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Au procès des attentats de janvier 2015, la veuve du recruteur d'Amedy Coulibaly raconte la vie sous l'Etat islamique

Cette revenante, interpellée et placée en détention provisoire en janvier, a apporté des informations intéressantes à la cour d'assises spéciale de Paris, vendredi. Elle assure notamment avoir croisé à plusieurs reprises Hayat Boumeddiene.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Sonia M., entendue comme témoin devant la cour d'assises spéciale de Paris, au procès des attentats de janvier 2015, le 23 octobre 2020.  (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Elle parle pour les absents. Ceux qui manquent à l'appel au procès des attentats de janvier 2015. Sonia M., jihadiste française âgée de 31 ans, a été entendue comme témoin devant la cour d'assises spéciale de Paris, vendredi 23 octobre. Cette revenante, interpellée à son retour de Syrie en janvier 2020, a des informations importantes à livrer sur Hayat Boumeddiene et les frères Belhoucine, trois accusés jugés par défaut dans ce procès. Elle désigne aussi son premier mari, Abdelnasser Benyoucef, comme l'un des commanditaires des attentats de Montrouge et de l'Hyper Cacher.

Sonia M., poursuivie pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, témoigne en visioconférence depuis la maison d'arrêt où elle a été placée en détention provisoire. Les mains posées sur la table, la jeune femme semble disposée à répondre aux questions du président Régis de Jorna. Son récit replonge la cour six ans plus tôt, quand des Français commençaient à rejoindre le califat du groupe Etat islamique tout juste autoproclamé. Pour justifier son départ en septembre 2014, Sonia M. évoque "un manque de confiance", un contexte familial compliqué entre un père tunisien "traditionaliste" et une mère française, et "une mauvaise rencontre".

Son mari a recruté Amedy Coulibaly et Sid Ahmed Ghlam

L'homme à l'origine de son embrigadement éclair, selon elle, travaillait dans sa sandwicherie. "C'est tout à fait du genre de monsieur Sefrioui, c'est exactement la même chose", lâche Sonia M., qui suit visiblement l'actualité depuis sa prison puisqu'elle fait allusion au militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, mis en examen pour "complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste" dans l'enquête sur le meurtre de Samuel Paty.

La suite se déroule à Raqqa, fief de l'EI en Syrie. Sonia M. y est mariée avec Abdelnasser Benyoucef, un Algérien passé par la France, qui occupe de hautes fonctions au sein de l'organisation. Son épouse religieuse n'en sait rien "au début". Elle s'occupe de leurs deux enfants. "J'étais à la place de la femme de maison, je devais faire le ménage, à manger, à chaque fois que je posais de questions, il me demandait de me taire", détaille-t-elle. Elle sait, en revanche, qui il fréquente : son voisin Boubaker El Hakim, un Franco-Tunisien qui a revendiqué l'assassinat en 2013 des opposants laïques tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Un jour, Abdelnasser Benyoucef rentre "énervé". "Il a eu un gros problème avec ses supérieurs et donc il m'a parlé, raconte la témoin. Il m'a dit qu'il s'était occupé de recruter Amedy Coulibaly et Sid Ahmed Ghlam". Ce dernier projetait d'attaquer une église à Villejuif et son procès se déroule en ce moment dans une autre salle du tribunal de Paris. La jeune femme évoque aussi "un attentat raté en Belgique". S'agit-il de la cellule Verviers, démantelée en janvier 2015 à Bruxelles ? Visait-elle la France ou la Belgique, demande Me Samia Maktouf pour la partie civile ?

Daech veut cibler l'Europe. Ce qu'ils haïssent, c'est la liberté, et ils veulent venger le fait qu'il y ait des bombardements de la coalition.

Sonia M., témoin

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Comme un salarié qui changerait de poste parce qu'il en "a marre" et a "envie de faire autre chose", Abdelnasser Benyoucef quitte ses fonctions d'émir des opérations extérieures et se retrouve sur le champ de bataille. Selon Sonia M., il meurt le 30 mars 2016 lors d'un combat contre l'armée syrienne. Elle se remarie avec un autre membre de l'EI, "juste un soldat", avec lequel elle a un autre enfant. Avec la guerre et les bombardements, les conditions de vie se dégradent. Les familles de jihadistes, logées dans des maisons individuelles au début du califat, sont obligées de partager une habitation. "Un peu avant" de rejoindre Baghouz, le dernier bastion de Daech, Sonia M. vit ainsi avec Hayat Boumeddiene et deux épouses de Mohamed Belhoucine.

Hayat Boumeddiene toujours "engagée"

Selon la témoin, Hayat Boumeddiene, la compagne d'Amedy Coulibaly, remariée, est toujours "très engagée et militante". "Elle avait écrit à tous les moudjahidines, les soldats de Daech, une lettre d'encouragement, les appelant à ne pas renoncer, à être sincères", poursuit-elle.

Hayat Boumeddiene disait souvent que Coulibaly et les frères Kouachi avaient voulu faire cet attentat ensemble pour créer une cohésion entre Daesh et Al-Qaïda.

Sonia M., témoin

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Quant aux frères Belhoucine, la jihadiste repentie signale spontanément à la cour avoir entendu parler de leur décès. "Celui qu'on voit en photo à l'aéroport" avec Hayat Boumeddiene, Mehdi Belhoucine, "est décédé dès le départ dans un combat en Irak". Mohamed Belhoucine, considéré comme l'un des principaux complices d'Amedy Coulibaly, n'a "pas eu besoin de faire le parcours normal pour tout combattant qui arrive à Daech (un passage par un camp d'entraînement) m'a dit sa femme", précise Sonia M.

Le couple, parti avec leur petit garçon, a eu trois autres enfants sur place, dont des jumeaux. "Tous ont été déclarés morts à Baghouz lors d'un bombardement", croit savoir la revenante, sans préciser la date. Sonia M. fuit la ville en ruines avec ses trois enfants, laissant son second mari sur place au printemps 2019. "J'ai appris par l'instruction qu'il était toujours vivant et incarcéré chez les Kurdes." Elle rejoint l'immense camp de réfugiés d'Al-Hol, où elle recroise "à plusieurs reprises", jusqu'en octobre de la même année, Hayat Boumeddiene. Ensuite, "elle s'est enfuie du camp".

Sonia M. parvient à regagner Istanbul, grâce aux "20 000 dollars" envoyés par un contact en France transmis par son mari. Elle retrace brièvement le chemin, "cachés", jusqu'à Idlib, le passage de la frontière "par le mur", la "succession de passeurs" pour anticiper les contrôles de police jusqu'à la ville turque. Pourquoi a-t-elle voulu rentrer en France ? La trentenaire répète ce qu'elle a dit au juge en juillet 2020. "Les viols" de son premier mari, qui lui "faisait des choses interdites dans l'islam". Et "je n'adhérais pas à l'esclavage des yézidis, je n'adhérais pas non plus aux attentats".

Pour moi, ce n'était pas normal que des personnes qui n'ont rien fait payent pour des choses en Syrie. Mais si vous montrez que vous êtes contre eux, vous risquez la mort, donc vous cachez.

Sonia M., témoin

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Avant la fin de son témoignage, Sonia M. tient à "faire passer un message" aux journalistes de Charlie Hebdo, dont plusieurs rescapés sont présents dans la salle d'audience : "C'est important que vous continuiez, car c'est vraiment ce qu'ils détestent. Je pense aux familles des victimes, je vous recommande, ne lâchez pas. Eux, c'est ce qu'ils veulent, créer un malaise dans la société. Vous représentez la liberté et c'est ce qu'ils détestent le plus, alors ne lâchez pas surtout", insiste-t-elle. "La cour a entendu votre message", conclut le président avant l'extinction de l'écran.

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