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La "peine de probation" voulue par Christiane Taubira : laxiste ou réaliste ?

La droite est vent debout contre cette peine qui pourrait éviter à certains délinquants d'aller en prison. Décryptage de cette mesure phare de la future réforme pénale.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, le 24 août 2013 à l'université d'été du PS, à La Rochelle (Charente-Maritime). (ALAIN JOCARD / AFP)

Le débat a éclaté au creux de l'été avant de rebondir, samedi 24 août, à l'université d'été de La Rochelle (Charente-Maritime), théâtre d'un duel feutré entre Christiane Taubira et Manuel Valls. La peine de probation, mesure alternative à la prison contenue dans le projet de réforme pénale porté par la ministre de la Justice, doit permettre d'en finir avec le "tout-carcéral" et de lutter contre la récidive.

Cette peine de probation, aussi appelée "contrainte pénale", concernerait uniquement les délits passibles de cinq ans de prison ou moins (exemple : vol, violences, dégradations de biens, homicide involontaire sans circonstances aggravantes, etc.). Les juges auraient le choix de la prononcer plutôt que de délivrer une peine de prison ferme. La peine de probation prendrait la forme d'une peine "restrictive de liberté en milieu ouvert", selon les mots de la garde des Sceaux. Pour l'ex-ministre UMP Rachida Dati, "la gauche ne sait plus quoi inventer pour éviter la prison aux voyous". Efficacité ou laxisme ? Décryptage.

La prison, génératrice de récidive

Les études sont formelles. La prison n'est pas efficace pour lutter contre la récidive. Pire, elle aggraverait même le problème, faisant côtoyer entre ses murs primo-délinquants et vrais caïds. Pour certains, la prison serait finalement une machine à fabriquer des délinquants.

Une étude (PDF), menée en 2011 par la direction de l'administration pénitentiaire sur un échantillon de 7 000 sortants de prison entre juin et décembre 2002, montre que les détenus ayant bénéficié d'une libération conditionnelle au cours de leur peine n'ont été que 39% à récidiver par la suite. Contre 63% chez ceux n'ayant bénéficié d'aucun aménagement de peine.

"L'emprisonnement ferme produit des taux de récidive plus élevés que les peines sans prison ; il en est de même des incarcérations longues comparées à de plus courtes", note dans une tribune au Monde (article payant) le sociologue Didier Fassin, relatant les résultats d'une étude internationale parue dans l'Annual Review of Law and Social Science. "Il est loisible à chacun de souhaiter plus d'emprisonnement ferme, y compris pour les courtes peines, mais ce ne saurait être ni sur des bases scientifiques ni pour l'intérêt général", tranche-t-il.

C'est sur la base de cette idée que la garde des Sceaux a bâti son projet de réforme qui, outre la peine de probation, prévoit un assouplissement des textes encadrant les libérations conditionnelles et la suppression des peines plancher pour les récidivistes.

Une opinion publique sceptique

Les réalités statistiques et les principes du droit ne correspondent pas toujours à la perception d'une opinion publique pour qui la prison doit rester la principale réponse à la délinquance. En mars, un sondage CSA publié dans Le Figaro montrait que 77% des Français (et 72% des sympathisants de gauche) se disaient "d'accord ou favorable au renforcement ou au maintien des peines plancher pour les récidivistes". Et 90% prêts à obliger "tous les condamnés à purger au minimum les trois quarts de leur peine de prison".

"Les Français ont du mal à comprendre le fonctionnement de la justice et pourquoi une personne condamnée à de la prison sait dès le départ qu'elle n'effectuera pas sa peine en totalité", explique à francetv info Jean-Daniel Lévy, de l'institut de sondages Harris Interactive. "Aujourd'hui, entre une protection de court terme et une construction sur le long terme, on cherche davantage à se mettre à l'abri sur le court-terme." Et donc à plébisciter l'enfermement, "dans un contexte global d'opinion davantage tournée vers la répression que vers la prévention", ajoute-t-il.

Et la droite promet de peser de tout son poids contre la réforme pénale. "Je lancerai, avec d'autres maires, dans les jours qui viennent, une pétition nationale pour mettre en échec Madame Taubira, afin qu'elle ne puisse plus nuire à l'équilibre de notre démocratie avec cette réforme pénale", a par exemple annoncé Christian Estrosi, député-maire de Nice, sur France 2. Non sans verser dans l'amalgame, puisqu'il évoque le cas du meutrier de Marignane alors que la peine de probation ne s'applique pas aux crimes.

Un dilemme politique pour François Hollande

Se montrer intraitable sur le plan de la sécurité, ou assumer une politique pénale moins sévère suggérée par les experts ? Outre le débat idéologique et pratique, cette ligne de fracture pose un problème politique à la majorité socialiste.

Contrairement à l'écrasante majorité des Français, la base militante du Parti socialiste, et plus encore les Verts, principal partenaire du PS, sont très sensibles aux arguments développés par Christiane Taubira. La ministre de la Justice a d'ailleurs été ovationnée samedi à La Rochelle, deux jours après avoir fait sensation devant les militants EELV réunis à Marseille. Problème : dans le même temps, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, tient un discours de fermeté aux antipodes qui plaît, cette fois, chez les cadres socialistes et les élus locaux. "Vous envoyez Valls me soutenir pour ma campagne, ça me fait gagner 1 000 voix, vous m'envoyez Taubira, ça m'en fait perdre 3 000", imagine un cadre du PS candidat aux municipales de 2014, interrogé par francetv info.

Le virage social-démocrate du PS, assumé et mis en œuvre par François Hollande, a laissé des traces à gauche. Le président de la République ne peut se permettre de laisser se former une nouvelle ligne de fracture, cette fois sur les questions sociétales. L'exécutif en a conscience. "La sécurité et la justice sont les deux fronts d’un combat unique. (...) Il n'y a pas deux approches, deux politiques, mais une seule ligne au sein du gouvernement que je conduis : celle de l'efficacité", a martelé Jean-Marc Ayrault dimanche à La Rochelle.

Le Premier ministre en a profité pour dévoiler une partie des arbitrages à venir sur la réforme pénale, qui devraient ainsi ménager la chèvre et le chou : "Plus de peines automatiques parce que la justice efficace repose sur le principe d'individualisation de la peine, mais plus de libérations automatiques non plus parce qu'il n'est pas responsable que 80% des sorties de prison se fassent sans mesures de suivi ni d'accompagnement."

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