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Procès des attentats de janvier 2015 : la défense d'Ali Riza Polat tente de déconstruire son image de "bras droit" d'Amedy Coulibaly

Après des réquisitions très lourdes à l'encontre du principal accusé présent dans le box, ses avocats, Me Isabelle Coutant-Peyre et Me Antoine Van Rie, ont tenté de démontrer les doutes qui subsistent autour de l'implication de leur client. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'avocate d'Ali Rizat Polat, Isabelle Coutant-Peyre, le 23 octobre 2020 au procès des attentats de janvier 2015, à Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Ils ont été les premiers à plaider au nom de la défense. Me Isabelle Coutant-Peyre et Me Antoine Van Rie ont ouvert le bal, mardi 8 décembre, après les très lourdes réquisitions prononcées à l'encontre de la quasi-totalité des 14 accusés du procès des attentats de janvier 2015, et notamment de leur client, Ali Riza Polat. La perpétuité assortie d'une période de 22 ans a été réclamée pour cet homme de 35 ans et Mohamed Belhoucine. C'est la peine la plus lourde encourue pour le chef de "complicité de crimes terroristes". Le premier est présent dans le box, le second est donné pour mort en Syrie. Une différence de taille, selon la défense d'Ali Riza Polat. 

Pour Me Isabelle Coutant-Peyre, disciple de Jacques Vergès et connue pour avoir défendu et épousé religieusement le terroriste Carlos, la complicité de son client dans ce dossier "a été tirée au sort" à la fin d'une instruction "à trous", sur la base de "la téléphonie" – 475 échanges et 22 rencontres pendant la période préparatoire des attentats. "On nous fait des échelles du nombre de communications. Et en fonction, on va dire : 'plus ou moins grande proximité', 'plus ou moins au courant'. Sans même connaître les contenus des échanges. Il n'y a rien", martèle l'avocate. 

Des "trous noirs" dans une "procédure obèse"

La pénaliste pointe un premier "trou noir" dans "cette procédure obèse" : les armes. L'enquête l'a établi : "toutes les armes détenues par Amedy Coulibaly ont été fournies par monsieur Claude Hermant", un trafiquant d'armes lillois, indic à ses heures et figure de l'extrême droite locale. L'homme a été jugé et condamné à Lille en correctionnelle, puisque, comme l'a soutenu le Parquet national antiterroriste pendant son réquisitoire, il n'y avait "pas le moindre élément pour prouver qu'il connaissait la destination finale des armes". "On nous dit : 'Circulez, y a rien à voir, c'est jugé.' C'est un scandale", s'offusque Isabelle Coutant-Peyre, estimant que rien ne prouve non plus qu'Ali Riza Polat ait servi d'intermédiaire.

L'avocate de la défense évoque aussi ce sac d'armes qui aurait transité entre son client et les accusés du volet belgo-ardennais. "Des armes ont été jetées dans la rivière, d'autres vendues…" Quant à la liste d'armes retrouvée chez le Belge Metin Karasular, qu'Ali Riza Polat a finalement reconnu avoir écrite à l'audience, "il n'y a aucune concordance" avec "les armes des terroristes", soutient son conseil.  

Second "trou noir" : les commanditaires des attentats. Isabelle Coutant-Peyre fait notamment allusion à l'arrestation du jihadiste Peter Chérif, fin 2018 à Djibouti. Ce Français de 38 ans est soupçonné d'avoir dirigé les frères Kouachi depuis le Yémen. Il est mis en examen dans le cadre d'une procédure disjointe, qui devrait aboutir à un autre procès.

"Les commanditaires, c'est le cosmos. Quand on les trouvera, on fera un procès et les gens qui auront été condamnés entre-temps, on se dira que c'est une erreur judiciaire."

Isabelle Coutant-Peyre, avocate d'Ali Riza Polat

lors de sa plaidoirie

Son confrère, Me Antoine Van Rie, a pris le relais pour continuer à déconstruire "l'image" d'un Ali Riza Polat "bras droit" d'Amedy Coulibaly. Sa tentative de fuite après les attentats en est un parfait contre-exemple, selon l'avocat. Ce délinquant chevronné originaire de Grigny a tenté de rejoindre la Syrie depuis le Liban avant de se faire refouler, puis a décollé vers la Thaïlande depuis la Belgique avant de rebrousser chemin quelques jours plus tard. "On l'a présenté comme le cerveau, le superbe tacticien. Et là, il devient le pire des pieds nickelés." Alors que l'accusation y voit une tentative de rejoindre l'Etat islamique, la défense interprète cela comme "la panique d'un débutant", qui va jusqu'à "demander à sa mère de retirer 800 euros pour un billet d'avion". "Les trois accusés jugés par défaut – Hayat Boumeddiene et les frères Belhoucine –, eux, ne sont pas là, ils sont partis bien avant ces attentats", souligne Me Antoine Van Rie. 

"Le doute doit profiter à l'accusé"

L'avocat s'est ensuite appliqué à détricoter le profil d'un Ali Riza Polat radicalisé depuis sa conversion à l'islam au printemps 2014. Des photos en lien avec le jihad, un drapeau de l'EI ou de combattants sur zone, ont été retrouvées dans sa tablette, comme l'ont rappelé les avocats généraux lors de leur réquisitoire, y voyant un "intérêt pour l'idéologie islamiste radicale violente". La consultation de ces images ne peut être datée. "Il explique avoir consulté les profils Twitter de journalistes après les événements de janvier. Est-ce possible ? Oui", fait valoir Me Antoine Van Rie, précisant que sur les 16 000 photos contenues dans la tablette, "86 pourraient être en lien avec le terrorisme", soit "0,51% du contenu qui ferait de monsieur Polat un terroriste".

L'avocat cite également le rapport du Quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), établi au sujet d'Ali Riza Polat pendant sa détention. Il ne relève "aucune adhésion à une idéologie salafo-jihadiste" chez l'intéressé, qui "ne présente aucune imprégnation idéologique radicale. Il n'esquive aucune question, ne se revendique pas des takfiristes (des extrémistes islamistes adeptes d'une idéologie violente)". Surtout, sa personnalité et son "fort entêtement" le rendent "peu perméable à un embrigadement idéologique", souligne encore ce rapport, qui note un "discours porteur d'ouverture et de tolérance puisé dans les valeurs familiales". Ali Riza Polat pratiquerait-il la taqiya, qui consiste à dissimuler sa foi ? Un argument balayé par le pénaliste.

"Monsieur Polat est un dissimulateur, nous dit-on. Il ment trop bien, il cherche même à retarder la fin du procès. Quoi qu'il fasse, on lui reproche tout. Monsieur Polat a le Covid ? Il vomit ? C'est la thèse de la taqiya."

Me Antoine Van Rie, avocat d'Ali Rizat Polat

lors de sa plaidoirie

Dans une pirouette, la défense reprend à son compte les mots de la partie civile : "Me Malka [l'avocat de Charlie Hebdo] vous a demandé de faire primer le droit sur la force. Aujourd'hui, donnez-lui raison, appliquez le droit. On ne peut pas condamner un homme sur des hypothèses et il reste de nombreux doutes dans ce dossier. Le doute doit profiter à l'accusé", plaide Antoine Van Rie. Son confrère cité quitte la salle, suivi par d'autres avocats des parties civiles, quand Isabelle Coutant-Peyre reprend la parole pour finir et cite "l'affaire Dreyfus". Ignorant les mouvements dans son dos, elle enjoint les magistrats de la cour d'assises spéciale qui lui font face : "Prenez les responsabilités que l'Etat n'a pas prises, à savoir une bonne justice. Je vous demande évidemment l'acquittement." Le verdict sera rendu mercredi 16 décembre.

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