: Récit De la disparition de l'étudiante à l'extradition en France du seul suspect, l'histoire du meurtre de Narumi Kurosaki à Besançon
Le Chilien Nicolas Zepeda, soupçonné d'avoir assassiné son ex-petite amie japonaise en France en 2016, a été extradé jeudi vers Paris. Son avion s'est posé vendredi à Roissy.
Va-t-on connaître la vérité sur la mort de Narumi Kurosaki ? Le corps de cette étudiante japonaise de 21 ans, vue vivante pour la dernière fois le 4 décembre 2016 à Besançon (Doubs), n'a jamais été retrouvé. L'unique suspect est son ancien petit ami. Nicolas Zepeda, Chilien aujourd'hui âgé de 29 ans, a été extradé de son pays, où il était assigné à résidence, vers la France, jeudi 23 juillet. Il est arrivé à l'aéroport Charles-de-Gaulle vendredi. Cette procédure ouvre un nouveau chapitre de ce feuilleton judiciaire qui pourrait déboucher sur un procès.
Une disparition, pas de corps
Narumi Kurosaki arrive en septembre 2016 à Besançon pour étudier au Centre de linguistique appliquée, dans le cadre d'un partenariat entre les universités de Franche-Comté et de Tsukuba. C'est là-bas qu'elle avait rencontré, à l'automne 2014, Nicolas Zepeda, fils d'un dirigeant de Movistar, marque de l'opérateur de téléphonie mobile espagnol Telefonica, relate L'Est Républicain. Leur histoire d'amour se poursuit un temps, malgré le départ de l'étudiante pour la France. Le jeune homme rejoint, lui, le Chili, où il est professeur assistant à l'université de Santiago. "J'étais en couple avec Narumi pendant 19 mois et 16 jours, du samedi 21 février 2015 au 6 octobre", détaille plus tard Nicolas Zepeda aux policiers chiliens, le 30 décembre 2016, selon France 3 Bourgogne Franche-Comté.
Narumi Kurosaki est une jeune fille "calme", "très gentille", "toujours souriante" et "ouverte à la discussion", décrivent à l'AFP les étudiants qui l'ont côtoyée à Besançon, où elle noue une nouvelle relation avec un certain Arthur en octobre 2016.
A la fin de l'année, elle revoit Nicolas Zepeda. Les deux anciens amoureux dînent en tête-à-tête le 4 décembre dans un restaurant à Ornans (Doubs), à une trentaine de kilomètres de Besançon, et passent la nuit dans la chambre universitaire de l'étudiante. Cette nuit-là, selon la procureure de Besançon Edwige Roux-Morizot, plusieurs étudiants entendent des bruits suspects. "Dans la nuit, j'ai entendu des boums sur les portes, les meubles, et après j'ai entendu un cri très strident, très aigu et fort", raconte à l'AFP sa voisine de palier, Anne-Laure Saillet, 20 ans.
C'était un cri de femme. Au début, j'ai cru que c'était un film d'horreur, mais comme ça recommençait, je me suis inquiétée. Je n'ai pas pu bouger de mon lit, j'étais terrifiée.
Anne-Laure Saillet, étudianteà l'AFP
"On dirait que quelqu'un est en train de se faire assassiner", écrit par SMS, à 3h21 précises, une étudiante anglaise qui réside au même étage que Narumi. Personne ne prévient la police. Depuis cette nuit du 4 décembre 2016, plus de trace de la jeune étudiante. Des SMS reçus par ses amis après cette date justifient son absence par un problème de passeport à régler. Son adresse mail est également utilisée, ainsi que sa carte bancaire pour acheter un billet de train.
Plus de dix jours après la fameuse nuit, le Centre de linguistique appliquée signale sa disparition aux autorités. Cinq jours plus tard, la police judiciaire lance un appel à témoignages. A cette date, le patron d'un bar-tabac de Verdun (Meuse) affirme l'avoir vue vivante. Une piste qui sera finalement écartée par les enquêteurs.
"Des éléments de l'enquête nous font dire qu'il est extrêmement vraisemblable que cette jeune femme soit morte", déclare le 3 janvier 2017 la procureure de Besançon Edwige Roux-Morizot, au cours d'une conférence de presse. "Plus le temps passe, plus ce sera difficile de retrouver le corps", conclut-elle. La procédure judiciaire, initialement ouverte pour "disparition inquiétante", puis pour "enlèvement et séquestration", est finalement requalifiée en "assassinat" et confiée à deux juges d'instruction.
Les recherches du corps de Narumi Kurosaki prennent fin au mois de juillet 2017. "Nous avons utilisé l'hélicoptère, l'avion, les plongeurs de la gendarmerie, des sonars, des chiens spécialisés en recherche de cadavre, les sapeurs-pompiers, les spéléologues… Tous les moyens ont été mis en œuvre. Avec plus de 1 500 heures de recherche, nous avons atteint le maximum", regrette le commandant de la police judiciaire de Besançon, Régis Millet, auprès de France 3 Bourgogne Franche-Comté.
Nicolas Zepeda, un profil inquiétant
Très vite, les enquêteurs se tournent vers l'ancien petit ami, Nicolas Zepeda, la dernière personne à avoir vu la jeune femme vivante. Il "était en France et présent à Besançon au moment de la disparition", souligne la procureure. Dans un courrier envoyé aux autorités chiliennes, Nicolas Zepeda raconte être allé voir Narumi en France début décembre 2016 et qu'ils s'étaient alors "rendu compte qu'ils étaient toujours amoureux". Il dit avoir passé une partie de la nuit du 4 au 5 décembre avec elle et affirme être ensuite reparti seul.
En traçant les données GPS de la voiture de location du jeune homme, son téléphone et en analysant les mouvements bancaires sur sa carte de crédit, les enquêteurs découvrent qu'il se trouvait en France du 30 novembre au 7 décembre au moins. Il aurait par ailleurs acheté des sacs poubelles et un bidon de produit inflammable dans un magasin de bricolage dans la banlieue de Besançon, quelques jours avant la nuit du 4 décembre.
D'après la géolocalisation de sa voiture de location, le 6 décembre 2016 à l'aube, le suspect s'est rendu dans le secteur de la forêt de Chaux dans le Jura, où les enquêteurs le soupçonnent de s'être débarrassé du corps. Son véhicule de location a été rendu très sale, avec "l'impression qu'il a été utilisé pour aller dans les bois", révélera plus tard le nouveau procureur, Etienne Manteaux. Entre le 7 et le 12 décembre, date à laquelle il s'envole de Genève pour Madrid, avant de regagner le Chili, Nicolas Zepeda aurait logé chez un de ses cousins à Barcelone, rapporte France 3 Bourgogne Franche-Comté. Il lui aurait d'ailleurs demandé de taire son séjour en Europe.
Outre son emploi du temps, la personnalité de Nicolas Zepeda intéresse les enquêteurs. La magistrate Edwige Roux-Morizot la décrit comme "envahissante et inquiétante". Des échanges de SMS entre lui et Narumi laissent entendre qu'il aurait très mal vécu le rapprochement de la jeune femme avec Arthur, son nouveau petit ami.
Dans un message envoyé le 5 septembre à Nicolas Zepeda, l'étudiante annonce "je ne supprimerai jamais Arthur (de Facebook)". Le jeune homme, "dont les messages démontrent peu à peu une envie de vengeance", écrit France 3 Bourgogne Franche-Comté, lui répond.
Je voulais te marier, je voulais avoir une maison, une famille.
Nicolas Zepedadans un message à Narumi Kurosaki
En janvier 2017, les enquêteurs découvrent en ligne une vidéo, qui serait datée du 7 septembre 2016, dans laquelle Nicolas Zepeda profère des menaces. "Récemment, Narumi a fait de mauvaises choses qui lui coûtent de suivre certaines conditions pour garder cette relation (...)", déclare le jeune homme, selon la retranscription faite par le site de BFMTV. "Si elle ne peut pas suivre ces conditions pendant deux semaines, deux semaines à partir de maintenant, je mettrai ces conditions à exécution avec effet immédiat."
La fin d'un long combat judiciaire entre la France et le Chili
Plus d'un mois après la disparition de Narumi, les choses bougent. Le Chili "a reçu une demande d'assistance par les autorités compétentes françaises" sur cette affaire, affirme le responsable du service de Coopération internationale auprès du ministère de la Justice chilien, Antonio Segovia, le 5 janvier 2017. Elle concerne "l'identification de certains suspects ainsi que de leurs derniers déplacements". Soupçonné, le jeune homme nie en bloc, le 8 janvier, lors d'une discussion avec une de ses proches domiciliées au Japon, raconte Le Parisien. Il dément alors formellement avoir voyagé dans l'Hexagone.
Une demande d'arrestation provisoire et d'extradition est "validée par la Chancellerie et envoyée au Chili" le 25 janvier, annonce la procureure de la République de Besançon, Edwige Roux-Morizot. Quelques jours plus tard, le Chili annonce son refus d'arrêter le suspect. Les autorités du pays jugent qu'une simple interdiction de sortie du territoire pendant deux mois suffit. La justice chilienne invoque "le peu d'informations relatives aux faits punissables et à la participation" du suspect. Nicolas Zepeda comparaît devant la Cour suprême "volontairement", dès qu'il a "connaissance des premières demandes de l'Etat français", selon son avocat.
L'affaire rebondit en avril 2019. Le procureur Etienne Manteaux se rend au Chili avec un magistrat instructeur et deux enquêteurs pour assister à l'interrogatoire du suspect par les enquêteurs chiliens. "Nous attendons qu'il réponde à toutes les preuves que nous avons, déclare alors le magistrat. Peut-être qu'il nous livrera des réponses qui nous feront douter de sa culpabilité." Une nouvelle demande d'extradition arrive au début du mois d'octobre. Le procureur annonce alors que l'enquête est "close" et que les "34 mois d'investigations" justifient cette demande.
Il faut encore attendre quelques mois pour que la justice chilienne autorise, le 2 avril, dernier l'extradition de Nicolas Zepeda. La Cour suprême du Chili confirme cette extradition le 18 mai. "Je suis très heureux de cette décision pour la justice (...) cette extradition permettra la tenue d'un procès contradictoire en présence du suspect, qui pourra se défendre, et avec un examen approfondi des éléments de l'enquête qui ont été recueillis", déclare le procureur.
"Si les éléments du dossier sont assez sérieux, graves et concordants, pour justifier un procès au Chili, alors cela signifie que l'extradition est possible", assure à franceinfo le juge de la Cour suprême du Chili Jorge Dahm.
Dans ce cas précis, nous avons estimé que les éléments apportés dans la demande d'extradition présentée par la République française sont bien conformes à ces critères et par conséquent la demande a été acceptée.
Jorge Dahm, juge de la Cour suprême du Chilià franceinfo
Depuis cette décision, Nicolas Zepeda était assigné à résidence dans un immeuble cossu de la station balnéaire de Viña del Mar, à quelque 120 kilomètres de Santiago, pour "éviter un possible danger de fuite", selon la justice chilienne. Il s'est envolé jeudi pour Paris, sous l'escorte des agents français du service national des transferts. A son arrivée à l'aéroport parisien de Roissy, l'exécution de son mandat d'arrêt international doit lui être notifiée. Destination suivante : Besançon, où il doit être présenté à la justice qui se prononcera sur son placement en détention provisoire.
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