Cet article date de plus de douze ans.

Quand Renault anticipait le suicide de ses cadres accusés à tort d'espionnage

EXCLUSIF - Ce sont des documents très embarrassants pour Renault, que révèlent France Info et France Inter : un échange de mails au sein du service communication du constructeur, au moment où a éclaté, en janvier 2011, la fausse affaire d'espionnage qui avait conduit au licenciement de trois cadres, trois salariés accusés à tort et sans preuve tangible. A ce moment-là, Renault avait prévu de communiquer sur le possible suicide de ces cadres.
Article rédigé par Elodie Guéguen
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (PHOTOPQR/L'ALSACE/Lionel Vadam Maxppp)

Ces documents ont été saisis par les
policiers de la Direction centrale du renseignement intérieur lors d'une
perquisition il y a quelques mois au siège de Renault. Ils proviennent de la
boîte mail de Frédérique Le Grèves, ancienne directrice de la communication du
constructeur, devenue depuis le 17 octobre dernier, la chef de cabinet du président du groupe, Carlos Ghosn

Le lundi 10 janvier 2011, c'est le branle-bas-de combat
au siège de Renault à Boulogne-Billancourt. L'armée de communicants du
constructeur est sur le pont, prête à affronter la tempête médiatique, politique
et peut-être économique qui s'annonce après la révélation d'un scandale
d'espionnage qui touche le groupe. Une réunion de crise se tient dans la soirée.
La direction du constructeur vient de travailler sur les "éléments de langage"
et la stratégie à adopter : le 11 janvier, les trois cadres accusés d'espionnage
(à tort, mais cela Renault ne le sait pas encore) seront convoqués au siège de
la marque au losange pour un entretien préalable au licenciement, puis, le 12
janvier, Renault déposera plainte pour espionnage.

Dans la nuit de 10 au 11, à l'issue de cette réunion de
crise, la patronne de la communication du constructeur, Frédérique Le Grèves,
adresse un mail –intitulé "confidentiel" - à des attachés de presse de Renault
et des communicants de sociétés extérieures. Elle donne l'instruction à des collaborateurs de préparer une
déclaration toute prête si, par malheur, l'un des cadres accablé et licencié par
l'entreprise décidait de se suicider.

"Au cas où l'un d'entre eux commettrait l'imparable"

Voici un extrait de ce message: "Merci de demander à Emmanuelle de
travailler sur une déclaration à utiliser en interne et externe au cas où l'un
d'entre eux commettrait l'imparable
[lapsus de F. De
Grèves,  qui, on l'imagine voulait écrire
" irréparable ", NDLR]. Ca serait sur le
thème, nous sommes abasourdis et nous avions pris les dispositions
médico-psychologiques pour les trois individus."

> Lire l'intégralité du verbatim n°1

Le problème, au-delà du cynisme de la démarche, c'est que
Renault n'aurait peut-être pas proposé d'assistance médico-psychologique à ses salariés.
"Elle était prête ", mais elle n'a pas été proposée reconnaît-on dans
l'entourage de la direction. Ce que relate dans un mail la
collaboratrice qui va rédiger la déclaration "prête à diffuser" en cas de
suicide. Elle envoie ce message à Frédérique Le Grèves le 11 janvier à 16h46 :

"Caroline m'avait bien
mentionné l'assistance médico-psychologique proposée aux trois personnes.
Cependant, si nous commençons à donner cet élément, ça donne l'impression qu'on
se justifie et cela risque d'appeler pas mal de questions sur la nature de cette
aide (...)"

"L'entreprise est profondément ébranlée par ce drame et pense à la famille de
M. X"

En pièce jointe de ce message, l'auteur de la note adresse
à Frédérique Le Grèves la position de "Renault One Voice", la structure de
communication du constructeur. Deux options sont alors envisagées (extraits du
mail) :

Option 1 : L'un des 3
cadres mis à pied le 3 janvier
2011
a
tenté de
mettre fin à ses jours (date).
*Option 2 :*** L'un
des 3 cadres mis à pied le 3 janvier
2011
a
mis fin à
ses jours le (date).
L'auteur du document, à la demande de Frédérique Le Grèves, a
donc rédigé deux communiqués type, prêts à être diffusés en interne et en
externe en cas de drame :

Option
1 : Toute l'entreprise est profondément ébranlée par la gravité de ce geste
(...)
Option 2 : Toute
l'entreprise est profondément ébranlée par ce drame et pense particulièrement à
la famille de M. XXX. Depuis le début de cette affaire, Renault a toujours
veillé à préserver l'identité de ses cadres, dans le plus strict respect des
personnes concernées. Face à ce geste qui nous bouleverse, nous entendons
maintenir notre position et ne pas faire de commentaires. C'est bien de la
dignité des personnes dont il est question
ici.
> Lire l'intégralité du verbatim n°2

Renault avait donc conscience, semble-t-il, des risques
psycho-sociaux qu'encouraient les trois salariés mis en cause puis licenciés. A
cette époque, cette affaire d'espionnage faisait la une des journaux. Les noms,
les visages des cadres ont été livrés à l'opinion publique. Fragilisés, les
trois cadres accusés à tort d'être des espions ayant cherché à nuire aux
intérêts économiques de la France, auraient pu mettre fin à leurs
jours.

Un proche de la direction reconnaît que Renault a
peut-être échappé à un autre scandale. "Rétrospectivement, ils ont eu une peur
bleue, beaucoup de gens ont dû avoir du mal dormir. C'est comme quand on repense à un accident de voiture auquel on
a survécu
".

Renault : "On doit travailler sur les pires scénarios"

Hier dans la soirée, le directeur de la communication
externe de Renault, Stéphane Guilbaud, a reconnu que des "travaux préparatoires
à la gestion de la crise"
avaient été engagés chez Renault lorsque le (faux)
scandale d'espionnage a éclaté. L'éventuel suicide de cadres a bien été envisagé
par la direction de la communication. "On est un entreprise du CAC 40, on
travaille sur toutes les possibilités, y compris les pires scénarios"
, explique
le responsable. "Frédérique Le Grèves a fait son travail de directrice de la
communication en envisageant toutes les hypothèses"
.

Stéphane Guilbaud précise
que depuis le scandale, la gouvernance de Renault a été "complètement revue" ,
notamment la direction de la communication. Frédérique Le Grèves est devenue
chef de cabinet du président Carlos Ghosn. 

Enfin, Patrick Monange, secrétaire génral de FO chez Renault, envisage lui de saisir le ministère du Travail de cette affaire qui démontre "le cynisme intégral de Renault ". "Pour l'entreprise , dit-il, le salarié reste une variable d'ajustement. On le licencie et on verra après... "

 

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