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Outreau : l'article à lire pour comprendre la tenue d'un nouveau procès

Acquitté en appel à Paris en 2005, Daniel Legrand fils, âgé de 33 ans, est jugé à partir du 19 mai à Rennes pour des faits qu'il est accusé d'avoir commis alors qu'il était mineur.  

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
L'affaire Outreau examinée lors de la commission d'enquête parlementaire, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 14 mars 2006.  (JOEL SAGET / AFP)

"L'affaire Outreau" a de nouveau rendez-vous avec la justice. Daniel Legrand fils est jugé à partir du 19 mai devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, à Rennes, pour viols et agressions sexuelles en réunion sur les enfants Delay.

Aujourd'hui âgé de 33 ans, Daniel Legrand fait partie des treize acquittés de ce dossier de pédophilie, répertorié comme le plus grand fiasco judiciaire de ce début de XXIe siècle. Il comparaît pour des faits identiques, qu'il est accusé d'avoir commis avant sa majorité, entre 16 et 18 ans (entre 1997 et 1999). A ce jour, deux des quatre frères Delay sont partie civile, Jonathan et Chérif Delay. 

Francetv info résume les enjeux de cette nouvelle audience. 

L'affaire d'Outreau, c'est quoi déjà ?

Elle démarre en 2000 avec les révélations des enfants de Myriam Badaoui et Thierry Delay, un couple qui habite le quartier de la Tour du Renard, à Outreau (Pas-de-Calais). Placés en familles d'accueil à la demande de leur mère, en raison de la violence paternelle, ces quatre garçons (Chérif, Dimitri, Jonathan et Dylan) accusent leurs parents de les violer. "Papa me fait l'amour !", "maman a mis son devant dans ma bouche", lâche Dimitri, 8 ans, à sa "tata" (la mère de la famille d'accueil). 

Une enquête est ouverte, confiée à un juge d'instruction, Fabrice Burgaud, fraîchement diplômé et nommé à Boulogne-sur-Mer. Les enfants accusent plusieurs adultes, qui leur "ont fait des manières" moyennant de l'argent, et désignent d'autres enfants victimes. L'enquête s'oriente vers un réseau pédophile en France et en Belgique. Au total, 18 adultes sont arrêtés, dont ceux que la presse a surnommé "les notables" : un huissier, un chauffeur de taxi, un abbé... Myriam Badaoui ainsi que des voisins de palier, Aurélie Grenon et Thierry Delplanque, avouent rapidement avoir violé les enfants et mettent en cause tout le monde. Thierry Delay et les autres nient. Seul Daniel Legrand fils avoue un temps, avant de se rétracter.

Après plus de trois ans de détention provisoire pour certains et la mort en prison de l'un des mis en examen, François Mourmand, à cause d'une surdose de médicaments, dix-sept personnes comparaissent devant la cour d'assises de Saint-Omer en mai 2004. Sept sont acquittées, dix sont condamnées, dont Thierry Delay, Myriam Badaoui, Aurélie Grenon et David Delplanque, et douze enfants sont reconnus victimes. Six adultes, dont Daniel Legrand fils, font appel et sont acquittés à Paris le 1er décembre 2005. Ils reçoivent les excuses du président de la République, Jacques Chirac, qui évoque "un désastre judiciaire sans précédent".    

Les treize acquittés d'Outreau à la sortie du procès en appel à la cour d'assises de Paris, le 1er décembre 2005.  (  MAXPPP)

Et cette fois, qui est rejugé ?      

Daniel Legrand fils, le plus jeune des acquittés d'Outreau. Quand l'affaire éclate, en 2001, il n'a pas 20 ans. Il se prénomme comme son père, Daniel, ouvrier de profession. La famille habite Wimereux, à 10 km d'Outreau. Troisième d'une fratrie de cinq enfants, il se destine à une carrière de footballeur professionnel et peut se targuer d'avoir battu, avec son équipe des Aiglons de Boulogne-sur-Mer, un certain Franck Ribéry, qui jouait alors à l'USB.

Le 14 novembre 2001 au matin, il est arrêté avec son père. Il ne ressortira de prison que deux ans, six mois et onze jours plus tard. 

Daniel Legrand fils le 28 novembre 2006, à Wimille (Pas-de-Calais).  (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Comment Daniel Legrand est-il apparu dans le dossier ? 

Lorsque les enfants Delay se mettent à accuser plusieurs adultes, leurs familles d'accueil respectives se concertent et notent des noms. La "tata" de Dimitri retranscrit les déclarations de l'enfant. Sur la feuille, transmise à la justice, est écrit : "Dany legrand. en Belgique. on a était avec ma mère et mon père. il nous a fait des manières, ma mère lui a donné de l'argent. (sic)" A aucun moment il n'est établi que "Legrand" est le nom de l'homme en question et pas une caractéristique physique ("le grand").  

Les policiers belges informent leurs collègues français qu'un Daniel Legrand figure bien dans leurs fichiers : il a été brièvement arrêté à Mouscron pour une histoire de chéquier volé. Il habite à dix kilomètres d'Outreau et son père porte les mêmes nom et prénom. 

En août 2001, Myriam Badaoui confirme au juge que deux, et non pas un, Daniel Legrand ont "bien" violé ses enfants à Outreau et en Belgique, dans une ferme. Elle affirme que le père Legrand en est le propriétaire, qu'il possède aussi un sex-shop à Outreau et qu'il se livre avec Thierry Delay à un trafic d'enfants et de cassettes pédophiles.

Quel a été le parcours judiciaire de Daniel Legrand ?

Daniel Legrand fils est interpellé le 14 novembre 2001 au matin, avec son père, à la demande du juge Burgaud. Les deux hommes nient les faits qui leur sont reprochés. Mais selon Daniel Legrand fils, le juge Burgaud insiste. "Il m'a fait comprendre que si j'avouais, j'avais une chance de sortir [de prison]", explique-t-il au Monde. Le jeune homme se dit persécuté par les autres détenus en raison de sa réputation de "pointeur" (violeur). Le 19 décembre 2001, il passe aux aveux et reconnaît les faits. Le 2 janvier 2002, il va plus loin : il écrit une lettre au juge Burgaud et à France 3 où il décrit le meurtre d'une fillette en Belgique, auquel il aurait assisté.  

Le 19 février 2002, toujours incarcéré, il revient sur ses aveux. Devant le juge, il se dit innocent et explique avoir inventé ces histoires, ce "stratagème", pour sortir de prison et faire éclater au grand jour les mensonges de Myriam Badaoui. 

Sauf que celle-ci a confirmé, à grands renforts de détails sordides, le meurtre de la mystérieuse fillette, dont la disparition n'a jamais été signalée et dont le corps n'a jamais été retrouvé. Cette affaire, dissociée du premier volet, n'a rien donné. Selon Le Monde, un non lieu a été prononcé en 2007. 

Vue du quartier de la Tour du Renard, à Outreau (Pas-de-Calais), le 12 janvier 2002.  (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

L'enquête a démontré que Daniel Legrand père, ouvrier assidu et laborieux, n'était propriétaire ni d'un sex-shop ni d'une ferme en Belgique et encore moins à la tête d'un réseau pédophile international. Son seul lien éventuel avec les Delay est qu'il a rénové les balcons de la Tour du Renard, à Outreau, dans le cadre d'un chantier. Il a été acquitté en première instance.

Daniel Legrand fils, lui non plus, n'était pas connu dans le quartier de la Tour du Renard. Il a néanmoins été condamné à Saint-Omer, en 2004, car ses aveux initiaux ont pesé lourd.

Myriam Badaoui au procès de Saint-Omer (Pas-de-Calais), le 8 juin 2004.  (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Mais alors, on va refaire le même procès ? 

Daniel Legrand fils est en effet jugé pour les mêmes faits, qui auraient été commis lorsqu'il était mineur. En 2003, il avait été renvoyé devant deux juridictions : devant une cour d'assises pour une période postérieure à ses 18 ans (juillet 1999-mai 2000) et devant une cour d'assises des mineurs pour une période antérieure, qui commence à l'âge de ses 16 ans (juillet 1997). Il n'a été acquitté que pour la période où il était majeur.

"On va poser les mêmes questions et refaire le match", déplore l'un de ses six avocats, Julien Delarue. A la barre devraient défiler comme témoins les treize acquittés, les quatre condamnés, et même le juge Fabrice Burgaud. 

Le juge Fabrice Burgaud arrive au palais de justice de Paris pour entendre la sanction du Conseil supérieur de la magistrature sur l'affaire Outreau, le 24 avril 2009.  (  MAXPPP)

Les avocats de la partie civile comptent toutefois pointer certains éléments sous-exploités, selon eux, lors des deux premiers procès et "remettre à plat le dossier afin que tout soit dit". A titre d'exemple, l'avocat de Jonathan Delay, Patrice Reviron, conteste que le nom "Legrand" ait pu être confondu avec le qualificatif "le grand". Il compte également revenir sur les liens éventuels de Daniel Legrand fils avec les Delay. Enfin, il met en doute la thèse selon laquelle l'accusé a avoué des faits qu'il n'a pas commis pour sortir de prison. 

Quant aux enfants Delay, le fait qu'ils se soient constitués partie civile suggère qu'ils entendent porter des accusations contre Daniel Legrand fils. Passée l'évocation d'un "Dany legrand" par Dimitri, ils n'ont jamais identifié le père ou le fils Legrand, ni sur une photo ni au tribunal. "On ne leur a jamais demandé de le faire", argumente Patrice Reviron. Seul Jonathan Delay avait cité le nom de "Daniel Legrand père", mais après avoir entendu parler de l'affaire du meurtre de la fillette à la télé, affirmant l'avoir vu tuer l'enfant à coups de bâton.

Reste les viols sur les enfants Delay. "Je sais qui m'a fait quoi, assure aujourd'hui Jonathan Delay. Si je me suis constitué partie civile, ce n'est pas anodin." Quant à Dimitri Delay, il hésitait toujours, à une semaine du procès.

Chérif Delay devant son ancien foyer à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), le 13 mai 2011. (DENIS CHARLET / AFP)

Pourquoi avoir attendu dix ans pour juger à nouveau Daniel Legrand ?

Après l'acquittement général à Paris en 2005, personne ne peut imaginer juger Daniel Legrand fils dans la foulée. Les avocats de la défense s'enquièrent auprès du procureur général de la République de Douai de l'époque : que faire du "reliquat juridique" concernant le jeune acquitté ? "On nous a laissé entendre que cette affaire ne serait jamais audiencée", indique Me Julien Delarue. L'idée, selon plusieurs sources judiciaires, était d'attendre discrètement la prescription des faits, atteinte en octobre 2013.

C'était compter sans le zèle de FO Magistrats et de l'association Innocence en danger, qui ont écrit en juin 2013 au parquet de Douai et au ministère de la Justice pour leur rappeler l'échéance d'octobre. Le syndicat invoque une question de droit, l'association, le respect des victimes. Décision a donc été prise par les autorités judiciaires d'organiser un nouveau procès, en le dépaysant à Rennes. 

De quoi provoquer l'ire des avocats de la défense des deux premiers procès d'Outreau. Le célèbre pénaliste Eric Dupont-Moretti, qui défendait la "boulangère", Roselyne Godard, a qualifié cette nouvelle audience de "monstruosité""Le dossier du père et du fils est le plus fou, le plus emblématique et le plus injuste de l'affaire Outreau", renchérit auprès de francetv info Hubert Delarue, qui représentait, lui, l'huissier Alain Marécaux. "On en cherchait un et on en a jeté deux en prison. Or, l'enquête a démontré que ni l'un ni l'autre n'avaient jamais répondu au surnom de 'Dany'." 

Les avocats Julien Delarue et Eric Dupond-Moretti le 31 janvier 2006, à l'Assemblée nationale, lors des auditions de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Outreau.  (PASCAL PAVANI / AFP)

Daniel Legrand risque-t-il de retourner en prison ? 

Le jeune homme risque théoriquement vingt ans de prison. "Mais ce qu'il risque surtout, c'est de souffrir", s'inquiète Me Julien Delarue. Son confrère Hugues Vigier pense que même "une condamnation de principe, qui ne le renverrait pas en prison étant donné les circonstances atténuantes liées à l'affaire Outreau, aurait des conséquences majeures". "S'il était condamné, tout le monde penserait que son père – aujourd'hui décédé– a participé" aux viols, ajoute le conseil. Au risque de jeter un voile général sur la "vérité judiciaire" de l'affaire.    

"Il faut être prêt à toutes les éventualités dans ce dossier, prévient un autre avocat, Hubert Delarue. Imaginez une condamnation du petit Legrand qui a reçu les excuses du président de la République... Dans un monde de fous, tout est possible."  

Et comment va Daniel Legrand depuis l'acquittement ? 

Mal. Parmi les treize acquittés, Daniel Legrand fils est sans doute "celui qui a été le plus abîmé par cette affaire, en raison de son jeune âge", constate l'abbé Wiel, qui le fréquente encore. Lorsqu'elle l'innocente devant la cour d'assises de Saint-Omer, en 2004, Myriam Badaoui parle de lui comme du "jeune homme à qui j'ai gâché la vie". Oublié, le rêve de devenir footballeur professionnel. "C'était trop dur, j'avais perdu le physique", avoue-t-il dans Le Parisien.

Daniel Legrand fils le 7 avril 2015, à Wimereux (Pas-de-Calais). (MAXPPP)

En 2007, il est victime d'hallucinations, prend de l'héroïne pour se "sentir mieux, reprendre confiance en [lui]", tombe pour trafic de drogue et repasse trois mois en prison. Il passe aussi "dix jours en psychiatrie", révèle-t-il dans Histoire commune (Ed. Stock, 2008), un livre coécrit avec son père et la journaliste Youki Vattier. Depuis, il s'est séparé de la mère de son petit garçon, vit chez sa mère, subit un lourd traitement médicamenteux et vit grâce à l'allocation adulte handicapé.

En 2012, Daniel Legrand fils a perdu son père, dont il était très proche. S'il a été jugé apte à suivre ce troisième procès, une expertise psychiatrique souligne sa grande fragilité. "J'irai la tête haute, indique-t-il malgré tout dans "Envoyé Spécial" sur France 2. 

J'ai eu la flemme de tout lire et j'ai scrollé vers le bas, vous pouvez me faire un résumé ? 

Daniel Legrand fils est jugé à partir du 19 mai à Rennes pour viols et agressions sexuelles en réunion sur les quatre enfants Delay. Acquitté en 2005 pour ces mêmes faits, il doit comparaître devant la cour d'assises des mineurs pour des faits commis avant ses 18 ans. Selon Eric Dupond-Moretti, qui sera sur les bancs de la défense avec cinq autres avocats, la tenue de ce procès est une "monstruosité judiciaire".

Plutôt que d'attendre la prescription des faits, comme cela avait été entendu au moment de l'acquittement, les autorités judiciaires, sollicitées par un syndicat de magistrats et l'association Innocence en danger, ont décidé d'audiencer ce reliquat du dossier.

A ce jour, seuls Jonathan et Chérif se sont portés partie civile. Dimitri Delay, qui est à l'origine de l'arrestation de Daniel Legrand père et fils pour avoir dénoncé un "Dany legrand (sic)" en Belgique, hésitait toujours une semaine avant l'ouverture des débats.

L'enquête n'a jamais pu démontrer que le "Dany legrand" évoqué par Dimitri correspondait au père ou au fils, qui habitaient Wimereux et n'étaient pas connus à la Tour du Renard à Outreau. Pour sortir de prison, Daniel Legrand fils a fait des aveux et fait basculer l'affaire en évoquant le meurtre d'une fillette en Belgique. Malgré ses rétractations, ce "stratagème" lui a valu d'être condamné en première instance, contrairement à son père. Daniel Legrand fils a été acquitté en appel à Paris en 2005. 

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