Le procès de l'"Erika", symbole d'un droit de la mer "moyenâgeux"
L'avocat général de la Cour de cassation a demandé l'annulation du procès de ce pétrolier, naufragé au large de la Bretagne en 1999. Quelles en seraient les conséquences juridiques ?
Le procès de l'Erika envoyé par le fond ? C'est en tout cas ce que requiert l'avocat général de la Cour de cassation. Cette dernière doit se prononcer le 24 mai sur le procès du naufrage de ce pétrolier au large des côtes bretonnes en décembre 1999. Quelles seraient les conséquences d'une annulation du procès pour le droit de l'environnement ? Et pourquoi un tel rebondissement ?
Le principe de préjudice écologique existait avant l'"Erika"
De part l'ampleur de la catastrophe écologique qu'il a causée, le naufrage de l'Erika est habituellement présenté comme le procès qui a consacré le principe de préjudice écologique. Une lecture erronée. "Il y avait plus de 200 décisions qui prenaient en compte le principe du préjudice écologique, c’est une bêtise de dire que l’arrêt Erika [rendu par la cour d'appel de Paris le 30 mars 2010] a consacré le principe écologique", explique Gilles Martin, avocat au barreau de Nice et spécialiste du droit de l'environnement.
Pour le juriste, l'apport du procès de l'Erika au droit de l'environnement réside davantage dans le fait qu'il s'est tenu en cour d'appel, un haut niveau de juridiction. "Il a confirmé une jurisprudence qui existait dans des affaires beaucoup moins importantes", résume-t-il. Bien que dommageable, son annulation ne porterait donc pas un coup fatal au principe de préjudice écologique, qui consiste à indemniser les préjudices portés à la nature. D'autant plus que l'argumentaire de l'avocat général ne repose pas sur le fond de ce principe.
Etait-ce à la France de juger le naufrage ?
Pour motiver sa demande de cassation, l'avocat général explique que l'arrêt "a été prononcé par une juridiction incompétente". "Si la Cour de cassation casse pour cette raison, on ne pourra pas dire qu'elle a mis à bas la jurisprudence du préjudice écologique", souligne donc Gilles Martin. En fait, explique l'avocat, le débat porte sur la question suivante : "Est-ce que la compétence est définie par le lieu du naufrage ou par le lieu du dommage causé par ce naufrage ?"
Si elle est définie par le lieu du naufrage, les tribunaux français ne sont pas compétents puisque le navire se trouvait en zone économique exclusive (ZEE) lorsqu'il a coulé. Une zone où, selon la convention des Nations unies sur le droit de la mer, l'Etat côtier n'a qu'une souveraineté limitée. C'est le raisonnement de l'avocat général. A l'inverse, les deux premières juridictions, le tribunal correctionnel et la cour d'appel de Paris, avaient considéré que la compétence était définie par le lieu du dommage, les côtes françaises.
"Avec le droit de l'environnement, on a beaucoup oublié la mer"
Ce flou autour de la compétence de l'Etat côtier s'explique par les lacunes du droit de l'environnement en mer. "C'est une mosaïque de textes pas toujours très précis", explique l'avocat Arnaud Gossement à l'AFP. Historiquement, ce domaine du droit s'est d'abord intéressé à la terre. "Avec le droit de l'environnement, on a beaucoup oublié la mer", regrette Gilles Martin.
Résultat, "il y a une inadaptation du droit maritime aux enjeux contemporains en termes de risques. Le droit marin repose pour l'essentiel sur des conventions internationales qui se fondent sur des principes moyenâgeux, comme la liberté des mers", poursuit-il, avant de dénoncer la puissance des lobbies maritimes. Mais l'avocat niçois ne perd pas espoir dans le cas de l'Erika. Les documents qui ont fuité ne sont que les réquisitions de l'avocat général. "Il faut attendre la décision de la Cour de cassation, qui est libre de ne pas les suivre", conclut-il.
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