment où la profession traverse une période tendue : les avocats sont en grève contre la réforme des retraites. Leur mouvement se durcit jour après jour tout au long du mois de janvier, et ne faiblit pas en février.

Parmi les actions fortes menées par les robes noires, il y a la défense massive, "une sorte de grève du zèle pour faire durer les plaidoiries au maximum". L'idée, en plaidant dans les moindres détails, est de montrer que les avocats sont indispensables. "Plus nous avons de paires d'yeux penchées sur nos dossiers, plus nous avons d'arguments de nullité développés dans l'intérêt de la défense, dans l'intérêt des justiciables", défendait avec ferveur Nathalie Roret au micro de franceinfo.

La vice-bâtonnière du barreau de Paris fait aussi partie de la délégation reçue par le Premier ministre, le 4 février, au lendemain de la manifestation nationale initiée par le collectif SOS Retraites. Elle est accompagnée d'Olivier Cousi, de la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl, et de la présidente de la Conférence des bâtonniers, Hélène Fontaine. Cette dernière confirme, lundi, à franceinfo : "On a traversé toutes les crises ensemble."

On s'est beaucoup battues sur la réforme des retraites. On a toujours été extrêmement soudées.

Hélène Fontaine

à franceinfo

Pour Hélène Fontaine, proposer sa consœur à la tête de l'ENM est "un très bon choix". "C'est quelqu'un qui est très à l'écoute, qui sait trouver les mots pour sortir d'une situation difficile. C'est une femme engagée qui a le souci du consensus", décrit-elle. "C'est une femme élégante, sensible, intelligente et une grande bosseuse", complète Christiane Féral-Schuhl, son amie depuis dix ans.

2Elle s'est illustrée dans des dossiers sensibles, comme celui de la vache folle

Nathalie Roret a bâti sa réputation en intervenant sur des dossiers particulièrement médiatiques. Elle a, par exemple, assuré la défense du PDG de la chaîne de restaurants Buffalo Grill, plongé dans le scandale de la vache folle aux débuts des années 2000. A l'époque, Christian Picart est accusé d'avoir importé de la viande britannique et de l'avoir écoulée en pleine crise de la vache folle, alors qu'un embargo est en vigueur. Plusieurs dirigeants du groupe sont mis en examen en 2002 pour tromperie aggravée et mise en danger de la vie d'autrui. Une enquête-fleuve est menée pendant quinze ans, au terme de laquelle la justice prononce un non-lieu, faute de "charges suffisantes".

"Il y a eu des accusations graves et mensongères", dénonce, en mars 2016, Nathalie Roret, invitée de France inter, après cette décision de justice. "Le mal est fait. On se bat pour que cela ne se reproduise pas, pour attirer l'attention sur les dérives qui peuvent être celles de procédures aussi longues qui sont très dangereuses. Le justiciable est victime d'un véritable déni de justice", ajoute-t-elle. Elle en profite aussi pour alerter sur la situation de la justice en France : "Trop peu de juges, trop peu de parquetiers." "Il faut mettre davantage de magistrats", insiste-t-elle.

Nathalie Roret est également intervenue au sein de dossiers consacrés aux risques médicaux et pharmaceutiques, telles que les affaires du sang contaminé ou de l'hormone de croissance.

3Elle est chargée d'une mission qui s'annonce compliquée

Eric Dupond-Moretti n'a pas caché son ambition en souhaitant "ouvrir les portes et les fenêtres" de cette institution pour rompre avec "la tentation du vase clos" et des "traditions surannées", a-t-il déclaré lors de sa conférence de presse lundi. Proposer une personnalité qui n'est pas une magistrate pour diriger l'ENM est un coup de tonnerre. "C'est une information inédite, mais qui relève du domaine symbolique : on ne sait pas si ça va changer quelque chose", réagit auprès de franceinfo Nils Monsarrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature (SM). "Après tout, pourquoi pas. Ce qui nous gêne, c'est d'abord le timing", commente Nils Monsarrat. La proposition de Nathalie Roret à la tête de l'ENM arrive dans un contexte tendu entre la Chancellerie et la magistrature.

Cette nomination arrive quelques jours après l'ouverture d'une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier... Est-ce une diversion ?

Nils Monsarrat

à franceinfo

"Ensuite, nous aimerions plus de transparence sur ce choix et revoir le mécanisme de désignation. Le choix du directeur de l'ENM pourrait être entériné après son audition à l'Assemblée, comme c'est le cas pour le Conseil supérieur de la magistrature", suggère le magistrat, qui refuse de focaliser ses critiques sur la personnalité de Nathalie Roret. "Je ne la connais pas, peut-être qu'elle sera très bien", admet-il. Il assure qu'il se montrera "attentif" à ses premiers pas.

"Sa nomination peut être mal perçue, mais il faut l'intelligence de chacun pour que ça puisse marcher", affirme, de son côté, l'avocate Hélène Fontaine. "Il y a beaucoup de tensions entre magistrats et avocats, reconnaît-elle. Il faut passer au-delà de ça pour que la justice fonctionne bien." "C'est un grand honneur d'avoir une avocate à la tête de cette institution, une main tendue pour rapprocher des professions très complémentaires, qui agissent de concert pour la justice", renchérit sa consœur Christiane Féral-Schuhl.

Un enjeu que Nathalie Roret semble avoir saisi. Elle a réagi sur Twitter en parlant de "mission majeure dans l'intérêt de la justice et des justiciables qui permettra de renforcer le lien entre avocats et magistrats".

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