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Procès des attentats de janvier 2015 : de lourdes peines réclamées par l'accusation malgré les "zones d'ombre" qui persistent

Au terme d'un long réquisitoire qui s'est étalé sur deux jours, les avocats généraux ont réclamé entre cinq ans de prison et la perpétuité contre les 14 accusés.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Les avocats généraux Julie Holveck et Jean-Michel Bourlès lors d'une audience au procès des attentats de janvier 2015, à la cour d'assises spéciale de Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Leur démonstration à deux voix a duré un jour et demi. Tour à tour, les avocats généraux Julie Holveck et Jean-Michel Bourlès se sont levés pour reprendre point par point les charges qui pèsent contre les 14 accusés du procès des attentats de janvier 2015, lundi 7 et mardi 8 décembre. Au terme d'un long réquisitoire "ferme", technique et très détaillé, ils ont réclamé entre cinq ans de prison et la réclusion criminelle à perpétuité contre les 11 hommes qui ont comparu devant la cour d'assises spécialement composée et les trois absents du box, Hayat Boumeddiene et les frères Belhoucine, partis en Syrie juste après les attentats.

"Il y a des procès, plus que d'autres, qui font trembler la voix, qui font que le cœur se serre, des témoignages qui nous font écraser des larmes derrière un masque", a déclaré en préambule Julie Holveck. Se gardant de tomber dans "l'émotion" pour "mener cette procédure jusqu'au bout, les mains dans le droit", la magistrate du Parquet national antiterroriste a pourtant laissé transparaître la sienne. Elle était de permanence ce matin du 7 janvier 2015. Dépêchée sur place, elle se souvient de ce "kaléidoscope fou", de "ces scènes terribles, cet amoncellement des corps dans cette salle de rédaction si petite", "cette odeur de sang mêlée" à celle de la "poudre".

Un "rendez-vous" avec la grande histoire et la petite

Pour l'avocate générale, ce n'est pas cet "interminable" procès, suspendu pendant un mois par la pandémie de Covid-19, qui est "historique", mais les faits eux-mêmes. Un "rendez-vous" avec la grande histoire et la "petite", "intime".

"Chacun sait ce qu'il faisait ce 7 janvier 2015, un événement disruptif dans le parcours de chacun, comme un tremblement de terre dont nous avons senti les dernières répliques à trois reprises pendant ce procès."

Julie Holveck, avocate générale

lors du réquisitoire

Trois attentats, dont deux en lien avec les caricatures du prophète, ont eu lieu pendant ces deux mois et demi d'audience. Mais "de l'horreur de ces faits, on doit s'en extraire" lorsque "nous revêtons cette robe de magistrat, a souligné la représentante du ministère public. Une victime voudrait qu'on juge les faits tels qu'elle les a vécus dans sa chair, mais nous jugeons des hommes." Ces hommes ne sont pas les auteurs des attentats mais "les complices et soutiens logistiques" de ce "trio infernal". Et "il n'est pas question de faire payer aux vivants les fautes des morts" mais de les "punir" "pour leurs fautes qui ont permis aux morts de tuer sur leur passage".

Comment "tendre vers la juste peine" dans un dossier à trous, dont certains morceaux du puzzle manquent toujours après plusieurs semaines de débats ? L'accusation assume "les zones d'ombre", les "angles morts de la procédure" sur la fourniture des armes aux terroristes ou les commanditaires des frères Kouachi. Les victimes "auraient souhaité que ce box soit plus rempli, qu'elles n'aient pas à subir une deuxième procédure", a reconnu Julie Holveck, évoquant l'interpellation tardive du jihadiste Peter Cherif, dont le silence obstiné a résonné dans la salle d'audience fin octobre.

Des tâtonnements liés aux "mensonges" des accusés

Mais pour le parquet, ces tâtonnements de la justice sont avant tout dus à l'attitude des accusés et "leur prétendue cécité". "Ils ont droit de mentir et de se taire, c'est à nous d'en tirer les conséquences", a prévenu Julie Holveck. Avec son confrère Jean-Michel Bourles, elle s'est attachée à déconstruire "brique par brique" le "mur tissé de mensonges, d'amnésie et d'approximations” dressé par les accusés présents dans le box. Principal outil de cette entreprise de démolition : la téléphonie, pierre angulaire du dossier.

"Ils sont la cheville ouvrière, la base arrière de ce projet, de la petite main à l'homme de main, du lieutenant au commandant, de la petite frappe au voyou patenté, du fou de dieu à l'opportuniste cynique, de l'homme de base besogne à l'homme aux desseins violents."

Julie Holveck, avocate générale

lors du réquisitoire

Avant d'égrener avec force détails les éléments à charge destinés à convaincre leurs pairs, et non des jurés, les deux magistrats ont pris soin de rappeler les "enjeux juridiques" de "l'association de malfaiteur terroriste criminelle" (AMT), qui fait encourir vingt ans de réclusion à la majorité des accusés. Les représentants de l'accusation ont retenu la jurisprudence la plus sévère, et la plus discutée, celle de du 7 février 2018. Cet arrêt de la Cour de cassation estime qu'il n'est pas nécessaire de démontrer l'adhésion à l'idéologie jihadiste de la personne poursuivie mais seulement son degré de connaissance du "but terroriste" de l'organisation à laquelle elle a appartenu. Ce qui revient à répondre à cette question : les accusés savaient-ils qu'Amedy Coulibaly et les frères Kouachi étaient "engagés dans une idéologie jihadiste" ?

Pour les trois accusés absents, la réponse ne fait guère débat. Hayat Boumeddiene "a eu un rôle important dans la préparation des crimes de son mari" et "a été sciemment rejoindre les rangs de l'Etat islamique", dont elle "partageait l'idéologie mortifère", estime Jean-Michel Bourlès. Le parquet a requis trente ans de réclusion, assortis d’une période de sûreté des deux tiers, contre la jeune femme, qui était aussi poursuivie pour financement du terrorisme. S'agissant des frères Mohamed et Medhi Belhoucine, dont la mort alléguée n'a pas pu être confirmée, "ils permettent" à Amedy Coulibaly de commettre les attentats en "prenant en charge sa compagne" en Syrie. Vingt années de réclusion, également assorties d'une période de sûreté des deux tiers, ont été requises contre le plus jeune et la perpétuité assortie de vingt-deux ans de sûreté, contre l'aîné, poursuivi pour complicité de crimes terroristes pour avoir été le mentor religieux et idéologique du terroriste.

Une seule demande de requalification

Cette connaissance des projets criminels d'Amedy Coulibaly est moins évidente pour les autres accusés qui gravitaient autour de l'ancien caïd de la cité de Grigny, longtemps connu pour ses braquages. A l'exception de Christophe Raumel, le seul à être poursuivi pour simple association de malfaiteurs et à comparaître libre, et contre lequel cinq années de prison ont été requises sur les dix encourues, les avocats généraux se sont appliqués à démontrer que les autres ne pouvaient ignorer l'antisémitisme et le fondamentalisme religieux de leur ami ou ex-codétenu "Dolly". Pas plus que sa condamnation en 2013 dans le dossier d'évasion de l'artificier des attentats de 1995, Smain Aït Ali Belkacem.

Seul Mohamed-Amine Fares a bénéficié des "doutes" des magistrats sur ce point. Ils ont demandé la requalification en simple "association de malfaiteurs" et requis sept ans à son encontre avec une période de sûreté des deux tiers "au vu du risque de réitération" de cet accusé "au parcours délinquantiel multi-cartes". 

Pour l'accusation, il ne fait en revanche aucun doute que Willy Prévost, le binôme Amar Ramdani-Saïd Makhlouf et Nezar Mickaël Pastor Alwatik étaient au courant de "l'adhésion" d'Amedy Coulibaly aux "thèses jihadistes" lorsqu'il lui ont apporté un soutien logistique pour du matériel, des véhicules ou des armes. Et ce, même si on ignore toujours comment ces armes ont transité du trafiquant lillois Claude Hermant – qui ne "connaissait pas la destination finale des armes", assure le parquet –, au terroriste. Dix-huit et dix-sept ans de réclusion, assortis d'une période de sûreté des deux tiers, ont été respectivement requis pour Willy Prévost et Amar Ramdani, qui représentent le "spectre haut de l'association de malfaiteurs terroriste criminelle". Le ministère public a été plus clément avec Saïd Makhlouf et a requis treize ans à son encontre, sans période de sûreté "au vu de son ancrage professionnel, gage de sa réinsertion future".

Il a eu en revanche la main plus lourde pour Nezar Mickaël Pastor Alwatik, dont le parcours fait apparaître de "nombreux éléments circonstanciés" sur "son engagement jihadiste", et demandé vingt ans de réclusion assortis d'une période de sûreté des deux tiers. Julie Holveck a dépeint "un authentique sympathisant de la cause au moment des attentats, cornaqué par Amedy Coulibaly et Mohamed Belhoucine." "Etait-il une nourrice pour les armes, devait-il passer à l’acte et a-t-il renoncé ?" Pour les magistrats, sa "dangerosité est avérée".

"Votre décision sera regardée"

Concernant les quatre accusés de l'autre côté du box, qui appartiennent au volet belgo-ardennais du dossier, les avocats généraux estiment que "malgré les interrogations" qui subsistent sur le rôle de ce quatuor singulier dans la préparation des attentats, "des certitudes se dégagent", avec "a minima des recherches d'armes" pour Amedy Coulibaly et les frères Kouachi. "Des démarches suffisantes" pour caractériser l'"AMT" criminelle et requérir dix-huit années de réclusion contre Abdelazziz Abbad, quinze années contre Miguel Martinez, Metin Karasular et Michel Catino, demandant pour chacun une période de sûreté des deux tiers. L'âge de Michel Catino, 68 ans, et son addiction sévère aux jeux n'ont pas amoindri la peine réclamée. 

Quant à Ali Riza Polat, le principal accusé dans le box, les avocats généraux n'ont pas mâché leurs mots pour décrire un accusé "manipulateur", qui "surjoue l'homme assoiffé d'argent pour masquer la réalité profonde". "Le réduire à son caractère volcanique et incontrôlé serait une grave erreur, a averti Jean-Michel Bourlès. Il se sert de ses tempêtes pour éviter de répondre aux questions gênantes et perdre son auditoire" dans ses "raisonnements obsessionnels". Derrière ce "personnage pittoresque de l'escroc de banlieue et du délinquant couteau suisse" se cache en réalité, selon l'accusation, un homme qui s'est radicalisé au côté d'Amedy Coulibaly et qui a joué un rôle "transversal" et "pivot" dans la préparation des attentats, avant de chercher à rejoindre la Syrie. Comme pour Mohamed Belhoucine, le maximum de la peine encourue pour "complicité de crimes terroristes" a été requis : la perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de vingt-deux ans, "au vu du peu de gages de réinsertion" pour cet homme dont le seul "horizon" est le "grand banditisme". 

"Je sais que votre plume ne tremblera pas dans le secret du délibéré", a lancé Julie Holveck à l'adresse des magistrats professionnels de la cour d'assises spéciale. "Vous rendrez votre décision au nom du peuple français. Elle sera scrutée, soupesée, regardée à la loupe et servira d'étalon". Le verdict devrait être rendu mercredi 16 décembre, après les plaidoiries de la défense. 

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