Mariage pour tous : et maintenant, le Conseil constitutionnel ?
Le vote solennel de l'Assemblée nationale a eu lieu précisément à 17h07 mardi. Par 331 voix contre 225, les députés ont adopté définitivement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. L'ultime étape avant sa promulgation par le président de la République, qui dispose en théorie de quinze jours pour le faire. Ultime étape ? Pas si sûr. Les sénateurs UMP et UDI ont dans la foulée annoncé, par communiqué, la saisine du Conseil constitutionnel.
"La définition du mariage, principe fondamental reconnu par les lois de la République, ne peut être modifié par une loi simple" (communiqué des sénateurs UMP et UDI-UC)
Difficile, voire impossible de préjuger de la décision des Sages, car même les spécialistes du droit constitutionnel s'opposent sur les chances d'aboutir d'un tel recours.
La question du mariage
Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, l'avait indiqué mardi après-midi : l'opposition compte demander au Conseil constitutionnel si "le mariage tel qu'il a été défini en 1792 comme l'union d'un homme et d'une femme et qui a toujours été considéré comme un principe fondamental de la République" est"dans le bloc de constitutionnalité ou pas" .
Mais Jean Hauser, professeur émérite de l'université Bordeaux-IV, interrogé par France Info, ne pense pas que le Conseil constitutionnel "se risquera [...] à invalider la décision mariage pour tous" . En effet, les Sages avaient déjà eu l'occasion de s'exprimer sur le mariage homosexuel, en janvier 2011. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil avait estimé que la question relevait plus du législateur.
La question de la filiation
Dans le recours déposé, le problème que poserait la nouvelle loi en matière de filiation, "qui a toujours eu dans notre droit une origine sexuée" selon Christian Jacob. Et c'est en effet ce point-là qui cristallise les incertitudes quant à la décision du Conseil constitutionnel.
Jean Hauser, auditionné l'année dernière par un ministère de la Justice en pleine préparation du projet de loi, estime que le texte ne se penche pas assez sur "les conséquences relatives à la filiation et l'adoption [...] qui n'ont été examinées par personne" . Pour lui, c'est une erreur de séparer en deux projets de loi les questions de filiation (le gouvernement a annoncé qu'un second texte, celui sur la famille, examinerait les possibilités d'ouverture à la procréation médicalement assistée), et les Sages pourraient donc exprimer un certain nombre de réserves.
Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé à l'université d'Évry, parle elle d'"inintelligibilité de la loi" , estimant qu'on change "a définition-même de la filiation" .
Les questions d'éthique
Depuis le début des débats, les parlementaires de l'opposition insistent sur les problèmes d'éthique, et même de bioéthique, que le projet de loi fait peser sur la famille et la société. Mais, selon Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel, "l'éthique est une question de conviction personnelle" , et les Sages ne peuvent donc se prononcer sur cette question.
Pour le constitutionnaliste, c'est clair, le Conseil constitutionnel ne pourra pas censurer le texte car, tout simplement, "il n'y a pas de problème constitutionnel" .
Les "points de forme"
En plus de ces questions sur le fond de la loi, il existe également plusieurs "points de forme" problématiques sur lesquels se fonde le recours déposé par l'opposition. "L'étude d'impact qui n'a pas été réalisée ou alors de façon indigente" , "la procédure parlementaire, sur le droit aux 50 heures de débat qui n'a pas été respecté" , et enfin "le recours aux ordonnances pendant la navette parlementaire" (institué par l'un des articles du projet de loi), toujours selon Christian Jacob. Le communiqué des sénateurs UMP et UDI-UC parle quant à lui de l'"insuffisance des travaux préparatoires" , insistant sur "le conflit de la loi avec les règles en vigueur du droit public international" . Des questions techniques que devra étudier le Conseil constitutionnel.
Concrètement, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de quinze jours imposé au président de la République pour promulguer la loi, qui a donc le droit de le faire dans les heures qui viennent. En tenant compte des délais imposés par les changements de l'état-civil, on estime que les premiers mariages entre couples de même sexe pourraient avoir lieu dès juin prochain.
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