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Procès des attentats de janvier 2015 : l'envers du décor raconté par nos envoyées spéciales

Deux journalistes de franceinfo ont suivi ce procès historique pendant trois mois. Entre protocole de sécurité et Covid-19, larmes et lapsus, elles décrivent les coulisses, parfois inattendues, d’une audience hors norme.

Article rédigé par Catherine Fournier, Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des caméras installées devant l'entrée de la salle d'audience de la cour d'assises spécialement composée pour le procès des attentats de janvier 2015, au tribunal judiciaire de Paris, le 9 septembre 2020.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Une page se tourne. Le verdict a été rendu, mercredi 16 décembre, dans le procès historique des attentats de janvier 2015. Nous avons bien cru que ce paquebot qu'on appelle la cour d'assises n'arriverait pas à bon port, tant la tempête l'a secoué pendant trois mois : le Covid-19 est venu contaminer et suspendre les débats pendant un mois, l'hydre terroriste s'est réveillée à l'occasion de la republication des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo. Mais avec persévérance, le temps judiciaire a suivi son cours et s'est acheminé vers une décision accueillie dans le calme.

Avant de refermer ce chapitre, voici tout ce qu'il n'y a pas dans nos notes. Tout ce qui a existé au-delà de nos comptes rendus. Tous ces à-côtés, tous ces instants, qui ont fait de ces 54 jours d'audience une séquence hors norme.

Masques sous le menton

Il y a d'abord ce protocole de sécurité renforcé et le sentiment de passer plusieurs fois par jour les contrôles d'une zone d'embarquement à l'aéroport pour accéder à la salle d'audience. Les sacs ouverts dix fois de suite, la gourde confisquée, puis définitivement oubliée, les détecteurs de métaux qui parcourent votre silhouette, les bras en croix. Et puis ces policiers et ces agents de sécurité qui finissent par nous reconnaître à force de nous croiser, de décliner notre identité et le nom de notre média.

Il y a les visages en sueur sous les masques les premiers jours du procès, qui s'ouvre en plein été indien. Il y a la surprise de découvrir la figure d'un accusé, d'un magistrat, d'un avocat ou d'un collègue, quand le morceau de tissu glisse sous le menton.

Il y a tous les lapsus ou les noms écorchés pendant l'audience, le président qui rebaptise le dessinateur Stéphane Charbonnier (Charb) "François", avant de s'en excuser. Les frères Kouachi dénommés "Chouaki" par l'avocate du principal accusé, Isabelle Coutant-Peyre. Le "Mohamed Merah" de l'avocat général Jean-Michel Bourlès pour évoquer le policier assassiné Ahmed Merabet – il s'en est lui aussi excusé. Mais aussi notre propre confusion dans un tweet entre l'accusé Michel Catino et le propriétaire de l'imprimerie Michel Catalano.

Les petits cavaliers jaunes

Il y a tous ces cafés que l'on a renoncés à prendre – et les discussions qui vont avec et nourrissent parfois la réflexion  pour éviter de repasser tous les contrôles et perdre une place durement acquise dans cette salle d'audience principale qui ne compte que 18, puis 15 places pour les journalistes, distanciation sociale oblige.

Il y a cette infinie tristesse qui se dégage d'une victime, sur le banc des parties civiles. Puis son témoignage combatif à la barre. Il y a cette colère qui transpire chez une autre et sa grande fragilité quand vient l'heure de raconter.

Il y a ces petits cavaliers jaunes qui parsèment la scène de crime dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo : ce sont sur eux que notre attention s'est fixée pendant la projection des images pour tenter d'éviter de voir le reste... sans y échapper. L'horreur des corps enchevêtrés, visages contre terre, restera dans nos mémoires.

Il y a ce déjeuner avec l'avocate Isabelle Coutant-Peyre, dans l'idée de réaliser un portrait. Son menu frugal – camembert-Chardonnay , ses cigarillos avec un "briquet corse qui ne marche pas", et ses problèmes d'inondations, pendant le premier confinement : "Le monde pourrait se passer d'avocats, pas de plombiers."

Panne de micro et bruits de travaux

Il y a les problèmes de son dans les deux salles d'audience dédiées à la retransmission, où les débats deviennent soudain muets, provoquant des soupirs bruyants et un appel paniqué au greffe de la salle principale. Les minutes qui s'écoulent pendant que le problème technique tente d'être résolu, cet interrogatoire de personnalité écourté après une énième panne de micro.

Il y a la visioconférence et sa petite musique d'ascenseur quand la cour essaie de joindre un témoin qui ne répond pas. Et le bruit des travaux qui couvre la voix de cet expert psychologue, qui persiste à exposer son rapport face à la caméra malgré le vacarme. Il y a aussi les longues sonneries qui retentissent dans le vide avant d'établir, enfin, le contact avec le jihadiste Peter Chérif depuis sa prison. Et puis son silence pesant.

Il y a ce malaise ressenti à chaque fois que les journalistes ont été pointés du doigt. Parce qu'en janvier 2015, plusieurs rédactions ont appelé en direct les terroristes présents dans l'Hyper Cacher et dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële. Parce que des médias ont donné des détails à l'antenne sur les otages cachés. Parce que des reporters ont assailli Lilian, à peine sorti du meuble étriqué dans lequel il s'est réfugié plusieurs heures à l'imprimerie, et que cela a alourdi son traumatisme. Parce que des chaînes de télévision ont diffusé la vidéo de l'assassinat du policier Ahmed Merabet.

"Des inondations partout"

Il y a l'entrée des accusés dans le prétoire. Ceux du box vitré de droite – le volet belgo-ardennais  traversent la cour, menottés. Un va-et-vient impressionnant qui devient familier, chaque matin. Il y a ce drôle de duo, une policière cagoulée, toute petite, qui tient par les poignets cet accusé beaucoup plus grand, Miguel Martinez. Le même accusé qui fait bouger ses sourcils, pendant qu'une déposition s'éternise, pour faire rire deux co-accusés dans le box d'en face, Amar Ramdani et Saïd Makhlouf, soupçonnés d'avoir contribué à fournir les armes qui se sont retrouvées dans les mains du terroriste Amedy Coulibaly.

Il y a ce tic de langage du président de la cour, Régis de Jorna, "je dirais". S'il n'a pas toujours brillé par sa prise en main des débats pendant certains interrogatoires ou témoignages, sa police de l'audience et sa patience ont su mener à terme ce procès et gérer le tempérament éruptif d'Ali Riza Polat, le principal accusé renvoyé et condamné à 30 ans de réclusion pour "complicité d'actes terroristes". Cet homme de 35 ans, citant les cotes du dossier, PV en main, a régulièrement interrompu l'audience, menaçant témoins et co-accusés à coups de "tu vas le payer" ou "je vais tout balancer".

Il y a le cahier de notes perdu par Isabelle Coutant-Peyre, qui peste contre le manque de place pour ranger ses affaires dans ce tribunal qui a coûté "trois milliards" d'euros et où "il y a des inondations partout" (encore). 

Pâles figures anonymes

Il y a les larmes de cette avocate des parties civiles dans les couloirs alors qu'une attaque à la machette vient d'être menée devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. L'école de ses enfants vient de l'appeler, ils sont confinés. Elle sanglote : "Ça recommence !" Près d'un mois plus tard, il y a nos propres larmes sur le trajet du retour, en regardant la vidéo de la cérémonie d'hommage à l'enseignant Samuel Paty, sur l'air de One de U2. Il y a le vertige de voir se télescoper les faits jugés, qui remontent à cinq ans, et l'actualité, rattrapée par le terrorisme.

Il y a nos live-tweets moins suivis et les articles de franceinfo moins lus pendant les trois semaines d'interrogatoires : ces pâles figures anonymes dans le box, des "stupeux" et "délinquants d'habitude", ne sont pas les auteurs directs des attentats. Les accusés les plus médiatiques sont absents : Hayat Boumeddiene est en Syrie et les frères Belhoucine sont donnés pour morts sur place.

Il y a tous les mails et messages échangés entre le Parquet national antiterroriste, les avocats et les journalistes après la contamination au Covid-19 de trois accusés, dont Ali Riza Polat, en peine plaidoiries des parties civiles. Et les plannings en pièce jointe qui ne cessent de changer, les dates de reprise qui ne cessent d'être repoussées. Et l'inquiétude qui grandit de part et d'autre.

Derniers échanges de regards

Il y a ce retour au tribunal début décembre, après avoir reçu un énième mail indiquant qu'Ali Riza Polat était finalement en état de comparaître. Et puis l'anxiété de le voir cracher dans une bassine à ses pieds puisqu'il refuse de prendre un traitement anti-vomitif. Le découragement quand l'audience est de nouveau brièvement suspendue.

Il y a l'attente, fébrile, le dernier jour, plusieurs heures avant le verdict. Les derniers contrôles de sécurité, les derniers échanges de regards avec certaines victimes et même certains accusés. Il y a la voix du président qui énonce la décision judiciaire et les motivations de la cour dans un silence de cathédrale. Les peines plus légères qu'attendues pour certains, plus lourdes pour d'autres, qui se prennent la tête dans les mains. Il y a la sensation et l'émotion, enfin, d'avoir participé à l'écriture d'une page de l'histoire judiciaire, en mettant le point final et en refermant l'ordinateur. Il y a la certitude qu'il faudra bientôt le rouvrir pour écrire la suite, avec les autres procès d'attentats terroristes à venir.

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