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Retrait automatique de l'autorité parentale en cas de violence : le juge devient "un peu un distributeur automatique de peine", regrette une avocate

Les députés ont voté à l'unanimité le retrait de l'autorité parentale à un parent condamné pour violences sur enfant ou sur conjoint. Une automaticité à laquelle l'avocate Anne Bouillon, spécialisée en droit des femmes, n'est pourtant pas favorable.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Les députés votent l'automaticité du retrait de l'autorité parentale en cas de violences envers enfants ou conjoint (photo d'illustration). (MATTHIEU MONDOLONI / RADIO FRANCE)

"Je ne suis pas favorable à l'automaticité" du retrait de l’autorité parentale en cas de violence, car le juge devient "un peu un distributeur automatique de peine", a estimé vendredi 10 février sur franceinfo maître Anne Bouillon, avocate spécialisée en droit des femmes et de la famille. À l’initiative de la députée PS Isabelle Santiago, les députés ont voté unanimement jeudi soir le retrait de l'autorité parentale à un père ou une mère condamné par la justice pour inceste, crime sur son enfant ou son conjoint. 400 000 enfants vivent dans un foyer où règnent des violences conjugales. Ce texte "va dans le bon sens, mais l'automaticité dépossède le juge de sa capacité de juger. Elle nous fait faire l'économie d'expliquer pourquoi est-ce qu'il est important de retirer l'autorité parentale. Je préfère un débat dans le prétoire", a-t-elle expliqué
 
franceinfo : Que veut dire exactement "plus d'autorité parentale" ?

Anne Bouillon : Ça veut dire que l'exercice des prérogatives de l'autorité parentale est alors dévolu à un seul parent et en l'occurrence, à celui qui n'est pas mis en cause ou qui n'est pas auteur de violences. Ça veut dire que lorsqu'il s'agit de décider pour l'enfant de son lieu de scolarisation, de ses déplacements à l'étranger, de son éducation religieuse, de ses traitements médicaux, lorsqu'il s'agit de prendre toutes les grandes décisions qui éduquent nos enfants, alors seul un des parents pourra le faire. L'autre parent conserve un droit à être informé, mais n'est plus décisionnaire. 
 
Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui le retrait de l’autorité parentale ne soit pas automatique ?
Ça s'explique d’abord par les textes. C’est quelque chose qui rentre dans les mœurs judiciaires de discuter de cette question. Devons-nous laisser l'autorité parentale exercer conjointement par deux parents dont l'un subit la violence de l'autre ou dont l'un a commis de la violence sur un enfant, les deux pouvant être synonymes ? On sait très bien que la violence conjugale est une violence aussi produite aux enfants. Cette question est de plus en plus fréquemment posée au sein des tribunaux. Elle reçoit une réponse disparate, même si la tendance est effectivement qu’un mauvais conjoint est forcément un mauvais parent. La seconde raison pour laquelle c'est peu ou pas assez appliqué, cela tient à notre culture. On vient toucher une figure extrêmement importante qu'est l'autorité parentale.

"Je vois beaucoup de personnes accusées dans les prétoires, ne pas discuter les sanctions pénales mais s'arcbouter dès lors qu'il s'agit de leur retirer l'autorité parentale. C’est vécu comme une déchéance absolue."

Anne Bouillon, avocate spécialisée en droit des femmes et de la famille

à franceinfo

On vient toucher un symbole extrêmement fort et une prérogative extrêmement puissante dans notre culture patriarcale.
 
Êtes-vous pour l’automaticité ?

Au risque de vous surprendre et malgré tout l'engagement qui est le mien, je ne suis pas favorable à l'automaticité. Je pense que l'automaticité est dangereuse, même s'il y a une soupape de sécurité qui est prévue par le texte. Le juge peut, par une décision spécialement motivée, considérer que… Je vois bien le signal fort qui est envoyé et pourquoi est-ce que le législateur souhaite aller dans ce sens-là. Ça va dans le bon sens, mais l'automaticité dépossède le juge de sa capacité de juger et elle nous fait faire l'économie d'expliquer pourquoi est-ce qu'il est important de retirer l'autorité parentale. Je préfère un débat dans le prétoire. Je préfère discuter, je préfère convaincre, quitte à ce qu'on me dise que j'ai tort. Je préfère débattre. Et puis, il y a des situations marginales où il ne faut pas retirer l'autorité parentale. Par exemple, lorsqu'il y a eu un épiphénomène de violence et que les deux parents peuvent avoir retrouvé le chemin de la communication. Ils souhaitent, après cet épisode de violence, parce qu'il y a un travail d'introspection qui a été fait, continuer à élever leurs enfants ensemble. Ça existe. Donc l'automaticité de peines, ça rend le juge un peu distributeur automatique de peine. 
 
Le maintien de l'autorité parentale peut nuire à l'enfant, mais aussi à l'autre parent ?

On le sait bien. Il faut analyser au cas par cas, ce qui se passe, c'est-à-dire qu'il faut tout à la fois marquer le fait qu’il n'est plus acceptable de considérer qu'un parent violent est un bon parent. Cette époque-là, elle est terminée.

"C'est ce qu'on appelle le continuum des violences, c'est-à-dire que l'autorité parentale est investie comme un moyen de continuer à faire pression sur l'autre parent, non pas pour imposer quelque chose dans le cas d'une coéducation, mais juste pour entraver l'autre parent."

Anne Bouillon

à franceinfo

Je me souviens de femmes que je défendais. On leur disait : "certes votre mari vous a frappé, mais madame, sachez voir le père qui est dans votre mari et respecter sa place de père." Ce discours a un peu fait long feu. Néanmoins, je pense qu'il ne faut jamais se priver d'étudier des situations au cas par cas.

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